Comédie & thriller combinés (9)

Nous allons aborder maintenant comment nous pouvons lier la comédie et le thriller. Nous avons vu dans les articles précédents que l’identification au protagoniste et à sa situation par le lecteur était indispensable à la génération du suspense, élément fondamental du thriller.

Et nous avons constaté que la comédie exigeait un environnement sain pour les pérégrinations du héros et que quoi qu’il lui arrive de tragique ne lui porte pas vraiment à conséquences. Puis nous avons passé en revue les moments clés de la structure d’un thriller. Ces moments ne doivent donc pas être altérés par quelque élément comique au risque de détruire tout le projet.

Lorsqu’un protagoniste est dans une situation de danger, le réalisme de cette situation doit être recherché et préservé. Ce n’est donc pas dans ce type de situation que l’effet comique doit être inséré. Nous pouvons donc peut-être envisager de placer la comédie entre les moments structuraux indispensables au thriller.
Des moments réservés à la pure comédie sans nuire au suspense puisque que justement la tension dramatique liée au suspense est relâchée.
Ce qui compte en somme est de ne pas tordre les conventions de ces genres pour qu’ils s’adaptent l’un avec l’autre. Les conventions du thriller et les techniques narratives de la comédie doivent pouvoir s’exprimer sans qu’il soit nécessaire de les altérer.

Une romance ?

Lorsque nous avons planifié les grandes étapes à partir de notre pitch, nous avons mentionné la présence d’une petite amie pour notre héros. Nous avons donc deux possibilités :

  • La romance qui pourrait faire l’objet de moments de comédie. Au début de l’histoire, cette romance n’est pas très prononcée. On peut supposer que ces deux-là ne se connaissent que de loin. Mais les événements de l’intrigue vont les rapprocher et ils se découvriront alors une attirance réelle l’un envers l’autre.
  • La petite amie et tout ce qu’elle représente pour le héros est la faiblesse de celui-ci. La force antagoniste va donc peser sur l’intrigue non pas en menaçant la vie du héros mais celle de son amie. Les moments de tension les plus intenses pourraient alors être centrés sur la petite amie.
La ligne dramatique du thriller

D’abord, il y a un personnage qui m’interpelle et que je ne souhaite pas confiner dans les recoins de l’histoire : la petite amie du héros (ou qui le deviendra au cours de l’histoire).
Si je considère le héros comme le personnage principal, c’est donc sur lui que se portera l’empathie du lecteur. Donc, ce ne peut être par lui que je peux introduire des éléments de comédie puisque ceux-ci déshumanisent le personnage pour qu’il devienne (lui ou sa situation) risible. C’est une première option.

Par ailleurs, dans les moments où la tension dramatique est la plus basse, je peux tenter de manipuler mon personnage principal pour qu’il devienne un simple objet de la situation (il est complètement sous l’emprise de ses émotions ou des circonstances).
Perçu comme tel par le lecteur, la situation dans laquelle il se trouve peut alors être propice au rire. Cette seconde option me semble plus faisable.

Mais est-ce que je ne prends pas un risque lorsque la tension (après que les personnages et le lecteur aient repris leur souffle) s’élèvera de nouveau ?
Puisqu’il me faudra réinstaller l’empathie du lecteur pour que le suspense fonctionne.

Notons aussi que je privilégie la ligne dramatique du thriller. Le genre grammatical masculin de ce mot ne l’emporte pas sur celui féminin de la comédie. Et je ne considère pas que la comédie soit un genre d’histoire mineur.
Il m’apparaît néanmoins que la préparation du suspense sera plus complexe que de réserver des moments de comédie au cours de l’histoire.

Influence Character

La romance entre le personnage qui deviendra la petite amie du héros et le héros lui-même me semble être une voie possible par laquelle je peux introduire la comédie dans ce thriller. J’envisage de faire de ce personnage un Influence Character tel que le définit la théorie narrative Dramatica.
C’est-à-dire un personnage qui va influencer les décisions du héros et tenter de le détourner de son objectif. Un peu d’ailleurs comme le fait l’antagoniste. La différence cependant est que ce dernier met en avant ses propres intérêts alors que l’Influence Character est davantage sincère dans sa démarche et pense d’abord globalement aux autres avant sa propre personne.

La menace pour l’environnement est incarnée par le directeur de l’usine. Dans un thriller, il est important que l’antagoniste et le protagoniste se rencontrent très tôt dans l’histoire. Ce sera après que notre héros ait découvert la menace que celui-ci sera introduit auprès du méchant de l’histoire.
La future petite amie pourrait être le moyen par lequel cette rencontre est possible. On peut imaginer que si elle a ses entrées dans la sphère de l’antagoniste, c’est parce qu’elle occupe une fonction importante dans l’usine.

On garde à l’esprit que pour le moment la relation entre le héros et la demoiselle est encore distante. Cette relation se développera au cours de l’intrigue.
Que va-t-il se passer au cours de cette rencontre ? Le méchant proposera une forte somme d’argent au héros pour qu’il refasse sa vie ailleurs. Et le héros va accepter.

Le refus de l’aventure

Classiquement, le héros refuse son aventure. En lui faisant accepter le pot-de-vin de l’antagoniste, en se laissant soudoyer par celui-ci, cela revient à dire qu’il refuse de participer à l’aventure. Il n’est pas encore prêt.

J’ai donc besoin d’un nouveau personnage, une sorte de mentor qui va permettre au héros d’ouvrir les yeux et de prendre en charge son problème.
Le thème qui semble apparaître même si je ne l’ai pas encore véritablement formulé est en rapport avec la défense de l’environnement. Ce mentor pourrait être alors un fervent écologiste. Et alors que notre antihéros (pour le moment) est croyant mais non pratiquant en la matière, le mentor sera un véritable activiste.

Le mentor va donc entraîner notre protagoniste dans une action contre par exemple un laboratoire à la solde de grands groupes agroalimentaires qui développe des OGM. Dans cette séquence, je pense pouvoir développer des éléments de comédie d’autant plus que c’est un petit groupe qui se lance à l’assaut de ce laboratoire.

Pour garder une unité, j’ai besoin que le suspense soit réservé pour la ligne dramatique. Or cette séquence du laboratoire de OGM sert à convaincre le héros qu’il a fait une erreur d’accepter de garder le silence sur sa découverte. C’est ce que va lui faire comprendre le mentor.
D’ailleurs, je ne prévois pas que ce dernier intervienne dans l’intrigue.

La fin du premier acte sera alors une scène ou une séquence où le héros refusera le pot-de-vin. Je pense qu’il est inutile de ménager une nouvelle rencontre entre l’antagoniste et le protagoniste. Il doit bien y avoir un autre moyen pour qu’il lui signifie son refus (et par conséquent s’engage enfin dans l’aventure).

L’intrigue se lance

A partir de ce moment, le conflit majeur est installé. Et la question dramatique s’impose d’elle-même : notre héros réussira-t-il à survivre car son combat est tout de même celui d’un pot de terre contre un pot de fer.
Ce qui facilite l’identification du lecteur avec le héros et développe l’empathie envers ce dernier.

Pour que le suspense fonctionne, nous avons constaté que le réalisme du monde fictif doit être bien posé. Le conflit qui nourrit l’intrigue ne doit donc pas être entaché par la comédie.
Par contre, les situations qui ne servent pas au conflit (comme l’action contre le laboratoire de OGM) peuvent être traitées sans se soucier de recréer avec précision des événements de notre réalité.

Il me semble que nous parvenons à attirer le lecteur dans la situation de notre antihéros. D’abord, il ne se satisfait pas de sa position sociale. Cependant, son activité professionnelle lui permettra par hasard de découvrir certaines informations capitales pour le bien-être de toute la communauté.
Lorsqu’il accepte dans un premier temps de recevoir le prix de son silence, le lecteur le perçoit comme un geste immoral. Nous pouvons le justifier car il voit là l’occasion de recommencer sa vie. Mais nous perdrons probablement l’empathie.

Lorsqu’il ouvre les yeux sur ce qu’il perçoit dorénavant comme sa destinée et probablement l’occasion de donner un sens à sa vie, nous retrouvons l’accord du lecteur avec notre héros. Somme toute, ce n’est pas très commun de tourner le dos à un bienfaiteur potentiel. Et le lecteur fera un souhait inconscient de voir notre héros bénéficier de son engagement auprès de la communauté au risque de sa vie.
Et comme nous mettons en avant le thriller, il nous faut apporter la satisfaction au lecteur de voir notre héros réellement profiter de ce combat personnel.

Nous continuerons notre réflexion dans le prochain article. Il est bien de se réserver régulièrement quelque espace pour penser à autre chose ne serait-ce que quelques heures avant de s’atteler à nouveau à l’écriture d’un projet.