De ce que nous avons vu jusqu’à présent, nous pouvons considérer que le suspense ressenti par le lecteur est d’autant plus intense lorsque le protagoniste est piégé dans un état psychologique d’indécision entre deux actions (ou choix) opposées.
Aucune d’entre elles n’est cependant préférable. Elles sont toutes deux assez désagréables en fait.
Nous avons vu aussi que l’ironie dramatique joue un rôle important dans l’établissement du suspense. Il est très important aussi qu’un sentiment de réalisme englobe le monde fictif. Cela est indispensable au thriller pour générer du suspense, la marque de ce genre particulier.
Cette perception de la réalité du monde de l’histoire permet non seulement de l’accepter le temps d’une fiction mais convainc aussi le lecteur que les personnages peuvent être blessés ou tués.
Le réalisme est donc un impératif du thriller et renforce l’identification avec le personnage principal et son problème. Cet impératif de réalisme lié au thriller autorise l’empathie et permet de partager le suspense.
Avant d’aborder dans le prochain article, les conventions, les principes et les techniques narratives liés à la comédie, résumons ce qu’exige le thriller.
Le cadre du thriller
Il s’agit de recréer un environnement où les lois de la vie et de la mort s’appliquent. C’est une recréation de la réalité.
L’acte Un
La mise en place
Il s’agit d’introduire le personnage principal dans son quotidien. Un monde ordinaire tout à fait commun avec celui du lecteur.
L’incident déclencheur
Dans un thriller, l’incident déclencheur consiste en la rencontre entre le protagoniste et l’antagoniste. Cette rencontre permet d’établir le problème majeur pour le protagoniste. Un problème qu’il devra solutionner d’ici la fin de l’histoire.
Le protagoniste conçoit un désir à satisfaire (son problème à résoudre). Mais pour que ce désir puisse être comblé, le protagoniste devra au préalable répondre à un besoin interne (comme par exemple de vaincre sa peur du vide…).
L’acte Deux
L’entrée dans l’acte Deux
C’est un point de non retour. Le héros a décidé de prendre en charge son problème. A partir de ce moment et jusqu’au point médian, certaines actions vont aggraver le problème du héros.
Il peut certes remporter quelques victoires mineures mais elles ne lui apprennent rien. L’idée d’une intrigue est que le héros découvre sur lui-même certaines vérités.
Mais ce n’est pas en contemplant sa vie et le monde qu’il y parviendra. Il doit souffrir pour cela. Pratiquement, ce sont ses tribulations au cours de l’intrigue, les obstacles qu’il doit surmonter, qui lui permettront d’aller à la découverte de lui-même.
Le point médian
Traditionnellement, le point médian qui est approximativement le milieu de l’histoire qui peut s’étendre sur plusieurs pages illustre une victoire écrasante de l’antagoniste. Le héros en concevra un désespoir profond.
Il lui semblera que tout est perdu. Certains auteurs nomme cette crise majeure du protagoniste le All is Lost (Tout est perdu).
Elle est cependant nécessaire car elle lui permettra de se ressourcer, de trouver en lui une énergie qui lui permettra enfin d’affronter lors du climax ses forces antagonistes.
La fin de l’acte Deux
Elle correspond justement au moment où le héros sort de son désespoir. Il a trouvé en lui la force nécessaire pour rendre coup pour coup, pour se battre ou se défendre.
L’acte Trois
Le climax
L’ultime confrontation avec l’antagoniste. Comprenez que ce dernier combat n’a de chances de succès que parce que le héros a appris au cours de l’intrigue non seulement comment il pouvait vaincre l’antagoniste mais aussi parce qu’il a su surmonter ses propres faiblesses.
Le héros ne peut affronter son ennemi s’il se présente à lui avec des défauts dans sa cuirasse. Car par une sorte de préscience, le méchant de l’histoire sait où frapper le protagoniste. Il connaît sa faiblesse. Il est donc vital et pour le héros et pour la satisfaction du lecteur que ce dernier soit convaincu que le héros est devenu un être meilleur.
Sans transfiguration de la personnalité du protagoniste, ce dernier ne peut vaincre l’antagoniste. Est-ce que le chef Brody des Dents de la mer aurait-il pu tuer le requin s’il n’avait surmonté sa phobie de l’eau ?
Est-ce que cet acteur qui connaît une traversée du désert pourrait-il décrocher le rôle de sa vie s’il n’assume pas sa différence, que ce lover à l’écran est gay dans l’intimité ?
Quatre principes du thriller
La ligne dramatique majeure
Elle débute avec l’incident déclencheur. Dès la formulation du problème qui va préoccuper le protagoniste tout au long de l’intrigue, le lecteur s’accroche à ses basques. Il y a une participation du lecteur car celui-ci tentera d’anticiper la solution du problème. Et l’auteur le mènera sur des fausses pistes.
Une exigence du thriller est la satisfaction du lecteur. Celui-ci s’attend à ce que le problème soit résolu à la fin de l’histoire. Sinon, il sera frustré.
Par exemple, dans Cinq heures de terreur de Kem Bennett, le Major Peter Lyncort parvient juste à temps à jeter la bombe hors du train. Celle-ci explose alors sans faire de dégâts. Le dénouement montre alors Lyncort et Janine, sa femme, s’éloignant serrés l’un contre l’autre.
Un monde borné
Le protagoniste est confiné dans un espace clôt ou symboliquement clôt (par la situation ou les circonstances). Il lutte contre les forces antagonistes et tente de résoudre son problème à l’intérieur de certaines limites.
Ce confinement est nécessaire à l’établissement du suspense. Et sans suspense, il n’y a pas de thriller. La tension dramatique issue du suspense est indispensable au thriller. Par exemple, Panic Room.
La durée
La tension dramatique dans un thriller réclame que l’action soit resserrée dans sa durée. Ce n’est pas tant une question de rythme mais plutôt d’échéance comme une bombe à retardement.
L’auteur doit créer une urgence dans la situation. Cette urgence est une marque de fabrique du thriller.
L’éthique des personnages
Elle intervient essentiellement entre les codes moraux du protagoniste et de l’antagoniste. L’antagoniste tout comme le héros de l’histoire possède son propre objectif.
Et il ne reculera devant rien pour l’accomplir. Comme l’activité du héros représente une épine qu’il faut retirer, l’antagoniste apparaît comme voulant nuire au protagoniste. Mais ce qu’il ne cherche qu’à faire, c’est de réaliser son objectif. Pour lui, son intention est juste.
Concernant le thriller, la menace de meurtre que l’antagoniste véhicule fait non seulement partie de ce qu’il considère comme bien pour lui mais ajoute aussi au suspense.
Notre prémisse
Si nous reprenons notre pitch :
Un jeune homme chargé de l’entretien dans un grand groupe industriel découvre par hasard la menace pour l’environnement que représente la mise en service d’une nouvelle usine.
Au risque de sa propre vie, il prendra la décision de révéler au monde des secrets machiavéliques.
Donc notre jeune homme sera terrifié par les conséquences de la mise en service de cet usine. On peut prévoir qu’au préalable du climax, il devra affronter d’abord ce qui l’effraie le plus qui consistera à ne pas pouvoir aimer et vivre pleinement avec sa petite amie du fait des risques que fait encourir cette usine à toute la communauté. Ensuite il combattra l’origine même du mal à savoir cet industriel puissant qui met en avant ses propres intérêts avant ceux de la majorité.
On pourrait aussi envisager un cas de conscience chez notre héros. Par exemple, l’antagoniste pourrait lui proposer une vie dorée à lui et à sa petite amie à condition qu’ils disparaissent et lui laissent les coudées franches. Cette option tout comme celle de révéler la vérité sont autant difficiles pour le héros car l’une comme l’autre viennent avec un sentiment de culpabilité.
Le prochain article traitera des principes, conventions et techniques narratives de la comédie.
Nous nous rapprocherons ainsi de notre démarche pour intégrer à ce pitch des éléments de comédie sans nuire au suspense du thriller.