Neill Blomkamp lance son excitant projet avec un premier court-métrage à son image.
Avec District 9, Neill Blomkamp s’est imposé comme un espoir à suivre dans le monde de la science-fiction, parvenant à exploiter un concept diablement pertinent et novateur (l’Apartheid avec des aliens) avec un budget réduit. Attendu au tournant, le cinéaste a quelque peu déçu à son arrivée dans la grande machine hollywoodienne, mangé à la fois par ses ambitions, par un certain manque de maturité quant aux méthodes de production américaines (mais qui contribuent en partie au charme d’Elysium et de Chappie) et par des studios pas toujours conciliants. Aujourd’hui, le réalisateur n’hésite pas à exprimer sa frustration dans son rapport à la machine à rêves, qui lui a livré le coup de grâce en annulant son projet Alien 5. Dès lors, l’esprit de revanche que développe le cinéaste semble logique, surtout au lancement de son nouveau bébé, on ne peut plus excitant. Oats fait ainsi référence à la boîte de production créée par Blomkamp lui-même, dont le but, exprimé dans de mystérieux teasers, est d’offrir une série anthologique de courts-métrages expérimentaux. Ce laboratoire créatif, pied-de-nez évident à des studios de plus en plus empêtrés dans leurs franchises, s’annonce d’ors et déjà comme une bouffée d’air frais fascinante, peut-être encore plus pour la démarche que pour les films en eux-mêmes. C’est en partie ce qui rend aisément admiratif devant Rakka, premier essai aux allures de manifeste réalisé par Blomkamp, dans lequel une race extraterrestre envahit la Terre et réduit l’humanité à l’esclavage avant son extinction prochaine.
Divisé en trois parties, qui nous permettent de croiser les vies de différents résistants à cette invasion, le film impressionne par sa technique (à commencer par la qualité de ses effets numériques) et par le soin de sa production design. Si cette dernière emprunte à droite à gauche, la patte de Blomkamp est bien reconnaissable dans cette manière de rendre son univers cohérent et organique. Certes, l’ensemble ne s’embête pas d’une narration complexe, privilégiant la clarté d’une voix-off parfois envahissante à la richesse de plans qui se suffisent à eux-mêmes (et qui auraient ajouté un mystère bienvenu), mais Rakka répond bien à la méthode expérimentale de Oats, permettant à un ésotérisme malickien de se mêler à de purs moments de tension filmés avec une caméra épaule dynamique, proche de celle de District 9. Les points de vue s’entrechoquent, divergent et esquissent avec une certaine justesse le désespoir d’une humanité qui aperçoit son crépuscule. Si on pourra lui reprocher de laisser ses personnages dans une caractérisation assez superficielle, le cinéaste leur offrent quelques belles scènes (le pyromane reconnaissant du chaos qui l’entoure) et quelques gueules pour les incarner, à commencer par Sigourney Weaver dans une variation jouissive de Ripley. C’est par ce type de choix que Rakka se décrit comme un pur délire de SF hardcore livré sur un plateau d’argent par un passionné, et on ne peut que lui en être reconnaissant, surtout quand les productions de Oats sont disponibles gratuitement sur la plateforme Steam, spécialisée dans le jeu vidéo et le partage de logiciels. Un choix à priori surprenant mais logique lorsque l’on connaît l’amour de Blomkamp pour le médium vidéoludique, ainsi que la communication que le studio cherche à avoir avec son public.
En effet, le projet peut être soutenu à chaque sortie d’épisode, en achetant pour moins de cinq euros un asset comportant le court-métrage en version téléchargeable, une version du script, des concept art et même des modèles 3D ; tant de joyeusetés disponibles au fur et à mesure et qui confirment l’appel à la création que poursuit Oats en offrant aux spectateurs ses propres outils. Dans un contexte audiovisuel en pleine mutation, la démarche de Neill Blomkamp affirme plus que jamais le floutage entre le cinéma traditionnel et les nouvelles formes de vidéos, notamment apportées par Youtube. La boîte de production semble vouloir jouer sur cette distinction, en alternant des projets très ambitieux et des pastilles plus courtes, à l’instar du réjouissant Cooking with Bill – Damasu 950, premier épisode d’une série de sketchs à l’humour grinçant, jouant avec la bonne humeur faussée d’une émission de télé. A la fois novateur et évident, Oats se présente comme une magnifique utopie en accord avec son temps, dont il faudra surveiller de près la viabilité. Neill Blomkamp amène sa pierre à l’édifice d’un renouvellement de la production et des moyens de visionnage, à l’heure où certains s’arrachent encore les cheveux sur la place qu’occupent des entreprises telles que Netflix dans le paysage culturel, et où les grands studios souffrent de plus en plus de vieilles recettes qui désintéressent le public. Nul doute que ce genre d’initiative va prendre son envol dans les années à venir, donnant une tribune, voire un tremplin, pour de jeunes réalisateurs qui exploitaient jusque là le milieu des films amateurs, voire des fan-films pour s’exprimer, ce à quoi Oats renvoie parfois avec son aspect de cinéma d’artisan, capable de faire beaucoup avec très peu. Peut-être que vient enfin le temps de légitimer ce type d’œuvres.
Disponible sur Steam depuis le 14 juin 2017, en cliquant ici.