Après une journée d’ouverture plutôt réussie, place aux choses sérieuses à la 74ème Mostra de Venise. Sérieuses, pour ne pas dire “austères”, à l’instar du nouveau long-métrage de Paul Schrader, First reformed, une oeuvre aussi épurée sur le fond – les tourments d’un prêtre (Ethan Hawke) qui voit sa foi vaciller après la rencontre avec l’un de ses fidèles, activiste écologiste ayant perdu tout espoir en l’humanité – que sur la forme – de nombreux plans fixes, filmés dans la paroisse. En filigrane, le cinéaste traite de la difficulté de garder foi en l’avenir et en l’humanité, alors que la menace d’une catastrophe écologique n’a jamais été aussi grande et que le monde est entre les mains de politiciens véreux, d’industriels sans scrupules et de dignitaires religieux qui ferment les yeux sur ce système à la dérive, en échange des subventions qui lui permettent d’entretenir le folklore religieux, à défaut de servir efficacement les fidèles. Il s’agit d’une oeuvre assez sombre, funèbre et austère, donc. Mais, et c’est là sa force, elle n’est pas non plus totalement dénuée d’espoir. En s’enfonçant de plus en plus dans les ténèbres, le personnage principal finit par trouver un nouveau but, un nouveau sens à son existence et à retrouver l’envie de s’accrocher à la vie.
Le prêtre de The Devil & Father Amorth n’est guère plus rigolo, puisque Gabriel Amorth est un véritable prêtre… exorciste.
William Friedkin rêvait depuis longtemps de pouvoir assister à un véritable rituel, afin de constater de ses yeux si la possession est bien un phénomène de nature paranormale ou si les sujets sont juste des cas psychiatriques gratinés, mais il a dû attendre près de quarante ans avant de pouvoir trouver et un prêtre et une victime acceptant de se laisser filmer en pleine action. Dans ce documentaire, il filme la neuvième tentative d’exorcisme de Rosa, une italienne régulièrement prise pour cible par un démon agressif.
Au programme, pas de tête effectuant une rotation à 360°, pas de jets de vomi verdâtre, mais beaucoup de grognements et de blasphèmes prononcés d’une voix métalliques, et de nombreuses gesticulations.
Pour être honnête, on préférait la fiction… Heureusement que le film ne dure qu’un peu plus d’une heure, car le résultat, à l’écran, est assez pénible. On a juste envie de calmer la “possédée” en lui balançant deux ou trois baffes ou en lui faisant ingérer un ou deux cachets de calmants…
Mais on a également très vite envie de mettre un coup de pieds aux fesses au cinéaste, qui filme tout cela avec un sérieux papal, au premier degré, sans aucun recul, même après quarante ans. Pourtant, à un moment, on pense qu’il va prendre la peine de creuser un peu le sujet, comme les auteurs de l’excellent Liberami, présenté l’an passé à Venise. Il interview des psychiatres, des prêtres, des médecins pour essayer de trouver une raison rationnelle à ce phénomène, mais on sent bien qu’il n’ajoute ces témoignages que pour mieux appuyer sa propre thèse : le Mal existe et il l’a rencontré.
Et quelle rencontre! Celle-là, il ne l’a pas filmé, faute d’accord de la jeune femme et de son démon, plus remonté que jamais, mais il l’a reconstituée à l’aide d’effets dignes d’un mauvais film d’horreur (images tremblantes, reflets verdâtres, musique angoissante). C’est ridicule et on a de la peine pour le cinéaste, qui semble courir en vain après sa gloire passée. A moins que tout ceci ne soit qu’une mauvaise blague et qu’ils nous aient bien… possédés. Vade retro Sale nanar…
Un qui ne blague pas, en tout cas, c’est Guillermo del Toro. The Shape of water est un petit bijou de fable fantastique, qui rend hommage aux grands classiques du genre, des vieux films RKO des années 1930, comme La Fiancée de Frankenstein, aux films des années 1950, notamment L’Etrange créature du Lac Noir, mais aussi à d’autres genres appartenant à l’âge d’or du cinéma hollywoodien : film d’espionnage, mélodrame flamboyant et même comédie musicale! L’ensemble aurait pu donner un film indigeste, voire ridicule, mais c’est au contraire un modèle d’équilibre et de virtuosité, au service d’un récit qui parle de différence et de tolérance, fustige les hommes et leur mentalité va-t-en-guerre et met en valeur les femmes et leur sensibilité, se place du côté des petits contre les puissants.
Mais le film séduit surtout par son environnement visuel, sublime, tout à fait dans l’esprit des films des années 1950, ses mouvements de caméra élégants, à l’instar du plan-séquence inaugural, et tous les subtils effets de mise en scène déployés par le cinéaste mexicain. Ce n’est probablement pas son oeuvre la plus sombre ou la plus marquante, mais techniquement, c’est assurément l’une des plus abouties et les plus innovantes. L’effort a été très applaudi par le public de la Mostra, qui a accueilli le film avec une ovation méritée.
Autre film très applaudi, L’Insulte, du libanais Ziad Doueiri, qui part d’une banale querelle de voisinage pour parler des ravages de la guerre civile et des traces que celle-ci a laissé sur les différentes communautés religieuses composant le peuple libanais. Au début, il s’agit juste d’un problème de gouttière défectueuse. Yasser, un contremaître palestinien, s’aperçoit que la gouttière de Toni, un résident appartenant à la communauté chrétienne, fuit et coule sur les passants. Il sonne à son domicile pour avoir accès à la gouttière défectueuse, mais Toni se montre hostile et refuse de le laisser entrer chez lui. Furieux, Yasser laisse échapper une insulte. Toni, blessé dans son orgueil, exige des excuses auprès du chef de chantier. Celui-ci joue les médiateurs pour tenter de réconcilier les deux hommes et oublier cet incident, mais là encore, la situation dégénère. C’est Toni, cette fois qui se montre insultant, envers Yasser mais aussi envers sa communauté. Fou de rage, Yasser lui assène un coup de poing et lui casse deux côtes. Toni l’assigne en justice pour insulte et coups et blessures. C’est le début d’une longue procédure judiciaire qui menace la tranquillité de tout le pays, car si le conflit ne concerne tout d’abord que les deux hommes et leurs proches, il s’étend peu à peu à tout le quartier, puis à toute la ville et à tout le pays, médiatisation aidant.
Le procès prend une ampleur inattendue à partir du moment où les avocats entrent en piste. Ceux-ci essaient de justifier l’attitude de leurs clients respectifs par les blessures psychologiques laissées par la guerre civile et les tensions entre les communautés religieuses. Alors, ce n’est plus le procès de Toni contre Yasser mais celui des chrétiens contre les musulmans, des palestiniens contre les israéliens, le bilan d’une guerre civile dont les plaies ne se sont jamais vraiment refermées. Le film est sans doute un peu trop long, mais sa structure tient parfaitement la route, et le message délivré, résolument tourné vers la réconciliation des communautés et des générations, est plus que jamais utile en ces temps troublés.
Les habitants d’Amatrice, petit village du centre de l’Italie, pansent eux-aussi leurs blessures psychologiques. En août 2016, un tremblement de terre a détruit la quasi totalité de leurs habitations. Ils sont depuis hébergés dans des containers et des mobile-homes en préfabriqués, en attendant qu’on reconstruise leurs logements. Mais si les biens matériels peuvent éventuellement être remplacés, ce n’est pas le cas des êtres chers. Difficile de ne pas être émus face à ce vieil homme qui, dans le court-métrage de Gianni Amelio, Cas d’altri, montre à tous les passants la photo d’une femme, probablement son épouse, dans l’espoir de la retrouver, alors que sa dépouille se trouve probablement sous des décombres, dans le champ de ruines que constitue le coeur de la ville.
Le cinéaste italien rend un bel hommage à cette population, encore choquée par ce séisme meurtrier, et au courage dont les habitants font preuve pour reconstruire leurs vies, un an après le drame.
Puisqu’on parle de construction, il convient de signaler que l’espace réservé à la Mostra sur le Lido commence enfin à ressembler à quelque chose. Après la rénovation des deux salles de projections principales, la Sala Grande, où ont lieu les projections officielles, et la Sala Darsenna, qui héberge les projections de presse officielles, après la construction de la salle Giardini, qui a l’air de tenir le choc après une inauguration houleuse l’an passé, le Festival a achevé la mise en place de grandes terrasses permettant de prendre des pauses entre les séances. L’ensemble est très plaisant et permet de profiter du festival dans les meilleures conditions.
Seul petit bémol : certaines salles sont beaucoup trop petites pour accueillir des projections, surtout s’il s’agit de séances uniques et que la moitié de la salle est squattée par l’équipe du film. C’est ce qui s’est passé pour la séance de I’M (endless like the space) de Anna-Riitta Ciccone. La Sala Volpi, avec ses 90 sièges, a été vite remplie, laissant quelques festivaliers sur le carreau…
Nous avons pu découvrir cette chronique adolescente, vue par le prisme de l’imaginaire d’une jeune fille gothique. Jessica imagine que ses profs sont des tortionnaires sadiques, que l’assistante sociale est une sorcière malfaisante ou que le voisin d’à-côté est un viking barbare. Parfois, elle imagine aussi que son père disparu lui donne des conseils, notamment celui d’être moins rude avec sa mère. Mais Jessica ne peut s’empêcher de se montrer hostile. Elle se sent mal dans sa peau, minable par rapport à sa petite-soeur modèle, rejetée par les autres filles du lycée, qui n’apprécient pas sa différence. Alors, elle se réfugie dans le dessin et dans ses univers imaginaires. Mais il arrive que la réalité dépasse la fiction, et un drame sordide va aider Jessica à grandir…
Si on sent que la cinéaste a parfois manqué de moyens pour mettre en place ses univers fantastiques, elle se sert efficacement de la 3D pour créer de la profondeur de champ ou des effets de relief saisissants. Et elle réussit l’essentiel : restituer toute la complexité de la psychologie adolescente, le mal-être des jeunes à la croisée des chemins, leur besoin de défier l’autorité et de canaliser leurs démons intérieurs…
Si aucun démon des enfers ou aucun monstre aquatique ne nous fait disparaître, à demain pour la suite de nos chroniques vénitiennes.