Comédie & thriller combinés (1)

Par William Potillion @scenarmag

La comédie et le thriller sont deux genres bien différents. Leurs buts respectifs ne se contredisent pas mais il ne semble cependant pas évident de les utiliser tous deux dans une même œuvre.
Et si… nous tentions cependant de le faire.

Le thriller possède des principes, des conventions et des techniques narratives qui lui sont propres. Tenter de le lier à la comédie s’avère de prime abord problématique.
Pour John Truby, ce genre métis est difficile à écrire parce que les éléments qui fondent la comédie s’accordent mal avec le ton exigé pour créer des frissons et de l’effroi.

Le problème qui se présente à l’auteur est qu’il tente de s’adresser à deux lectorats différents. Dans la comédie, lorsqu’il décrit les épreuves difficiles par lesquelles passe son personnage, cela est censé provoquer le rire. Mais dans un thriller, ces mêmes épreuves provoquent un sentiment bien différent.
L’étude serait donc d’examiner les principes, conventions et techniques narratives qui permettraient de combiner à la fois la comédie et le thriller sans trahir aucun de ces derniers.
C’est-à-dire en respectant l’essence de ces deux genres spécifiques, à savoir le rire et le suspense.

Il va falloir combiner les émotions dissemblables de deux lecteurs qui n’attendent pas la même chose d’une fiction.

Fondre les éléments de deux genres

Pour se faciliter la tâche, il est bon de poser d’abord la prémisse d’un thriller comme par exemple :
Prendre ses responsabilités pour se sauver soi-même

dont on peut imaginer le pitch suivant :
Un jeune homme chargé de l’entretien dans un grand groupe industriel découvre par hasard la menace pour l’environnement que représente la mise en service d’une nouvelle usine.
Au risque de sa propre vie, il prendra la décision de révéler au monde des secrets machiavéliques.

Concernant la prémisse et le pitch, nous vous conseillons la lecture de :

Le déroulement de l’intrigue pourrait alors s’articuler sur les événements suivants :

  1. L’enquête de notre antihéros progresse alors qu’il collecte de plus en plus d’informations sur le danger que représente l’usine. Il commence à élaborer un plan pour détruire cette menace.
  2. Le méchant de  l’histoire (un industriel puissant) se rendant soudain compte que notre antihéros devient dangereux décide de faire pression sur lui en tenant en otage sa petite amie.
  3. Dans une tentative pour la libérer, notre antihéros (qui appartient cependant au panthéon héroïque) échoue misérablement. Lui-même et sa petite amie se retrouvent enfermés au cœur de l’usine dont la mise en service est imminente.
    La fin semble proche alors que tout semble perdu.
  4. Mais notre désormais héros trouve en lui la force de continuer à se battre. L’amour entre lui et sa petite amie est véritablement sincère. Et il veut pouvoir vivre cet amour dans un monde sain.
    Ils parviennent à s’échapper de cette prison qui les destinaient à une mort certaine.
  5. Le héros se retrouve seul face au méchant de l’histoire pour une ultime confrontation. Il en sortira vainqueur pour divulguer auprès du monde la terrible menace.

Les faits décrits offrent à l’auteur un véritable défi. Puisqu’il devra préserver  le suspense tout en cherchant le rire de son lecteur. C’est pour cela que Truby considère que mélanger la comédie et le thriller est un exercice difficile simplement parce que vouloir créer un antagoniste crédible dans un thriller le rend si cruel que la comédie ne peut gérer un tel comportement.

La démarche possible pour un tel hybride

Nous pouvons distinguer quatre principes à l’œuvre dans une fiction.

  1. Une ligne conductrice qui est une sorte de structure qui englobe toute l’histoire et qui lui donne un sentiment de complétude. En somme, il y a un point de départ et un point d’arrivée. Entre les deux sont établies un certain nombre d’étapes qui forment cette structure.
  2. Un monde délimité qui décrit l’environnement ainsi que les objets qui peuplent ce monde spécifique et qui ont un impact à la fois sur les actions des personnages ainsi que sur les réponses psychologiques de ces personnages aux événements.
  3. Le temps à la fois chronologique mais aussi psychologique (la notion de durée est différente selon les personnages) dans lequel l’histoire s’installe.
  4. L’éthique des personnages qui décrit le code moral qui influence les choix dramatiques qu’auront à faire les personnages.

Nous appliquerons ces quatre principes à l’étude du thriller dans la suite de cet article.

Il est important d’étudier aussi les principes qui régissent une comédie.
Nous avons déjà abordé cette problématique :

  • RIRE ET COMEDIE : POURQUOI RIONS-NOUS (1)
  • RIRE ET COMEDIE : POURQUOI RIONS-NOUS (2)

Voici quelques conventions que nous pouvons noter dans une comédie et qui, séparément ou en combinaison, définissent le comportement du personnage ainsi que sa réaction aux circonstances dans lesquelles il est jeté. Ces conventions ont pour finalité de préparer le rire du lecteur.

La répétition

La répétition sert habituellement à renforcer d’autres outils narratifs. C’est un élément vital de l’humour. La répétition sans nul doute rapproche le lecteur de l’histoire. Elle crée une sorte de familiarité qui facilite le rire qu’une distance respectueuse retient (socialement préférable).

Lorsque l’on répète la même chose encore et encore, l’agacement devient vite amusement. La répétition est foncièrement une matière à rire.
Elle consiste aussi souvent à réitérer la même scène ou la même situation.

L’inversion

Tenter délibérément d’être amusant est certainement la meilleure façon de ne pas l’être. L’inversion d’idée presque naturelle consiste en somme à dire l’inverse de ce que l’on cherche à dire.
Comme l’écrivait Mark Twain :
Plus vous me l’expliquez et moins je le comprends.

L’inversion de rôles est aussi une technique narrative qui intervient dans la formation de l’humour et partant du rire. Il s’agit de modifier par inversion les rôles des personnages. Contrairement au travestissement, il ne s’agit pas de porter un masque mais de se glisser dans les souliers d’un autre personnage. Par exemple, le maître qui devient le valet.
L’inversion, c’est aussi l’arroseur arrosé.

L’interférence des séries

La répétition, l’inversion et l’interférence des séries sont des procédés comiques mis en avant par Henri Bergson.
Cette interférence des séries revient essentiellement à la nature du quiproquo. C’est-à-dire lorsqu’une série d’événements peut s’interpréter dans deux sens différents.

Ainsi un personnage règle sa conduite sur une interprétation des événements auxquels il applique sa propre logique. Mais la réalité des choses est toute autre.
Un second personnage fait de même. Mais comme chacun de ces personnages ne lit pas les mêmes faits à l’identique, il y a nécessairement équivoque.

Le travestissement et l’exagération

Le travestissement est différent de l’inversion de rôles. Cela concerne davantage le masque pour prétendre d’être quelqu’un que l’on n’est pas. Et parfois même, cela permet de devenir ce que nous sommes vraiment.

Le travestissement devient vite une sorte d’exagération des choses afin de faire passer avec plus de force certaines idées. On peut aborder ainsi des questions sur l’intégration, sur la différence de classes, sur l’acceptation de soi ou des autres…
Certains l’aiment chaud use de cet artifice comique.

Dans le prochain article, nous tenterons de voir si ce genre hybride entre thriller et comédie est efficace vis-à-vis du lecteur et s’il est seulement possible.