Autre temps-fort du cinéma russe cette année après le complaisant Une Femme Douce de Losnitza, Andreï Zviaguintsev revient en colère envers la société russe. Dépeinte à travers une famille détruite, Faute d'amour est un pur mélodrame made in Russia aussi glacial que cette forêt enneigé.
Léviathan brisait déjà la structure familiale par la puissance gargantuesque de ce maire corrompue, Faute d'Amour poursuit sa lancée critique envers la Russie contemporaine en montrant un couple égo-centré, uniquement préoccupé par des questions matérielles et sociétales au lieu de cet enfant, Aliocha, tout juste laissé hors-champ en larmes. Le mari, Boris, s'apprête à refonder une famille comme une éternelle boucle et souhaite que son divorce reste secret au sein d'une politique orthodoxe à son travail tandis que Genia s'épanouie dans un monde de luxe en sortant avec un homme plus âgé et aisé. Un triste jour, Aliochia s'enfuit de ce climat brumeux et ce couple va se retrouver pour mieux s'enfoncer...
De la même façon qu'avec son précédent long-métrage, Zviaguintsev ausculte cette société russe égo-centrée avec une force visuelle sidérante. Tout d'abord, cette histoire tragique frappe par la contemporanéité auquel elle s'inscrit. A l'ère des réseaux sociaux et des selfies, Zviaguintsev montre avec justesse l'égoïsme de ses concitoyens, pour qui le plus important semble être un repas de luxe à montrer sur Instagram plutôt que la vie d'un enfant de 12 ans. De ce constat, on pourrait n'y voir seulement qu'un réquisitoire moralisateur sur les réseaux sociaux compte tenu en plus de sa tragique conclusion. Et d'un certain point de vue, il est clair que Zviaguintsev se pose en conteur moraliste mais en racontant cette tragédie familiale évoluant dans des locaux de plus en plus délabrés, il signe une charge plus seulement individuelle mais bien collective quant il pose en toile de fond les conflits alarmants en Ukraine, laissé à son propre compte tel l'enfant de ce couple dans un chaos violent et lugubre.
Choquant par l'attitude exaspérante de ce couple, ravagée par la douleur et leurs égocentrismes sans jamais rien apprendre de leurs leçons, Faute d'Amour fait mal sans jamais en faire trop. Privilégiant la subtilité et les plans-flashs pour mieux marquer les esprits (Il y a un plan en toute fin dont il sera difficile d'être insensible par sa violence...), Zviaguintsev est un maître du drame à la beauté aussi glacial que troublante. Là où le Prix de Jury de l'année dernière, American Honey, usait de son environnement pour nous emmener dans un voyage sensoriel, Zviaguintsev filme son environnement avec gigantisme et saleté comme une société sans sentiments qui se détériore. Un drame qui peut nous exaspérer par moment mais qui n'aura de cesse de nous retourner l'esprit, avec une habilité magistrale.
Victor Van De Kadsye