Pour son dernier film, Luc Besson nous propose un space opera ambitieux associé à un univers riche et haut en couleurs.
Le cinéma de Luc Besson ne fait pas toujours l’unanimité et Valérian et la cité des mille planètes n’échappe pas à la règle. Le réalisateur a donc fait un pari très risqué, au vu de la démesure du projet (avec un budget de 197 millions euros) pour un film produit majoritairement en France. Ce pari est d’autant plus risqué que le paysage cinématographique français n’est pas forcément friand de SF. Rien que pour l’année 2016, un seul film de science-fiction (Arès) est sorti dans la langue de Molière. Luc Besson nous propose ainsi une adaptation de L’Ambassadeur des ombres, sixième tome de la bande-dessinée Valérian et Lauréline écrite par Pierre Christin et dessinée par Jean-Claude Mézières, qui fête aujourd’hui ses 50 ans. Dans l’ensemble, le pari est réussi que ce soit d’un point de vue cinématographique ou en termes d’adaptation. On sent tout particulièrement l’amour que Besson possède pour l’œuvre originale, ce qui par moments peut faire défaut au film.
La qualité majeure de Valérian réside dans l’univers riche que Luc Besson présente au spectateur. Chaque scène et créature présentées possèdent une colorimétrie propre et traduisent leur caractère unique et leur diversité. Cela est clairement mis en évidence dès les premiers plans du film et au fur et à mesure que nos héros explorent la cité Alpha. Les Pearls, par leur design et leurs tons pastels et chauds, incarnent totalement le travail créatif énorme qui a été accompli par le cinéaste et ses équipes (intermittents du spectacle, étudiants, etc.). D’ailleurs, la plupart des choix de colorimétrie ainsi que certains plans sont repris directement des cases de L’Ambassadeur des Ombres. La richesse du métrage se reflète également par la profusion de personnages secondaires que Besson prend le temps de développer pour leur donner une personnalité à part entière, comme il a pu le faire pour Le Cinquième élément. Certains des êtres qu’il dépeint possèdent même des designs très originaux (comme celui de Bob joué par Alain Chabat), qui à eux seuls racontent une histoire, mais malheureusement, largement sous-exploités.
Comme à son habitude, l’auteur exploite avec passion des références cinéphiliques volontairement appuyées (2001 : L’odyssée de l’espace, Star Wars, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?), mais aussi des inspirations plus contemporaines, notamment dans le domaine du jeu vidéo avec la dynamique de la réalité virtuelle (plans à la première personne) et des RPG (avatars avec une icône au-dessus de la tête). Cette richesse visuelle s’accompagne d’une mise en scène grandiose qui passe par l’usage de plans vertigineux et de nombreux travellings. La séquence du Big Market est en cela la plus aboutie de tout le film. Besson parvient magnifiquement à passer du monde virtuel au monde réel en utilisant des transitions douces (wipes, fondus, etc.) associé à un travail de montage remarquable. La séquence de course-poursuite au travers des murs de la cité Alpha par le héros est également très marquante et permet au spectateur, à l’aide de plusieurs plans séquences, de s’émerveiller une fois de plus face à la beauté de l’univers présenté et de comprendre la complexité du monde dans lequel vivent les protagonistes. A côté de cette réalisation vertigineuse, la musique d’Alexandre Desplat permet de transporter le spectateur et de favoriser son immersion dans l’oeuvre.
Malheureusement, la richesse du film est aussi son défaut car le spectateur peut s’y perdre très facilement au vu de la quantité d’informations qu’il doit traiter. Le scénario, très basique (une enquête policière assez évidente), souffre des mêmes travers et perd également le spectateur dans sa seconde partie. On sent notamment que les séquences des boulan bathor et avec le glamopode Bubble (Rihanna) sont là juste pour le plaisir et le fun. C’est plutôt une déclaration d’amour de Besson à l’œuvre originale (ces séquences s’inspirent directement de la bande-dessinée) qu’une occasion de faire avancer l’intrigue principale. En cette dernière se révèle parfois laborieuse à cause d’éléments pas toujours bien amenés et par le raisonnement de certains personnages pas toujours bien justifié.
Toutefois, certains choix scénaristiques intéressants compensent ces faiblesses. Contrairement à ce que l’on a l’habitude de voir dans les blockbusters, les militaires ne sont pas traités comme les gros méchants de l’histoire, qui s’obstinent à continuer dans la même voie malgré les avertissements des protagonistes principaux. Ici, l’armée ne fait que son travail et sait réfléchir quand les circonstances l’exigent. Valérian et Lauréline sont aussi traités de la même manière. Chacune de leurs actions est réfléchie de manière intelligente et même s’ils peuvent paraître agaçants, ils n’en restent pas moins attachants. En tout cas, leur traitement par Besson est relativement fidèle à l’œuvre originale et Dane DeHaan et Cara Delevingne arrivent à donner vie à ces personnages avec justesse. Il existe par ailleurs une assez bonne alchimie entre nos deux protagonistes et l’idée de ne pas faire une origin story est bienvenue pour les introduire et justifier leur relation. Il est dommage que certains personnages secondaires ne soient pas plus exploités dans l’intrigue (comme celui de Bubble) afin de donner encore plus de profondeur aux héros par leurs interactions avec ceux-ci.
Malgré ses quelques défauts, Valérian et la cité des mille planètes possède plusieurs thématiques intéressantes. Besson insiste tout particulièrement sur l’aspect anti-Marvel du film, déjà, par le biais de son personnage principal, qui correspond au profil même de l’antihéros. Comme le dit le cinéaste lui-même, Valérian est un personnage un peu prétentieux qui « se la joue un peu » mais finalement, qui est plus proche de nous, spectateurs. Avec lui, il casse d’une certaine manière le mythe classique du super-héros. Même la trame narrative est construite sur le même schéma. Il n’y a pas de super vilain ou de menaces qui nécessiteraient la présence de super-humains pour protéger la planète Terre. Ici, tout est une question de choix : le choix d’aimer ou de ne pas aimer, le choix de se protéger ou de protéger les autres. Cet aspect ressort également avec l’acceptation de ses propres faiblesses et de celles des autres. Cela se reflète parfaitement avec les personnages de Valérian, intelligent et romantique, et Lauréline, pragmatique et sensible, ainsi qu’avec celui de Bubble, forte en surface mais fragile à l’intérieur, qui fait sens avec la thématique de la femme forte et fragile, que Besson a développé tout au long de sa filmographie. De la même manière, les deux héros acceptent leurs faiblesses et les erreurs mutuelles pour progresser au mieux dans leur aventure.
Finalement, tout l’univers et l’histoire qui nous sont racontés sont au service d’un message de coexistence et de paix de la part de Luc Besson. L’idée ici est de faire comprendre au spectateur qu’un peuple ne peut pas décider de l’avenir d’un autre seulement à partir de sa propre grille de lecture. Il y a une possibilité de coexister tout en coopérant avec les autres espèces sans les piétiner ou en leur manquant de respect car aucune puissance dans la cité Alpha n’impose sa loi (excepté comme à l’habitude les humains). La magnifique introduction du film et les Pearls, en eux-mêmes, illustrent parfaitement ce message, même s’il peut paraître superficiel. Ce long-métrage se situe ainsi dans la continuité de la thématique de l’autodétermination des peuples prônée par Christin et Mézières dans L’Ambassadeur des ombres. Au final, Valérian et la cité des mille planètes est un pur produit de notre contexte sociétal actuel (celui de la montée des extrêmes, du terrorisme et du néolibéralisme) qui semble illustrer une volonté de plus en plus importante de contrôler les peuples pour imposer sa propre loi sans respecter celle des autres alors que tout cela est souvent une question d’égo (ce qu’incarne totalement le Commandeur joué par Clive Owen). Le respect, le pardon et l’amour sont ce qui motivent les personnages à avancer et ce qui semble pour Besson être majeur afin de lutter contre la tendance sociétale actuelle. Le cinéaste a voulu nous faire rêver une fois de plus avec une ambition louable, et l’essai s’avère transformé malgré les faiblesses de l’ensemble… Donc merci Luc Besson.
Réalisé par Luc Besson avec Cara Delevingne, Dane Deehan, Clive Owen, Rihanna…
Sortie le 26 juillet 2017