Comédie & thriller combinés (11)

Par William Potillion @scenarmag

Dans notre tentative pour mêler comédie et thriller, nous nous sommes aperçus qu’un environnement réaliste était exigé pour la mise en place du suspense.
Afin de ne pas perturber la génération de suspense, nous avons conclu que les éléments de comédie pouvaient s’insérer dans les moments où la tension dramatique est relâchée.

Comme ces deux genres (comédie et thriller) s’adressent à deux lectorats différents, j’ai estimé qu’il serait plus facile de s’adresser d’abord aux aficionados du thriller. Ensuite, il suffira d’introduire la comédie dans les moments les moins perturbants pour le suspense recherché.
Ainsi, la séquence d’ouverture sera totalement dédiée à mettre en place un monde fictif recréant une réalité que le lecteur reconnaîtrait comme sienne.
La séquence d’ouverture du scénario nous plongera au cœur même des forces antagonistes. Dans notre pitch d’exemple, nous serons introduits dès le début dans l’usine avec peut-être un incident mettant clairement en évidence le danger que celle-ci représente pour l’environnement.
Et le passage sous silence de l’incident, décidé directement par les hautes instances de la multinationale agroalimentaire, par exemple.

Par ce biais, nous allons souligné l’éthique de l’antagoniste. Et nous montrerons aussi que les personnages qui peuplent notre monde fictif sont dans un environnement où des gens peuvent mourir.

La morale de l’antagoniste

Nous avons constaté qu’il pourrait être bénéfique pour préparer le suspense dans certaines scènes que la séquence d’ouverture démontre la puissance et l’aspect immoral de l’antagoniste.
C’est donc à un jugement que nous invitons le lecteur puisque du point de vue du méchant de l’histoire, ce qu’il fait est bien.

Et il est important aussi que le lecteur comprenne que dans cette histoire les personnages risquent si ce n’est leurs vies au moins que les enjeux soient d’une importance vitale. Et ce, dès le début.
Il existe des antécédents dans cette stratégie qui consiste à introduire l’antagoniste (et par conséquent, le problème dont le héros devra faire sien à la fin de l’acte Un) avant le protagoniste.

Fargo de Ethan et Joel Cohen (1996)

Les grandes étendues enneigées symbolisent la problématique de cette histoire, à savoir l’impossibilité de communiquer. C’est sur cette problématique que tout l’humour noir de Fargo sera fondé.
Par ailleurs, il est assez difficile de définir les grandes fonctions de l’histoire. Gaear est-il vraiment l’antagoniste ? Lui qui fait preuve d’une telle inhumanité. Ou bien est-il la victime d’une société corrompue par l’argent, la violence et la solitude ?
Ou bien Jerry n’est-il pas plutôt l’antagoniste ? C’est lui qui se laisse corrompre par le besoin d’argent, symbole d’une société corrompue et individualiste.
Ou bien peut-être son beau-père ?

Quoiqu’il en soit, il est difficile de trouver un personnage que l’on pourrait qualifier de protagoniste dans cette histoire. A moins que ce ne soit Marge Gunderson ? Il faut bien reconnaître cependant que notre empathie arrive à se poser sur plusieurs de ces personnages.

Alerte ! de Wolgang Petersen (1995)

La séquence d’ouverture se situe en 1967 avec l’apparition de l’antagoniste et des conséquences qui annoncent la pandémie qui débutera en  1995. Le méchant de l’histoire est en fait le singe porteur du virus. La pauvre bête est en fait un faire-valoir pour les activités clandestines auxquelles certaines autorités se livrent et que l’histoire cherche à dénoncer.

Minority report de Steven Spielberg (2002)

La séquence d’ouverture est longue de près de 15 pages. Elle présente la vision de Agatha, l’un des precogs. Cette séquence présage totalement l’intrigue et établit avec son style si particulier le ton ainsi que ce à quoi doit s’attendre le lecteur.
Minority Report est un thriller de science-fiction et les éléments du genre qui nous intéresse dans cette série d’articles (le thriller) sont mis en place dès cette séquence d’ouverture.

Ce que nous cherchons à faire en somme est un thriller de comédie. Est-ce que cette expression a autant de sens que thriller de science-fiction ?  Mais l’exemple de Minority Report nous montre que la science-fiction vient en quelque sorte donné un contexte au thriller. Les éléments de thriller ne dépendent nullement de ce contexte.
Car ils peuvent en fait s’insérer dans n’importe quel contexte, tant que celui-ci apporte la touche de réalisme nécessaire au thriller pour fonctionner.

Les éléments de comédie cependant ne sont pas capables de fournir un tel contexte au thriller puisqu’ils se caractérisent essentiellement par leur irréalité.

Matrix des frères Wachowski (1999)

La séquence d’ouverture de Matrix est assez inhabituelle. Ce qu’il faut d’abord retenir est qu’elle pose une énigme au lecteur. Elle met en place derechef un mystère qui va accrocher le lecteur.
Ensuite, nous sommes plongés dans la sombre réalité de Matrix et c’est cela qui compte parce qu’elle nous renvoie à notre réalité quotidienne. Les exploits physiques de Trinity et des agents ne participent pas au thriller.
Ce sont des éléments qui viennent se rajouter au thriller sans dénaturer ce dernier. C’est ce que nous cherchons à faire avec nos propres éléments de comédie dans notre pitch.

Notez aussi que la confrontation verbale entre la police et ces sinistres agents de la matrice nous informe de qui détient l’autorité et que manifestement, cette autorité est dangereuse ce qui la désigne aussitôt comme l’antagoniste.

Le nécessaire réalisme de l’antagoniste

Pour notre tentative de mêler comédie et thriller, il me semble évident qu’aucun élément comique ne doit venir entacher la figure du méchant. Il doit incarner une menace réelle et dangereuse pour le protagoniste dont nous n’avons pas encore fait connaissance.

Si nous voulions utiliser l’antagoniste comme un pivot pour l’effet comique, cela saperait son réalisme et notre intention première de thriller serait vouée à l’échec. Dans la séquence d’ouverture, je me propose donc d’exposer au lecteur le terrible secret que notre héros découvrira par hasard dans les scènes qui suivront.
Un lourd secret à porter puisque notre protagoniste en nourrira un effroi irrationnel.

Arrivé à ce point de ma réflexion, je me dis qu’il serait bien que je dessine les contours de cette menace. Parce qu’il faut que j’établisse une menace crédible dans l’esprit du lecteur.
L’idéal serait que je tape dans une peur universelle, une peur qui serait inscrite dans l’inconscient collectif.

Alors que mes pensées vagabondaient, j’ai mentionné quelques fois les grands groupes agroalimentaires. J’ai en effet pointé les effets néfastes que ceux-ci pouvaient avoir sur l’environnement dans leur insatiable recherche de profits. Donc l’intérêt personnel au détriment de la communauté.
Il ne faut pas hésiter à s’inspirer de nos lectures et des films et séries que nous avons pu voir. Il ne s’agit pas de plagiat mais d’inspiration. Par exemple, la série Zoo de James Patterson dès la saison 1 s’oriente vers le grand groupe industriel Reiden Global comme le principal responsable du comportement déviant des animaux. Une sombre histoire de pesticides (à comprendre aussi OGM) mélangés à la nourriture des animaux à travers le monde.

A la recherche du message

Afficher ouvertement le danger des OGM dans mon pitch reviendrait à faire de la propagande. Or une fiction, c’est d’abord un débat qui expose les points de vue sans prendre parti tout au long de l’intrigue. Le message de l’auteur s’exprime alors clairement au moment du climax.

Posséder un sens critique, c’est se donner le moyen de motiver son questionnement. Est-ce que je dois chercher dans les motivations de l’antagoniste la teneur de mon message ? Par exemple, l’antagoniste pourrait être un fervent défenseur du progrès. Et la biotechnologie serait alors une source de bien-être pour les hommes. Et cela est tout à fait possible.
Cependant, l’expérimentation débridée peut mener à des résultats catastrophiques autant pour l’humain que pour la planète.

Mon message pourrait aussi se trouver dans l’arc dramatique de mon héros. Celui-ci doit prendre ses responsabilités et s’engager à la fois moralement et physiquement dans la défense de la planète. Peut-être que mon message serait alors qu’il est dangereux de donner un blanc-seing à une quelconque autorité sans que le citoyen n’ait un droit de regard.

Par ailleurs, j’ai aussi ce thème de la solitude comme peur fondamentale de la personnalité de mon héros. Comment le relier à la menace que fait encourir l’antagoniste à la planète ?
Si je considère qu’il est un personnage relativement impliqué dans la société et dans les problèmes liés à la planète et qui se retrouve propulsé dans une menace qui concerne de plus en plus de monde, il lui faut découvrir que la seule façon de rester en vie sera de gagner en autonomie (en prenant ses responsabilités). Sa mission sera donc d’exposer la menace maléfique avant qu’elle ne s’attaque à la communauté dans son ensemble.

A travers cette règle, je perçois donc que l’isolement (volontaire ou non) de notre héros tel que nous le découvrons au début de l’histoire est un risque qu’il fait courir à toute la communauté. En refusant de s’engager, en démissionnant en quelque sorte de son statut d’être social et responsable, il laisse à quelques individus qu’il n’a pas choisi la possibilité de s’arroger un droit illégitime sur le devenir de tous.

Dans le prochain article, je reviendrais plus avant sur l’éthique de ces deux personnages.