Comédie & thriller combinés (8)

Depuis nos précédents articles, nous avons déduit que l’inclination à rire ou à ressentir de l’effroi était gouvernée par l’environnement crée par l’auteur.
La comédie, cependant, est une façon de voir notre monde. Et cette perspective peut être partagée avec le lecteur.

Certains auteurs estiment que rien n’est fondamentalement amusant ou triste. Tout dépend de la façon dont on voit les choses. Ainsi, des amants qui font face aux obstacles posés par leurs familles respectives peuvent faire l’objet d’une comédie romantique mais être aussi au cœur d’une tragédie comme Roméo et Juliette.
Mais la différence entre la comédie et le suspense est une corde raide car l’atmosphère spécifique que requiert ces deux genres peut mener le lecteur à rire lors des moments de suspense et à s’inquiéter pour les personnages lors des moments de pure comédie.

L’exemple du Flic de Beverly Hills

A l’origine Le flic de Beverly Hills a été écrit comme un thriller avec Sylvester Stallone pressenti pour le rôle principal. Lorsque Stallone céda la place à Eddy Murphy, tout le projet devint une comédie avec très peu de modifications du scénario.

Il est indéniable cependant que la comédie suggère un environnement sauf, qui se plie aux exigences de l’action. Le lecteur qui connaît les conventions de la comédie sait bien que l’auteur n’autorisera pas ses personnages à être blessés ou tués. Même la comédie horrifique peut tourner au burlesque en exagérant la violence.
L’exagération qui est une technique narrative singulière de la comédie dépouille l’horreur de son impact dramatique.

Dans la comédie, le lecteur doit sentir que quoi qu’il arrive aux personnages, les voir se débattre sous les coups de fouet de la vie comme l’écrit Robert McKee ne leur porte aucune conséquence tragique.

Lorsqu’un auteur opte pour un genre, il s’adresse à un lectorat particulier. Ce lectorat connaît et apprécie les conventions du genre. Il sait qu’il va rire ou bien qu’il aura peur.
Tout dépend du monde que décrit l’auteur. Soit il illustre un environnement sain et qui ne porte pas atteinte aux personnages trichant ainsi avec la réalité soit il cherche à recréer la réalité, c’est-à-dire un canevas où les personnages encourent un véritable danger de vie ou de mort.

Et puis l’effet comique d’une scène disparaitra si vous ajoutez du sang autour d’un membre qui s’extirpe d’un amas de débris après un éboulement. En somme, comme le résume Robert McKee, l’auteur qui s’attelle à la comédie fera passer son protagoniste dans les tourments de l’enfer tout en rassurant son lecteur que les flammes ne brulent pas vraiment.

L’illusion de la comédie

Les souffrances du héros dans une comédie sont perçues par le lecteur comme illusoire ou temporaire. Ce qui signifie que ce dernier ne peut pas ressentir d’empathie envers le personnage.
Parce que l’empathie ne permet pas de générer le rire. Si une quelconque émotion ou sentiment est ressenti par le lecteur envers le personnage, le lecteur ne peut décemment rire de ses tribulations.

Henri Bergson considère que le personnage risible ne doit pas être considéré comme un sujet pour qu’on puisse en rire. Mais comme un objet. L’absence de sentiment accompagne le rire. Il s’agit simplement d’indifférence. L’indifférence est l’environnement naturel du rire et le pire ennemi de celui-ci est alors l’émotion.

Alors que dans le thriller le réalisme est recherché, il est nécessaire que le lecteur se coupe émotionnellement de la réalité dans la comédie. Il doit donc en quelque sorte déshumaniser l’objet de son rire. Et l’on peut constater aussi que lorsque l’on rit d’un animal, c’est parce que nous lui conférons… des qualités humaines.

Quelques conventions du rire

Il faut comprendre que le rire est souvent possible à partir de la réalité physique d’un personnage. C’est-à-dire que l’on rit de le voir agir.
Comme dans cet exemple de Cendrillon aux grands pieds :

http://www.scenarmag.fr/wp-content/uploads/2017/08/Cinderfella-1.mp4

La répétition est sans nul doute la technique la plus utilisée pour trouver le rire du lecteur. Dans Quatre mariages et un enterrement,  Charles répète plusieurs fois le même juron. L’auteur ne s’est pas préoccupé de savoir si cela pouvait offenser le public parce que chaque situation où se produit cet emportement verbal est légèrement différente. Et le rire se construit encore et encore.

Cette méthode de la répétition peut prendre n’importe quelle forme. Par exemple, en replaçant le personnage dans un décor différent et reproduire dans des circonstances nouvelles la même série d’incidents ou d’événements plus ou moins identiques.
La répétition peut aider aussi à montrer qu’à chaque itération, un changement de perspective s’est produit chez le personnage principal comme dans Un jour sans fin. A chaque fois que la boucle se reproduit, quelque chose en interne a changé chez le héros.

La répétition peut se produire aussi sous un angle différent. La même série d’événements se répète mais vue par un personnage différent. Ce qui permet de faire avancer l’intrigue.
Dérivée de la répétition, il existe aussi la règle de trois qui permet au lecteur de s’attendre à une chute.

  1. Par exemple, votre héros rencontre une fille qu’il trouve plutôt jolie. Mais la rencontre est rapide.
  2. Quelques scènes plus loin, cette même jeune fille réapparaît dans la vie du héros. Cette fois, il remarque qu’elle est plutôt bien formée. Ils échangent quelques paroles mais comme Cendrillon, la belle doit s’en retourner au grand dam du héros.
  3. Quelques scène plus tard, nouvelle rencontre. Cette fois, les choses avancent. Le héros se retrouve dans le nid d’amour de la demoiselle. Le lecteur s’attend à quelque chose.
    Et la révélation vient le frapper de plein fouet : la demoiselle est en fait un jeune homme.
L’inversion à fin de comédie

Pour certains auteurs, le travestissement appartient à l’inversion. Cette dernière, cependant, revêt aussi d’autres formes. Elle peut être travestissement mais il s’agit surtout de clore une situation d’une manière totalement inattendue. Par exemple, si votre héros, citadin endurci et indécrottable, se retrouve soudain propriétaire d’une ferme…

Parmi les travestissements, on peut inclure des histoires comme Certaines l’aiment chaud ou Tootsie ou Le Dictateur de Chaplin. Les problèmes d’identité interviennent aussi dans l’inversion lorsqu’un personnage est pris pour un autre.

Et puis il y a aussi ces personnages qui tendent un piège pour en fin de compte être la propre victime de leur machination. Un peu comme dans l’arroseur arrosé. Ou bien le méchant qui est pris au piège de sa propre méchanceté. Toutes ces inversions sont susceptibles de préparer le lecteur à rire.

L’interférence réciproque

Cette expression vient de Henri Bergson. On la comprend souvent comme un quiproquo. Pour résumer la pensée de Bergson, il s’agit de l’effet que plusieurs personnages peuvent avoir sur le problème soulevé par l’histoire. Cet effet apparaît lorsque différents personnages qui ne se sont pas encore croisés lors de l’intrigue en arrivent à se croiser et à interférer les uns avec les autres au moment du climax.

Cette rencontre apporte non seulement une belle pagaille mais aussi la résolution de l’histoire. Pratiquement, une situation qui est comprise différemment selon les personnages prend une toute autre signification (qui ne correspond à aucune des interprétations données précédemment) lorsque ces personnages s’abouchent ensemble.
Et c’est cette signification nouvelle de la situation qui porte un potentiel comique et qui provoque le rire.

L’ironie dramatique fonctionne bien aussi de cette façon alors que le protagoniste s’engonce dans une interprétation de la situation inattendue et donc erronée alors que le lecteur a déjà été averti par l’auteur de l’interprétation correcte de la situation.
Les personnages ne considèrent qu’un seul aspect de la situation (et il y a autant d’interprétations possibles que de personnages). Ayant une perspective réduite, ils font nécessairement des erreurs et portent des jugements à l’emporte-pièce sur ce qui se passe effectivement autour d’eux.

Et leurs comportements s’adaptent à leurs perspectives. Mais comme tout est une question de perception (autant chez les personnages que chez le lecteur), nous hésitons entre une signification possible et le véritable sens de la situation.
Pour que l’effet comique soit probant, il est nécessaire que les interprétations soient contraires. Comprenez bien que peu de réflexion est accordée à l’analyse de la situation. C’est un jeu d’apparences avant tout. Le quiproquo naît de la rétention d’information puisque soit les personnages, soit le lecteur, ne reçoivent que ce que l’auteur a besoin de leur communiquer pour que le rire ou le sourire se dessinent sur les lèvres du lecteur.

Cette interférence réciproque comme l’a nommée Bergson est de chercher la situation équivoque.
Prenons un exemple :
Un homme et une femme font l’amour.
Le mari rentre à l’improviste :
Comment as-tu pu me faire çà ? dit-il.

Posée comme cela, la situation semble évidente de prime abord. C’est l’histoire d’un mari trompé.
L’amant de la femme répond alors à l’homme qui vient d’entrer si abruptement :
Désolé, Chéri, mais elle n’est qu’une passade !

Identité et exagération

La quête d’identité est davantage affaire de dissimulation que de travestissement. Le personnage se cache sous une identité (une sorte de masque) et il essaie désespérément de maintenir cette fausse identité.
Il lui est nécessaire d’emprunter une personnalité qui ne lui appartient pas pour pouvoir résoudre son problème (celui de l’histoire). C’est alors que les défauts inhérents à la personnalité adoptée ou simplement copiée entrent inévitablement en jeu.

Le personnage n’est plus lui-même. Il est une construction plus ou moins bancale. Il devient la marionnette d’une personnalité qu’il ne comprend pas vraiment. Cela met en place une sorte de réalité virtuelle dans laquelle il patauge parce que les événements qui surviennent sont orientés selon la personnalité d’emprunt.
Il y a forcément décalage entre les comportements (ses réponses aux événements) de la personnalité simulée et ceux que sa véritable nature (son individualité) lui commande.

Cela crée des situations qui incitent au rire. Un autre outil dramatique qui apparaît souvent comme un dispositif comique est l’exagération. Dans La ruée vers l’or, Charlot mourant de fin en vient à dévorer ses bottes.
La situation de Charlot illustre un problème très grave. Et sensiblement universel. Chaplin aurait pu décrire un personnage implorant les restes de repas et devenant de plus en plus désespéré.

Le moyen d’expression de Charlot est tout autre. C’est par l’effet comique qu’il tente de dénoncer certaines réalités.  En exagérant les choses, il permet au lecteur de se détacher du sérieux de la situation terrible de Charlot.
La représentation irréaliste d’une réalité tragique (une personne mourant de fin) permet à la fois de rire et de faire passer un message.

Dans le prochain article, nous essaierons de voir comment les principes et techniques narratives du thriller et de la comédie peuvent intimement se mêler afin de donner un genre original mélangeant ces deux genres bien spécifiques et apparemment incompatibles.