Bong Joon-ho renoue avec la fable politico-écolo absurde et corrosive.
Si Okja a fait grand bruit ces derniers temps, ce n’est pas nécessairement pour les bonnes raisons. Financé par Netflix, au départ simple plateforme de vidéos en ligne, aujourd’hui société de production en pleine ascension, le projet fou de Bong Joon-ho souffre d’une visibilité réduite, plus spécialement en France, à cause d’un système de diffusion des œuvres aussi rigide qu’obsolète, appelé « chronologie des médias ». Sans entrer dans les détails, disons que ce principe prévoit des délais incompressibles, de plusieurs mois voire plusieurs années, entre la sortie en salles, le passage télévisé et l’accès des œuvres sur les services VOD. Toujours est-il que même privé du grand écran en France, Okja reste bel et bien un film de cinéma, total, légitime et reconnu par ailleurs en tant que tel lors de sa projection en Compétition Officielle au dernier Festival de Cannes. Alors au-delà de toutes ces considérations, que retenir de cette nouvelle proposition du génie coréen ?
Le prologue donne immédiatement le ton. La responsable d’une multinationale, Lucy Mirando, interprétée par Tilda Swinton avec un sens du burlesque toujours intact, énonce en public le grand défi qui attend le monde : plusieurs cochons génétiquement modifiés, créés au sein des laboratoires de l’entreprise, s’apprêtent à être envoyés en élevage chez de braves paysans, avant d’être repris et consommés dans dix ans pour leur chair succulente. Le constat est sans appel, seul le profit compte. Loin du cynisme mercantile qui anime la firme, Mija grandit et s’épanouit pendant dix ans auprès d’Okja, un de ces cochons OGMisés, voués à être dégustés. Lorsque son ami lui est enlevé par le « visage » de la multinationale, un présentateur télé excentrique joué par un Jake Gyllenhaal méconnaissable, Mija se met en tête de le retrouver pour le sauver.
De cette histoire somme toute très convenue, d’une enfant prête à tout pour aider son fidèle compagnon, Bong Joon-ho en tire une fresque familiale souvent délirante, parfois sinistre, qui n’hésite pas à combiner différents registres. Une constante pour le cinéaste coréen, adepte du mélange des genres. Entre la parabole contestataire, qui cible une mondialisation de plus en plus vorace, et l’aventure initiatique, tournée vers un humanisme à toute épreuve, le grand écart a de quoi désarçonner. Pourtant, la greffe fonctionne, grâce au talent d’alchimiste du réalisateur, décidément à son aise lorsqu’il s’agit d’allier l’humour à l’effroi, le politique à l’intime. C’est finalement dans sa veine mélodramatique que le film convainc un peu moins. Si elle commence de façon touchante, la relation entre Mija et Okja a tendance à s’étioler et ne bouleverse jamais tout à fait. Sur un postulat relativement similaire, The Host ne manquait pas de lyrisme.
Un défaut mineur au regard de l’énergie déployée par le cinéaste pour transcender son intrigue. D’une fluidité et d’une ampleur remarquables, la mise en scène s’adapte au rythme de chaque situation, à la fois indolente dans les scènes poétiques du début du film, puis brusquement vertigineuse dans les moments d’action, notamment lors d’une incroyable séquence de poursuite à Séoul. La direction d’acteurs est tout aussi impeccable, Swinton et Gyllenhaal en tête dans des rôles d’une drôlerie sans nom, mais également Paul Dano en leader du Front de Libération des Animaux. Pour la seconde fois après Snowpiercer, Bong rassemble un casting international qui sied à merveille à l’approche hybride, hétéroclite de ses films. Le dernier acte d’Okja, totalement glaçant, vient là encore nous surprendre en abordant la question des abattoirs à travers l’imagerie concentrationnaire. Même esquissé à gros traits, le parallèle fait sens et interroge notre soif de pouvoir à l’aune de l’exploitation animale. Un sujet dur dont le cinéaste s’empare avec une forme de radicalité « légère », « excentrique », qui n’en amoindrit ni le réalisme ni la gravité.
Réalisé par Bong Joon-ho, avec Seo-Hyun Ahn, Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal, Paul Dano…
Disponible sur Netflix depuis le 28 Juin 2017.