Synopsis : " La fille d'un sénateur disparaît. Joe, un vétéran brutal et torturé, se lance à sa recherche. Confronté à un déferlement de vengeance et de corruption, il est entraîné malgré lui dans une spirale de violence... "
Les lumières de la salle de cinéma s'allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position " je m'installe comme à la maison " ce n'est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique...
Six ans après avoir présenté le film We Need to Talk About Kevin en Sélection Officielle, la cinéaste britannique Lynne Ramsay est de retour pour les 70ans du Festival de Cannes. Dernier film présenté en compétition au 70e Festival de Cannes, You Were Never Really Here pourrait bien créer la surprise. Une compétition bancale et (trop ?) classique composée de bons et de mauvais films, mais aucune vraie surprise, aucun véritable choc. Il aura fallût attendre les deux derniers jours de la compétition pour que cette dernière fasse la part belle au cinéma de genre. Good Time réalisé par les frères Safdie dans un premier temps, puis You Were Never Really Here le jour suivant. Deux films de genre, doté d'un premier rôle remarquable, qui ont dynamités la compétition officielle. You Were Never Really Here signe également le retour d'un habitué du Festival de Cannes (notamment grâce à ses prestations dans les films de maîtres du cinéma comme James Gray et Paul Thomas Anderson) : Joaquin Phoenix. Celui que l'on peut aisément qualifié comme l'un des plus grands acteurs de sa génération, Joaquin Phoenix démontre une nouvelle fois toute l'étendue de son talent. You Were Never Really Here ou Les Fantômes de Joaquin Phoenix comme on pourrait également l'appeler.
Adaptation du roman éponyme écrit par Jonathan Ames et publié en 2013, You Were Never Really Here conte l'histoire de Joe qui va être engagé afin de retrouver la fille d'un sénateur ayant été kidnappée. Imposant, charismatique, solitaire, instable et psychologiquement torturé, Joe est l'incarnation de l'anti-héros parfait. Il a toutes les facultés d'un super-héros, mais sa manière de se mouvoir et d'éviter toute confrontation avec le monde en fait un anti-héros. L'on pense à Pusher (Nicolas Winding Refn, 1996), à Man on Fire (Tony Scott, 2004) ou bien évidement à Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976), mais You Were Never Really Here demeure une œuvre cinématographique unique et à part, qui tente de réinventer ce genre cinématographique qui n'est autre que le " revenge movie ". Un genre qui à tendance aujourd'hui à s'auto-caricaturer, s'enfermant œuvre après œuvre dans un carcan fait avant tout de facilités scénaristiques permettant de mettre en avant l'action au détriment des personnages. Taxi Driver était l'antithèse parfaite, là où un Taken est la base même du problème. Lynne Ramsay part de la même base scénaristique, use de la même construction narrative en trois parties (Retrouver/Se Faire Retrouver/Éliminer), mais ne va aucunement chercher à mettre en valeur l'action. Lynne Ramsay joue avec le hors champ, joue avec le son pour mettre en avant non pas la brutalité de l'instant, mais la brutalité et la violence intrinsèque du protagoniste. Aucune complaisance dans l'utilisation ou le fait de montrer la violence. La violence est ici utilisée comme un élément narratif pour intégrer le hors champ dans le champ, pour faire passer quelque chose de l'état psychologique et donc immatériel, à l'état physique.
Au travers de ses choix artistiques, tant dans le cadrage que dans le sound design, Lynne Ramsay opte pour un unique point de vue. Celui de Joe, qui n'est autre qu'un fantôme, qu'un assassin, un ancien Marines qui porte sur ses épaules une charge traumatique immense. Une charge qui le pousse a se mouvoir les épaules basses, à être silencieux et vu de personne malgré son fort gabarit. Lynne Ramsay fait transparaître cette charge par le biais de sa mise en scène et d'une réalisation qui appuie énormément sur l'aspect solitaire, déshumanisé et bourru du personnage. Une charge qui va être peu à peu remplacée par cette jeune fille de 13 ans qu'il va devoir sauver et qui va s'attacher à lui. Lynne Ramsay est attaché à son personnage. Elle l'aime et fait transparaître cet amour au travers de ce qu'elle montre de lui. Ses moments de doutes, de violence, mais également de bonheur avec celle(s) qui compte(nt) pour lui. Des émotions que portent à merveille un Joaquin Phoenix presque aphone, mais au regard empreint d'émotions. Un personnage solitaire, bourru, charismatique et brutal. Un loup solitaire que Lynne Ramsay rend, avec une sincérité certaine, touchant et attachant au fur et à mesure.
You Were Never Really Here est un " revenge movie " à l'histoire des plus banales, mais au traitement technique qui va enrichir et donner du corps à cette histoire. Au-delà de sa mise en scène et de sa réalisation inspirée qui insuffle une présence tant physique qu'émotionnelle au protagoniste, c'est son montage qui fait de You Were Never Really Here un film à part. Un montage qui va jouer sur la longueur et la durée des plans, mais également à l'inverse, sur le supercut et le dynamisme. Un effet de style superbement employé qui amplifie la transmission et compréhension du trauma du protagoniste. Des plans courts et rapides qui se chevauchent tels des visions ou plans subliminaux et font comprendre au spectateur dans quel état d'esprit se trouve le protagoniste et se qu'il a pu vivre par le passé. Façon intéressante d'incrémenter le film de flashbacks, tout en faisant de cet effet narratif et de style un véritable outil démultipliant la force brute et viscérale de l'œuvre dans sa globalité. Ce qui rejoint le travail très brutal réalisé sur le sound design, où vont être exagéré les bruits des coups, de marteaux et de feu.
Lynne Ramsay dynamite le " revenge movie " et lui explose le crâne à coups de marteaux. Fort et viscéral, une œuvre cinématographique intense portée par un Joaquin Phoenix imposant. La cinéaste britannique prouve que quand les techniques offertes par le cinéma sont bien utilisées, il est possible de donner de la consistance à une histoire simple et sommaire. De la transcender et donner vie à une œuvre aussi belle qu'inspirée, aussi brutale que touchante et qui pourrait bien marquer les esprits.