Le Cinéphile Intrépide poursuit son marathon cannois avec trois films aussi attendus que diversement réussis.
Lundi 22 Mai 2017.
J’entame sans doute une de mes journées les plus chargées de la semaine. De grands noms au programme, comme Michael Haneke mais aussi le très talentueux Yorgos Lanthimos. Je rejoins alors la file « presse », la première fois que je l’emprunte, et patiente le temps de découvrir le dernier Haneke.
On avait quitté le cinéaste avec Amour, Palme d’or en 2012, qui semblait ouvrir une voie plus sentimentale à son Oeuvre. Je ne suis pas un fervent défenseur d’Haneke, alors même que je voue un culte à son Funny Games et resté très impressionné par Caché ou La Pianiste. Seulement, ce Happy End m’a refroidi et ennuyé au plus haut point. Je serai bien en peine de résumer le film, qui ne choisit aucun fil directeur, répétant ad nauseum des scènes d’une mollesse et d’un vide déplorables. Le sous-texte supposément amoral sur le mépris bourgeois à l’égard des immigrés n’arrive jamais à intéresser, tant il est secondaire. Le réalisateur se contente de brosser à gros traits le portrait d’une famille dysfonctionnelle sans jamais retrouver la saveur subversive de ses meilleurs films. Reste l’interprétation de Jean-Louis Trintignant qui véhicule dans des moments à la fois cocasses et sinistres, une animosité souvent amusante. La dernière scène, la seule qui soit totalement réussie, vient enfin rehausser légèrement la qualité de ce Happy End, qui est hélas passé à côté de son sujet.
Je poursuis avec Mise à mort du Cerf Sacré de Lanthimos, réalisateur grec à qui l’on doit le très étrange et fascinant The Lobster, fable d’anticipation sur le célibat et le couple, qui avait remporté le Prix du Jury en 2015. Il revient à une veine beaucoup plus anxiogène ici, dans ce thriller tordu et inattendu, qui par rétention d’informations, réussit l’exploit d’intriguer sans créer de frustration. La menace s’invite à travers le personnage de Martin (Barry Kheogan, prodigieux), un garçon qui vient s’immiscer dans la vie d’un homme et de sa famille, pour rétablir sa propre justice. Si ses motivations seront peu à peu expliquées, ses méthodes resteront un mystère. La mise en scène de Lanthimos crée un vertige saisissant, privilégiant l’omniscience inquiétante de l’oeil caméra, qui suit et surveille les personnages par le biais de travellings insidieux. Cette présence surplombante comme l’ambiance sonore, très dissonante, s’inscrivent parfaitement dans le programme du film qui emprunte à la tragédie grecque sa dimension mythologique et son angoisse existentielle. Il faut dire aussi à quel point Nicole Kidman retrouve un rôle à sa mesure, d’un érotisme trouble qui rappelle l’épouse infidèle d’Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Voilà déjà mon favori de la compétition, en espérant le voir figurer au palmarès.
Alors que je tente de récupérer mes esprits, je grimpe en direction de la salle du Soixantième à la découverte de How to talk to girls at parties de John Cameron Mitchell. Du cinéaste, je n’avais vu que Rabbit Hole, un drame un peu anecdotique sur le deuil. Son nouveau métrage, lui, s’affranchit de tout académisme. Sorte de croisement improbable entre le film musical punk et le récit d’invasion extra-terrestre, How to talk to girls at parties ne s’impose aucune limite au risque parfois d’embarrasser son spectateur. D’un kitsch totalement assumé, le film expérimente beaucoup, déjà esthétiquement, en multipliant les visions psychédéliques notamment, mais aussi narrativement, avec une love-story adolescente délirante. Le charme d’Elle Fanning opère toujours autant et prouve que la jeune actrice a le goût du risque. Même si le film n’est jamais loin de la mauvaise plaisanterie, il est difficile de bouder son plaisir.