Ce qui distingue le protagoniste de tous les personnages d’une histoire est sa volonté. C’est un être foncièrement volontaire.
Bien sûr, d’autres personnages peuvent faire montre d’inflexibilité et être particulièrement obstiné à obtenir quelque chose. Mais ils n’atteignent pas en cela la seule volonté de ce personnage principal de l’histoire.
Cette volonté ne se résume cependant pas à lutter contre l’inéluctabilité. Seule la faiblesse du héros pourrait être qualifiée de fatalité s’il ne pouvait y remédier.
Les forces qui vont venir s’opposer au protagoniste teste sa détermination à réussir. Mais sa volonté est ancrée dans le personnage. Et c’est la qualité de cette volonté qui compte. Et ce n’est pas parce que le héros possède une réserve infinie de volonté (bien qu’il sera amené au cours de l’intrigue à douter dans un grave moment de crise) qu’il peut atteindre son objectif malgré toutes ses tribulations à travers l’intrigue.
La volonté du héros doit être suffisamment puissante pour maintenir le désir à travers le conflit. Elle doit amener ce protagoniste à prendre les décisions et les actions qui aboutiront en fin de compte à un changement majeur et significatif de sa personnalité.
Blanche DuBois
Blanche DuBois est la protagoniste de Un tramway nommé Désir. C’est un personnage qui apparaît un peu passif selon Robert McKee. Elle semble faible, à la dérive, sans véritable volonté.
Pourtant, cette caractérisation cache une réelle volonté qui anime un désir inconscient : celui d’échapper à la réalité. Blanche fait tout ce qu’elle peut pour se protéger elle-même du monde extérieur dans lequel elle se sent… engluée.
Malheureusement, cette volonté qui l’anime ne la sauvera pas de la folie. Cependant, la plupart des protagonistes ne paraîtront pas aussi passifs que Blanche.
Il est nécessaire pour éviter la confusion du lecteur que le héros d’une histoire veut quelque chose dans celle-ci et cette volonté est incoercible. Il doit pouvoir prendre des décisions qui modifient le cours des choses.
L’objet du désir
Le protagoniste a un désir (c’est un objectif qu’il doit accomplir) et il le sait ainsi que le lecteur et généralement les autres personnages aussi.
Cet objet du désir peut être extérieur au personnage comme la destruction du requin dans Les dents de la mer ou bien interne à celui-ci. C’est le cas de Josh dans Big dont le désir (ou objectif) est une question de… maturité.
En d’autres termes, le héros sait ce qu’il veut. Pour la plupart d’entre eux d’ailleurs, un désir conscient et clair est suffisant.
Mais il est souvent judicieux de complexifier un peu le personnage en lui donnant aussi un désir inconscient et contradictoire.
Le personnage n’en est donc pas conscient mais le lecteur doit cependant pouvoir le saisir. Il doit percevoir chez ce personnage une contradiction intime avec son désir extérieur.
Pour Robert McKee, les désirs conscients et inconscients du protagoniste doivent se contredire. Ce qu’il croit vouloir (son désir extérieur) devrait être l’antithèse de ce qu’il veut réellement mais à son insu.
Le protagoniste sera à la poursuite de son objectif de manière convaincante
C’est-à-dire qu’il doit être crédible dans sa volonté farouche de réussir son objectif. Et cela ne signifie pas qu’il réussira cet objectif. Le désir du personnage doit être suffisamment réaliste en regard de sa volonté, elle-même soutenue par une motivation puissante et crédible.
Et cette motivation est elle-même étayée par les enjeux que risque le protagoniste dans l’histoire.
Le lecteur devrait croire ainsi que le protagoniste est tout à fait légitime dans ses actions et qu’il a aussi une chance de réussir ce qu’il entreprend (mais sans que son succès soit garanti).
Si le lecteur ne perçoit pas une possibilité de succès devant un protagoniste qui échoue à toutes les épreuves que lui tend l’intrigue, il se lassera. Parce que même dans la vraie vie, on a tous une chance (il faut au moins s’en persuader).
Et le personnage de fiction doit lui aussi avoir cette chance.
On a tous des rêves et nous les poursuivons. Peut-être parvenons-nous à les réaliser. Et parfois non… Mais nous gardons espoir jusqu’à la fin même si l’itinéraire est douloureux.
L’espoir de voir les choses changer n’est pas utopique. Le protagoniste a aussi cet espoir au fond de son cœur fictif et comme dans la vie réelle, les chances de réaliser ce rêve seront évidemment contre lui. Pourtant, elles doivent exister.
Il est de bon aloi aussi pour un protagoniste de traduire cette volonté inébranlable à travers des états psychologiques intenses. Tout dépend du genre de votre histoire mais le héros devrait être poussé au maximum de ses limites.
Les limites ne seront pas les mêmes entre une comédie romantique et une histoire fantastique.
Les limites d’une réalité fictionnelle
Selon Robert McKee, une histoire se construit classiquement autour d’un protagoniste actif (c’est-à-dire apte à prendre des décisions et d’agir afin que les choses puissent changer, en d’autres termes, quelqu’un qui s’engage) qui lutte essentiellement contre des forces externes (un antagonisme).
Le protagoniste poursuit un désir à travers une série d’événements survenant habituellement selon un ordre chronologique. Ces événements prennent place dans un cadre (la réalité fictionnelle) cohérent et sont reliés par un lien de causalité (un événement en entraîne un autre qui lui-même est la source d’un événement futur).
A travers ses épreuves et autres tribulations au cours de l’intrigue, le protagoniste en arrive à connaître lors du dénouement une transformation profonde et irréversible de sa personnalité.
La cohérence de la réalité fictionnelle implique de mettre en place un environnement (ou univers ou monde, selon les théoriciens) qui permet d’établir un mode d’interactions entre les personnages et cet environnement. Ces interactions assurent la cohésion entre les actes des personnages et la réalité fictionnelle dans laquelle ils sont jetés (ils ne peuvent sortir de cette réalité).
A moins de rechercher un sens d’absurdité (Monty Python : Sacré Graal, par exemple) où l’espace narratif saute sans recherche d’une cohésion particulière entre différentes réalités, la concordance entre les actes et l’environnement a pour fin de donner du sens à l’histoire.
Une réalité fictionnelle cohérente fait sens chez le lecteur parce qu’il ne perçoit pas d’une histoire un personnage isolé ou bien il ne considère pas l’environnement dont il aurait extrait les personnages (la réalité fictionnelle n’est pas une simple carte postale).
Au contraire, il englobe le tout. Et c’est ce tout qui lui permet de résonner avec l’histoire soit intimement (peut-être selon l’inconscient collectif tel que défini par Jung), soit peut-être que cela lui permet de transcender sa propre réalité et de s’élever vers des illuminations plus spirituelles.
L’irrésistible climax
Le climax, l’ultime action de l’histoire, doit apporter un sens de satisfaction au lecteur. Il faut que les questions dramatiques soulevées au cours de l’histoire soient résolues. On peut laisser une fin ouverte tel un sourire énigmatique sur le visage du héros qui peut être voulu par l’auteur pour des raisons qui lui sont propres, mais le lecteur ne peut refermer l’histoire en s’interrogeant encore sur des réponses qu’il n’a pas eues.
Un protagoniste doit aller jusqu’au bout des expériences qu’il est amené à vivre dans l’intrigue. C’est probablement ce que le lecteur attend de lui. Et le protagoniste est aussi un vecteur d’émotions.
Lorsqu’un auteur emmène son lecteur jusqu’à de tels pics émotionnels dans une fiction, il faut qu’il le rassasie en concluant les choses. Toutes les questions qu’il soulève au cours de l’histoire doivent trouver une réponse. Le climax est alors la réponse à la question dramatique centrale qui consiste à savoir si le héros a réussi ou non à atteindre son objectif.
La nécessaire empathie
Que le protagoniste soit un être sympathique ou bien profondément immoral n’élude pas le problème de l’empathie qui doit s’installer entre lui et le lecteur. Ce dernier doit pouvoir établir un lien empathique avec lui.
Cette empathie permet au lecteur de reconnaître dans un personnage de fiction une certaine humanité qu’il partage avec lui. Quelque chose doit résonner entre le lecteur et le protagoniste.
C’est paradoxal d’éprouver quelque chose envers un personnage de fiction comme s’il était un être réel. C’est peut-être un processus qui révèle notre propre complexité faite à la fois de notre instinct, de nos expériences vécues ou non et de notre intelligence toujours prompte à raisonner les choses à défaut de les méditer.
Et soudain, le lecteur se surprend à vouloir que le héros atteigne ce pour quoi il se bat. Peut-être se reconnaît-il dans ce combat ou non d’ailleurs mais il le comprend.