François Ozon retourne à ses habituels jeux de dupes dans un thriller psychanalytique maîtrisé.
Par la force d’un fondu enchaîné, un vagin se transforme en œil. Pour un réalisateur fasciné par des personnages féminins forts et par la manipulation du regard apportée par le septième art, cette transition pourrait à elle seule définir la filmographie de François Ozon, qui confirme avec L’Amant double sa place de touche-à-tout ingénieux au sein du paysage cinématographique français. Après le solennel Frantz, le cinéaste s’attelle à une œuvre sulfureuse et psychanalytique, tout en gardant en ligne de mire son fétichisme pour des identités cachées ou doubles. Ici, Chloé (envoûtante Marine Vacth) s’éprend de son psychologue (Jérémie Rénier, excellent), avant de découvrir qu’il a un frère jumeau pratiquant le même métier. Intriguée par les secrets enfouis de ces deux personnalités très différentes (Paul, le compagnon de Chloé est doux, attentif et réservé, tandis que Louis se révèle plus violent et cinglant), la jeune femme se lance dans une relation complexe, entre fantasme et cauchemar, alors qu’elle-même se trouve en pleine quête identitaire et sexuelle. Si Ozon s’attarde avec sensualité sur son actrice quand on lui coupe les cheveux en début de métrage, il marque ainsi le parcours d’un corps presque androgyne vers une éclosion féminine qui n’est pas sans rappeler les codes du body-horror et la patte de son maître Cronenberg.
L’Amant double mêle donc avec un certain brio un inconscient impalpable et un attachement à la chair beaucoup plus prégnant. L’usage du numérique et la lumière toute en petites touches artificielles de Manu Dacosse permettent autant de souligner un univers factice et froid que de magnifier avec précision les textures charnelles qui l’habitent. Ozon apporte dès lors un soin tout particulier à ses décors, et surtout à ce musée d’art moderne dans lequel travaille Chloé, synthèse mentale de cette dichotomie entre symétrie des structures et abstractions des formes en son sein. Les corps se mélangent, se divisent et se multiplient comme autant d’êtres virtuels que permet le montage. Le cinéaste en profite pour développer une mise en scène très stylisée, peut-être trop maniérée par instants, mais pertinente dans les indices qu’elle dissémine au fur et à mesure, plongeant progressivement le spectateur dans une descente aux enfers cauchemardesque au travers d’un split-screen ou d’un jeu de focal sur un miroir, floutant le distinction entre réalité et fiction. Il se permet même quelques prises de risque en pénétrant littéralement dans le corps de son héroïne pour sonder sa psyché. Véritable voyage interne qui trouve un sens particulièrement malin avec son twist de fin, L’Amant double convoque autant Hitchcock que De Palma, voire le Black Swan d’Aronofsky dans le rapport ambigu du protagoniste avec les rares personnages féminins secondaires, qui deviennent d’étonnantes mères de substitution, quand ce ne sont pas des doubles déguisés.
Ces influences américaines pourraient vite détonner avec une approche très « française » d’un cinéma psychologique à tendance nombriliste, mais François Ozon joue justement de cette différence, et marque encore une fois son style par cet équilibre entre une identité typiquement frenchie et des modèles issus de films de genre parfaitement digérés. La structure exigeante d’un récit nécessairement chaotique est ici maniée avec un sens de la rétention d’information jouissif, qui maintient en haleine tout du long. A nouveau, le réalisateur parvient à remettre en question notre place de spectateur, voyeur d’une intimité déliquescente et encouragé à l’être. Il est même soutenu dans cette démarche par Chloé, qui passe elle-même ses journées à surveiller les visiteurs du musée. En rendant complice le public de ce rêve éveillé sans qu’il ne puisse rien y faire, Ozon met toujours un point d’honneur à le rendre constamment actif dans son visionnage, grâce à une intense croyance dans le pouvoir de la fiction finalement absente d’une trop grande partie de la production hexagonale. Logique et soigné dans chaque strate de sa fabrication, à commencer par son scénario imparable, L’Amant double est, à l’image de ses personnages, un film multiple, qui gagnera sans doute, comme un bon Shyamalan, à être revisionné pour pleinement profiter de sa richesse. Qu’il s’agisse de son mystère, de sa dimension érotique ou encore de la musique de Philippe Rombi (en partie inspirée de la partition de Mica Levi pour Under the Skin), le long-métrage nous attrape délicatement pour ne plus nous lâcher, tel un effet d’hypnose qui pourrait également définir le cinéma de François Ozon.
Réalisé par François Ozon, avec Marine Vacth, Jérémie Rénier, Jacqueline Bisset…
Sortie le 26 mai 2017.