Une violente complaisance pour « Une Femme Douce ».

Une violente complaisance pour « Une Femme Douce ».

Accueilli sous les huées lors du dernier Festival de Cannes, alors présenté en Compétition, le dernier film de Sergei Loznitsa exaspère le spectateur par sa peinture sec, brutale et pourtant bien lourde d'une société russe égoïste retranchée dans une extrême violence.


Autrefois spécialisé dans le registre du documentaire, Loznitsa conserve sa trace d'observateur du monde en ayant le soin de nous montrer la Russie dans ses moindres recoins. Ainsi s'enchaînent les plans d'ensemble filmant le quotidien de ces citoyens désabusés dans des situations aussi simples qu'une attente dans un arrêt de bus. Le réalisateur observe et tacle sévèrement une société ravagée par son entre-soi cruel. En suivant la descente aux enfers de cette héroïne-martyr, il n'épargne rien et montre un mal présent partout. Qu'il soit dans la bureaucratie carcérale, la Mafia ou chez des citoyens lambdas, le Mal est définitivement partout pour en faire baver à notre héroîne, ainsi qu'au public de ce cauchemar.

Car si Lonitza prouve sa maîtrise de la mise-en-scène, il perd de contrôle la force de son écriture. Plombée par son importante durée, on parle tout de même de 2h20, le chemin tortueux de cette jeune femme nous paraît rapidement vain à mesure de voir le monde entier s'acharner sur son sort. Là où un telle injustice (où s'accumulent insultes, tentative de proxénétisme et menaces autoritaires) commence à nous paraître répétitif, cet acharnement réussi à provoquer une colère noire lorsqu'il prend un virage onirique inattendu dans son dernier acte enfonçant avec lourdeur le message qu'il veut nous faire passer. Pendant un quart d'heure, étant à la place de l'héroïne en tant que spectatrice, nous assistons à une cérémonie totalitaire où chaque personnage rencontré durant ce voyage réapparaît sous forme de décoration, prononçant chacun une éloge envers le système avec une telle répétition que cela en devient vite pesant.

Assistant à un acte criminel d'une rare violence en guise de conclusion, le spectateur est aussi énervé que le réalisateur. Sauf que là où Loznitsa se complaît à faire passer sa colère sur grand écran, il oublie que le spectateur peut être vite agacé devant une telle succession de violence montrée à l'écran quitte à en oublier ce que le film veut véritablement dénoncer. Une Femme Douce perd l'intégralité de sa force ravageuse pour ne laisser au final qu'un processus de dénonciation vite superficiel, rappelant ce qu'avait pu faire un auteur comme Ken Loach l'an dernier avec Moi, Daniel Blake.

Victor Van De Kadsye