Agnès Varda s’associe à JR pour un documentaire indispensable, coup de cœur du dernier festival de Cannes.
Au sein d’une sélection assez décevante, Visages Villages s’est imposé comme l’un des moments forts du 70ème festival de Cannes. Outre le retour toujours réjouissant d’Agnès Varda, ici en collaboration avec le street-artist JR, le documentaire est parvenu à être cette bulle d’air frais dont ont besoin des festivaliers souvent plombés par la noirceur et la prétention crasse de certains métrages. En réponse à tout cela, et par extension à une certaine idée du cinéma français, Visages Villages est une œuvre humble, dont la simplicité apparente recèle cette richesse qui font les grands films. En vadrouille sur les routes de France, les deux acolytes sont allés à la rencontre des habitants de petits villages, afin de les prendre en photo et d’utiliser leur propre image pour décorer le lieu qu’ils contribuent à faire vivre. Le film pourrait donc facilement tomber dans un point de vue mielleux et hypocrite sur les classes populaires à la manière d’un reportage TF1, mais il conserve constamment cette malice et cette curiosité sur des modes de vie divers, que les artistes souhaitent énumérer le plus possible.
Dès lors, Varda et JR ont su agir en véritables documentaristes, en s’interrogeant sur leur dispositif et sur la place de la caméra dans leur création. En admettant que le cinéma n’est qu’un art de la manipulation, et qu’un documentaire ne peut en aucun cas livrer la réalité au spectateur, Visages Villages évite l’écueil du réalisme de façade et préfère au contraire tricher quelque peu, notamment dans sa narration parfois calculée (certains dialogues et rencontres semblent préparés à l’avance). Néanmoins, c’est grâce à cette mise en scène que le film appelle à de vraies émotions et creuse une surface qui aurait pu lui suffire, déclenchant finalement la sincérité et la spontanéité du projet, ainsi que des gens que l’objectif approche.
Le long-métrage se transforme alors en galerie de portraits passionnante, touchante et bouleversante, tout simplement parce qu’elle ne trompe jamais son public sur sa captation limitée d’une infime partie d’un grand tout, magnifiant avec lucidité un hors-champ qui ouvre grand ses portes vers une France, la vraie, aussi reconnaissable que constamment en renouvellement dans sa variété. Cette réalité, Agnès Varda a l’intelligence de ne jamais la politiser, ce qui aurait pu être simple en cette année électorale où des documentaires de la sorte, n’approchant des personnes que pour leur valeur de curiosité, d’échantillon, voire de statistique, pullulent à la télévision.
Visages Villages nous rappelle ainsi avec force qu’un documentaire, tout comme un film de fiction, repose sur un point de vue, un point de vue qui devient ici le dénominateur commun à tous les intervenants du métrage, ses créateurs en tête. Le septième et le huitième art ne sont qu’une extension d’un œil avec lequel nous percevons les choses différemment, et les deux compères se le rappellent avec humour, entre les lunettes de soleil dont est constamment affublé JR et la maladie oculaire d’Agnès Varda. De minute en minute, le documentaire gagne une réflexivité de ses réalisateurs, et principalement de sa star octogénaire, véritable symbole d’une histoire du cinéma français, qui livre sa sagesse et sa perception de l’art cinématographique comme héritage, comme bribes d’un journal intime sur l’incroyable existence qu’elle a vécu. Visages Villages s’avère particulièrement juste lorsqu’il évoque ce rapport à la mort inhérent avec le pouvoir du cinéma d’immortaliser un instant, de faire face à la dégénérescence d’un souvenir et la peur de l’oubli. Mais Varda, dans sa fougue qui ne détonne jamais avec celle de son compagnon de route, incite à profiter de l’instant présent, à se forger des histoires fortes pour mieux les retenir, même un court moment. Cette pensée trouve sans doute sa plus belle illustration lorsque JR accepte de coller une image de Guy Bourdin, un ami défunt de la cinéaste, sur les restes d’un bunker ancré sur une plage. Dès le lendemain, les vagues et la marée ont emporté la photographie. C’est paradoxalement cet amour de la simplicité et de l’immédiat qui fait du long-métrage une œuvre indispensable sur la mémoire, un film de fantômes qui sonde une intimité, celle de personnes (Agnès Varda en tête), qui affrontent cette peur d’une mort inévitable. De quoi nous attacher encore plus devant ce modèle de femme forte qui s’ouvre à nous, en nous clamant son amour de l’aventure et de la découverte dans un documentaire précieux et solaire, à la joie de vivre communicative.
Réalisé par Agnès Varda et JR.
Sortie le 28 juin 2017.