Comédie & thriller combinés (5)

Dans l’article précédent, nous avons aperçu que les moyens de la comédie n’entreraient pas facilement avec les techniques narratives du suspense.
L’idée, cependant, est de planifier des moments dans l’histoire qui généreront du suspense comme pourrait le proposer n’importe quel thriller. Et de ne pas faire l’inverse. C’est-à-dire insérer de force des moments de pure comédie dans un thriller.

Pour ceux d’entre vous qui ne seraient intéressés que par le thriller, cet article abordera quelques théories sur la psychologie du suspense. Plus précisément, sur l’état psychologique du lecteur qui participe à une expérience de suspense dans le contexte d’un thriller.

Pour cette série d’articles sur la possible hybridation de la comédie et du thriller, peut-être qu’en nous donnant quelques connaissances sur cet état psychologique, pourrions-nous inventer ces moments de suspense et les intégrer alors dans une histoire dont le genre serait la comédie. Du moins, si cela est possible. Je pense, néanmoins, que l’inverse est préférable.
Selon certaines études, sous le suspense existe un sentiment troublant d’anxiété lui-même généré par un sentiment de culpabilité refoulée. Le suspense ressenti par le lecteur serait ainsi induit par une expérience de culpabilité par personnage interposé.
C’est-à-dire par l’observation de la détresse du protagoniste dans certaines circonstances.

Cette expérience n’est possible que parce que l’auteur a su créer une illusion de réalisme dans le monde fictif. C’est la participation du lecteur dans l’expérience fictive qui encourage le suspense. Cela est d’autant plus facilité qu’un scénario est destiné à un média visuel offrant l’apparence de la réalité à notre perception.

Une acceptation du monde fictif

Nos sens nous renvoient l’apparence de la réalité. Et il nous faut accepter volontairement cette réalité fictive de l’histoire. Ce qui implique qu’un lecteur doit s’identifier très tôt au personnage principal.

La survenue de l’incident déclencheur qui menace l’équilibre de la vie actuelle du protagoniste sera d’autant mieux perçue par le lecteur qu’après l’identification au héros, le lecteur s’attend à le voir faire les choix qui permettront à l’histoire de se déployer.

Mais ces choix souhaités par le lecteur mettent le héros en péril (sinon il n’y aurait pas d’histoire). Et ce serait ainsi que le lecteur se mettrait à éprouver un vague sentiment de culpabilité en reportant sur lui-même une part de la responsabilité de la situation difficile dans laquelle le protagoniste s’est jeté.
Puisque le lecteur souhaite inconsciemment (ou non, d’ailleurs) cette situation.

Et cette responsabilité intensifie l’identification au héros. Les choix périlleux que devra prendre le héros au cours de l’histoire appellent une menace de châtiment en conséquences. Cette menace est ressentie par le lecteur ce qui cause en lui de l’anxiété.

Le suspense est affaire de tension dramatique. La proximité d’un châtiment pour le héros dont le lecteur s’est convaincu (et se persuade d’ailleurs tout au long de l’histoire surtout s’il s’agit d’un thriller) l’exhorte à exiger du héros une réponse de fuite ou de combat.
Tant que cette réponse n’est pas satisfaite, le lecteur est dans cette attente continuelle ce qui provoque en lui une sensation pénible et de la tension que l’on peut reconnaître alors comme du suspense.

Le suspense est un dilemme

Les personnages ont des désirs et des peurs tout comme dans la vraie vie. Entre ces deux concepts, un conflit existe. Il y a une hésitation continuelle à choisir entre deux actions. Cette hésitation crée un dilemme qui lui-même crée de la tension dramatique.
Le suspense naît de cette hésitation.

Par ailleurs, certaines théories minimisent le rôle de l’empathie envers le personnage principal dans la création du suspense. Ce serait davantage une réponse anxieuse du lecteur aux événements auxquels il assiste par personnage interposé. Ces événements évoqueraient chez le lecteur une peur qui lui serait personnelle.
Ce ne serait donc pas l’identification (c’est-à-dire l’empathie) qui préparerait le terrain au suspense. Par exemple, si le protagoniste erre dans un endroit sombre et humide et qu’il se retrouve soudain couvert de la tête aux pieds par des tarentules, le lecteur frissonnera non pas parce qu’il se met à la place du héros mais simplement parce que cette scène a évoqué en lui une peur somme toute universelle.

Tout cela n’est évidemment que des hypothèses. Mais il est bon de tenir compte de la psyché du lecteur et de ses réponses lorsque l’auteur construit ses scènes et qu’il souhaite créer du suspense. Les conventions du thriller se résume dans les faits en un lecteur qui est conscient qu’un personnage important de l’histoire risque de mourir à tout moment (même s’il ne veut pas y croire) et il est dans l’attente malgré lui que l’inévitable se produise.

N’empêche que si nous souhaitons inclure un élément de comédie dans le cadre d’un thriller, nous courrons toujours le risque de subvertir le potentiel de suspense nécessaire au thriller. Si nous respectons cet aspect réaliste nécessaire pour la création du suspense et que nous élaborons un personnage empruntant les traits d’une personne réelle, nul doute que nous faciliterons l’identification du lecteur au personnage.
Lorsque ce dernier sera placé dans des situations difficiles, nous aurons alors le suspense désiré mais nous saperons probablement l’effet comique.

Monte là-dessus

A moins de faire comme Harold Llyod, le protagoniste de Monte là-dessus. Tout au long de l’histoire, le lecteur est piégé entre les possibilités opposées qu’elle propose entre l’effroi (les obstacles continuels d’étage en étage jusqu’au climax de l’horloge) et le rire.
Le personnage de Harold existe dans un monde caractérisé par son réalisme en lequel des choses folles lui arrive en conséquence de la question dramatique (pourra-t-il trouver l’argent qu’il lui manque pour se marier ?)
Et dans la foulée sortir du mensonge qu’il est vis-à-vis de sa fiancée.

Maintenant, la théorie est une bonne chose mais d’un point de vue pratique, elle ne nous permet pas de noircir les pages.
Par contre, les attentes du public lorsqu’il s’agit d’un thriller ou d’une comédie nous donne de la matière. Dans les prochains articles, nous nous pencherons encore plus sur les conventions, les principes et les techniques narratives de ces deux genres.

Il est inutile de cacher que l’exercice ne sera pas facile de mélanger ces deux genres au sein d’une même histoire. Car les conditions exigées pour générer du suspense sont en parfaite contradiction avec celles nécessaires pour entraîner le rire du lecteur.
La principale différence est liée à l’environnement. Du côté du thriller, il est indispensable de recréer une réalité pour que le suspense prenne place. Et du côté de la comédie, le rire ne peut être suscité que si notre réalité est suffisamment tordue pour que cela soit possible.