Quelle est la fonction essentielle d’un protagoniste ?
Elle consiste pour lui à poursuivre un désir (c’est-à-dire un objectif) qui est manifestement au-delà de ses capacités.
Consciemment et parfois inconsciemment, il se décide pour une action dont il pense, ou simplement ressent-il, que cette action lorsqu’elle sera lancée dans le monde lui amènera une avancée vers la réalisation de son désir.
De son point de vue subjectif, ce qu’il choisit de faire (et quelque soit l’étendue ou la portée de ses actes) aura des effets suffisants pour obtenir du monde la réaction qu’il en attend (et qui doit lui permettre d’avancer vers son objectif).
Mais au moment où il se décide d’agir, tout ne se conformera pas à ses attentes.
Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte dans les conséquences des choix du protagoniste.
D’abord, il est soumis comme dans la vie réelle à des conflits internes, à des contradictions entre par exemple ce qu’il lui faut faire pour réussir son objectif et sa morale.
Prenons le cas de Will Bowman de la série Colony. Son objectif est de retrouver son fils secrètement détenu dans une autre colonie auquel Bowman ne peut accéder.
Son désir est puissant et il est prêt à tout pour parvenir à ses fins jusqu’à rejoindre les forces gouvernementales à la solde des extraterrestres. Et pourtant, ce choix heurte violemment ses propres convictions.
Les relations entrent aussi en jeu
Les relations personnelles du protagoniste (des relations par lesquelles il se définit) influencent grandement les résultats qu’il espère de ses décisions.
Considérons que la famille soit un des thèmes majeurs d’une histoire. Le protagoniste est un père de famille. Il décide de changer de vie sans trop en parler à ses proches. Le jour où il a tout préparé (envoyer son supérieur hiérarchique sur les roses, vider son compte en banque…), il arrive devant la maison familiale avec un camping-car tout neuf et annonce sans aucune prudence que tout le monde déménage.
Les réactions de sa femme et de ses enfants formeront alors une forte opposition à ce départ. Chacun d’eux ayant ses propres raisons pour s’opposer ainsi à la volonté (donc à l’objectif) du père.
Que l’opposition soit interne ou externe, toute décision y fait immanquablement face. Le héros ne peut y échapper. Indirectement, une décision prise vient contrecarrer les projets du protagoniste. Et il se retrouve dans une position qui l’éloigne encore plus de son désir.
Des attentes souvent trompées
Ce serait trop facile et bien peu dramatique que les décisions du héros mènent à des résultats systématiquement positifs. En fait, il est préférable qu’elles déclenchent des forces antagonistes.
Il y a une différence entre le point de vue subjectif du protagoniste (qui agit parce qu’il estime qu’en prenant telle ou telle décision, il parviendra à avancer) et le résultat nécessairement objectif de ses actions.
Le point de vue subjectif du personnage dans une situation est forcément voilé. Ses expériences, ses relations, sa façon de penser les choses… Tout cela conduit à une appréciation ou une évaluation de la situation qui ne tient pas compte ne serait-ce que des possibilités réelles de réussite.
Et puis rien ne permet d’affirmer que la décision prise relève d’une vraie nécessité. Peut-être que le personnage vit dans le mensonge.
Comme dans la vie réelle, le personnage croit comprendre qui il est, croit connaître ses proches, possède un point de vue particulier sur le monde et sur la société… Il se comporte conformément à ses croyances, à ses valeurs et idéaux.
Il agit conformément à ce qu’il croit être sa vérité. Et il tient compte aussi de sa manière de percevoir son environnement. Un même environnement n’est pas perçu à l’identique par deux individus différents. Ce n’est pas toujours le cas d’ailleurs. En effet, deux personnages que tout oppose vivent dans le même environnement. Ces deux personnages ont apparemment une vue différente de cet environnement où ils vivent tous deux. Mais rien n’interdit dans le cours de l’histoire de démontrer que malgré les positions de ces individus qui les obligent à penser le même monde différemment, en leur for intérieur, ils aient le même désir de le fuir.
L’expérience du protagoniste
Nous sommes libres de nos choix. Même quand la nécessité l’exige, nous sommes encore libre de ne pas y succomber et de conserver notre liberté. Il y a une certaine vanité dans la nécessité. Y répondre nous fait peut-être perdre le sens que nous voulons donner à notre existence.
Nous agissons donc en croyant ce qui nous semble vrai. Mais chaque choix que nous faisons (qu’il soit spontané ou réfléchi) est fortement influencé par notre vécu. Que ce soit des expériences que nous avons éprouvées ou bien le fruit de notre imagination, nous choisissons d’agir parce que ces expériences nous ont presque convaincu qu’en agissant ainsi, nous obtiendrons telle ou telle réaction du monde extérieur.
Et cette réaction du monde extérieur qui n’est pas celle que nous attendions nous oblige à y faire face. Mais cette fois, nous ne pouvons plus nous fonder sur notre expérience, sur nos valeurs pour répondre à cette réaction du monde.
Il nous faut creuser davantage en nous pour aller à la rencontre de nous-mêmes et découvrir de nouvelles valeurs plus adéquates vis-à-vis du monde.
C’est ainsi qu’un personnage de fiction comprend que les premiers choix qu’il fait dans son aventure ne lui permettront pas de résoudre son problème parce qu’il réagit selon une vérité qui ne convient pas à la nature de ce problème.
Ce dernier est nouveau pour lui. Et les anticipations qu’il avait l’habitude de formuler dans son quotidien s’avéreront fausses.
Les actions que le protagoniste fera au fur et à mesure de l’intrigue le rapprocheront de sa vérité parce qu’elles seront pour lui autant de facteurs de risque. Un risque qu’il avait soigneusement évité lors de ses toutes premières décisions. Il est maintenant prêt à perdre pour obtenir ce qu’il veut.