Que dios nos perdone

Par Inglourious Cinema @InglouriousCine
À Madrid, durant l’été 2011. La crise économique ébranle la société et provoque la naissance du mouvement social 15-M, celui des Indignés. De surcroît, des milliers de pèlerins débarquent dans la capitale espagnole pour y accueillir le Pape. C’est dans ce contexte que les policiers Alfaro et Velarde ont pour mission d’arrêter de manière « discrète » un assassin présumé. Mais la pression exercée et la course contre la montre leur feront prendre conscience d’une terrible vérité : dans quelle mesure sont-ils si différents du criminel qu’ils poursuivent ?

Que Dios nos Perdone – 9 Août 2017 – Réalisé par Rodrigo Sorogoyen
Depuis quelques années j'essaye tant bien mal de suivre ce que le cinéma espagnol nous propose ! Et vu qu'il n'est pas évident de les découvrir en France, je me contente des 2/3 films que les distributeurs achètent et les films qui sortent en DTV. Bref depuis, une constante revient dans les films que je découvre, c'est qu'il y a toujours (parfois dans un degré moindre) un angle social, voire politique et c'est une fois de plus le cas avec « Que Dios nos Perdone » !
Madrid est en ébullition, car elle s’apprête à recevoir le pape lors des journées mondiales de la jeunesse. La ville à beaucoup de mal à faire face à tout cet afflux de pèlerins venus pour l'occasion, surtout que le pays est aussi révolté par la gestion de la crise économique qu'ils viennent de traverser, une révolte qui a vu émerger le mouvement des indignés sur la place Puerta del sol le 15 mai 2011. C'est dans ce climat électrique qu'un tueur en série sème la mort dans Madrid en violant et mutilant des personnes âgées. Cette affaire aussi délicate que particulièrement éprouvante est confiée a deux policiers aux profils radicalement différents. Le premier, Alfaro est un inspecteur instinctif et brutal ; le second Velarde, complexé par un bégaiement prononcé est plus discret mais il n'est pas pour autant incompétent. Un duo atypique qui doit faire vite et discrètement, car si l'affaire sort au grand jour, cela sera catastrophique pour la ville et pour la réputation de la police. Une pression supplémentaire qui s'ajoute à l'horreur de l'affaire et qui va les mettre au pied du mur, face à eux même et à leurs propres démons ….


Rodrigo Sorogoyen après deux romances, signe ici son troisième film. Un thriller poisseux et radical de grande qualité, qui se place dans la droite lignée des autres représentants espagnols sortie cette année en France. On plonge ainsi dans une Espagne en pleine crise, d'un coté la jeunesse sacrifiée par un pouvoir corrompu se soulève avec le mouvement des indignés, pendant que de l'autre l'Espagne Catholique accueille le pape et les journées mondiales de la jeunesse en pleine crise des valeurs. Un contexte agité dont Sorogoyen et sa scénariste Isabel Pena s'empare pour livrer une histoire sur la violence qui gangrène le cœur de chaque homme …
L'intrigue du film est plutôt classique, c'est l'histoire d'une enquête sur un violeur et tueur en série. Un récit qui est toutefois brillamment articulé, notamment autour d'une poursuite centrale qui prend place dans le centre de Madrid. Bascule narrative qui nous plonge dans une ambiance encore plus sombre et désespérée. C'est là que le vrai sujet à mon humble avis prend vie, a savoir le portrait de trois hommes, deux policiers et un criminel qui font de ce film ce qu'il est, une interrogation sur la nature de la violence chez l'homme. D'un point de vue moral, le film respecte les carcans de « gentil » et de « méchant », mais quand on gratte sur la surface, il n'y en a pas un pour vraiment rattraper l'autre. Ce sont les produits d'une vie, d'une éducation, souvent catholique, et d'une société patriarcale ou tout ne tourne qu'autour de l'image de « l'homme », fort et viril ! Une violence naturelle, profondément ancrée en eux, qui rend cette histoire encore plus terrifiante, car il n'y a pas de monstre, juste des hommes.
Rodrigo Sorogoyen s'attelle à montrer cela pendant les deux heures que durent le film. Une ambivalence entre ce que l'on voit et ce que l'on renvoie qui se traduit aussi bien dans les actes que visuellement. Un contraste saisissant entre l'ambiance aride et poisseuse des rues madrilène par exemple et l’intérieur aseptisé de l'appartement de Velarde ou encore avec la chaleur et la bonhomie d'Alfaro. Mais ce travail là, admirablement menée par le réalisateur et son chef op Alex de Pablo continue dans la deuxième partie du film ou ils ramènent de la couleur, de la variation et des sentiments, signe d'un récit qui s'emballe et ou chacun des protagonistes se retrouvent face à lui-même. Un rythme qui va crescendo et que le réalisateur maîtrise habilement, alternant les scènes d'expositions et les scènes violentes avec précaution, avec comme point d'orgue cette poursuite centrale fabuleuse.
Longue, imprévisible, sans fin, filmé caméra à l'épaule, on s'épuise au rythme des protagonistes, de plus en plus fatiguer, par la chaleur, par le poids de la tache et par l’impossibilité de coincer le criminel ! Une séquence pivot bien monter que Rodrigo Sorogoyen nous livre avec beaucoup d'application. A cela on peut ajouter une partition musicale signé Olivier Arson particulièrement anxiogène, qui résonne lourdement à chaque fois et qui amplifie le malaise de certaines séquences; les décors de Miguel Angel Rebollo, notamment des appartements, qui alternent entre épure (appt de Velarde) et habitats surchargés, des endroits détaillés et bien penser.
Quant au casting, c'est de la bombe tout simplement ! Javier Pereira dans le rôle d'Andres (le méchant) est un excellent choix. L'homme normal par excellence, courtois et poli, on ne se doutes de rien et c'est nombreux actes délictueux n'en sont que plus terrifiants. Puis il y a l'excellent Antonio de la Torre dans le rôle de Velarde. Impeccable caméléon qui surprend avec ce rôle de policier bègue, presque mutique, l'acteur tout en retenue ne cesse jamais de nous étonner pendant ces deux heures. Et enfin il y a Roberto Alamo, Goya du meilleur acteur en 2017, véritable révélation à mes yeux ! Il est épatant, sous sa carapace de machisme, il montre aisément toutes les failles de son personnages avec un jeu fait de coup d'éclat et de nuance, avec la touche de naturel qui désarçonne. Une excellente performance pour un goya amplement méritée ! 


Un thriller qui mérite le coup d'oeil !