C’est encore du côté de l’Espagne qu’il faut chercher les polars qui se transforment en vraie leçon de cinéma.
Alors que le cinéma espagnol nous a récemment impressionné avec La Colère d’un homme patient, nos voisins ibériques prouvent une nouvelle fois leur suprématie sur une approche du film de genre exigeant, original et pertinent. Comme le métrage précédemment cité (avec lequel il partage la même tête d’affiche, Antonio de la Torre), Que Dios Nos Perdone est une œuvre d’une intégrité revigorante, attachée à raconter une histoire forte avant de vouloir lui forcer un sens stérile qui lui assurerait une crypto-profondeur intellectuelle. Cela ne l’empêche pas néanmoins d’y intégrer à merveille une toile de fond appropriée, preuve indéniable de la compréhension que le réalisateur Rodrigo Sorogoyen a des codes que sous-tendent certains types de récit. Leur impact sur l’imaginaire collectif nécessite un respect, plutôt qu’une volonté de bêtement les dynamiter, tout en contrastant leur universalité à un contexte plus contemporain et en accord avec une culture et une nationalité spécifique.
Dès lors, si Que Dios Nos Perdone joue la carte du polar hard-boiled, dans lequel un duo de flics borderline doit faire face à une série de crimes tournée vers des personnes âgées violées, il ne nous rappelle que rarement ses références américaines (même si l’on pense notamment à Se7en et Zodiac) pour dévoiler avec fierté toutes ses caractéristiques hispaniques. Son enquête sordide, qui creuse petit à petit dans les vices de chacun, au point de plonger dans une psychanalyse dérangeante, n’est qu’un exemple du délitement de l’Espagne de 2008. Outre les multiples manifestations violentes qui rendent la population méfiante des forces de l’ordre, Que Dios Nos Perdone dépeint un univers désespéré, où tous les personnages cherchent un but et une croyance auxquels se vouer, alors que le pays sombre dans la crise économique. Le métrage se raccorde même historiquement avec la venue du Pape Benoît XVI à Madrid, leurre d’espoir auquel le peuple s’accroche vaille que vaille.
Dans cet élan de déshumanisation, la police devient le représentant paroxysmique du cynisme, ne serait-ce que par l’incompétence d’une bonne partie de ses agents. Rodrigo Sorogoyen déploie ainsi un monde où la compassion semble presque impossible, au point de lier ses deux personnages principaux, marginaux aux relations intimes difficiles, au meurtrier qu’ils recherchent. Tous affichent une impuissance (sexuelle notamment), traductrice d’un comportement fragile qui peut vriller à tout moment. Le cinéaste réussit alors à offrir de nombreuses scènes touchantes par leur spontanéité, rendant immédiatement sympathiques ses deux héros qui semblent emportés dans une sorte de buddy movie déviant, cassé par la noirceur de l’histoire qu’ils vivent. Pourtant, Que Dios Nos Perdone est loin de tomber dans la dépression et l’indignation facile dont souffre notre époque. Sa narration et son sens du rythme millimétrés lui permettent des sorties de route surprenantes, particulièrement dans les piques humoristiques (souvent noires) qui s’insèrent parfaitement dans l’ensemble, à la manière de l’écriture de Shane Black. C’est en partie grâce à ces contrastes calculés, et cette façon de doser un maelström de sentiments contradictoires, que le film s’approche finalement d’un réalisme que tant d’œuvres cinématographiques peinent à atteindre sous la bannière d’un naturalisme trompeur.
Sorogoyen pose son regard sur des vies mouvementées par les tourments des autres, et capte avec justesse l’ironie tragique de l’existence, surtout lorsqu’il déclare son amour pour son duo de flics, à la fois badass et pathétique. Si le réalisateur n’hésite pas à les iconiser par instants, et à soulever les thématiques liées aux archétypes qu’ils représentent (notamment en ce qui concerne la notion de justice expéditive, brillamment traitée), il les ramène constamment à leur réalité de modèles brisés, qu’Antonio de la Torre et Roberto Álamo subliment par leur interprétation flamboyante. Que Dios Nos Perdone appuie donc autant que La Colère d’un homme patient le renouveau du polar espagnol, qui sait tirer son épingle du jeu par la passion évidente de ses cinéastes pour leur sujet, qu’ils traitent avec bienveillance et une croyance inébranlable dans le pouvoir du septième art. En témoigne la mise en scène soignée de Rodrigo Sorogoyen, parfois ostentatoire (notamment lors d’un plan-séquence prenant mais peut-être trop tape-à-l’œil) mais diablement efficace, signe d’un savoir-faire et d’une réflexion sur l’écriture cinématographiques dont les réalisateurs français devraient s’inspirer.
Réalisé par Rodrigo Sorogoyen, avec Antonio de la Torre, Roberto Álamo, Javier Pereira…
Sortie le 9 août 2017.