Euh, dis donc, le Cinéma Français – on se tutoie, hein, on se connaît depuis longtemps – tu te moques du monde?
Quand tu dois envoyer un film en sélection officielle à la Mostra de Venise, même hors compétition, on attend généralement à ce que tu propose ce que tu fais de mieux, un digne représentant de l’art cinématographique hexagonal, signé par un vieux grognard de la Nouvelle Vague ou un jeune loup de la FEMIS, une oeuvre qui fait honneur au pays des Lumière. Pas un produit commercial ultra-formaté t dépourvu de qualités artistiques comme La Mélodie de Rachid Hami.
Non mais tu n’as pas honte?!? C’est ça, le fleuron de notre culture française, la quintessence de notre cinématographie? Ce croisement improbable du Concert et de Entre les murs? Ce plagiat de Rock Academy, version banlieues françaises? On exagère à peine : Kad Merad incarne un musicien désoeuvré qui accepte de donner des cours de violons à une classe de collégiens de banlieue parisienne. Les gamins ne sont pas facile, mais comme la musique est censée adoucir les moeurs, des petits génies de l’Education Nationale ont eu l’idée de génie de les faire répéter en vue d’un grand concert à la Philarmonie de Paris. Le professeur improvisé a donc moins d’un an pour transformer des sauvageons qui pensent que la musique classique commence avec Céline Dion en violonistes virtuoses. Passe ton Bach d’abord et tout ira mieux! Inutile de dire que ce ne sera pas sans difficultés, mais comme, ô sublime hasard, un des élèves se révèle être le Paganini de Bobigny, la performance de l’orchestre en herbe sera accueille avec une standing-ovation…
On comprend que ce genre de film existe. Le grand public en est généralement friand. Il aime les récits où les losers se transforment en vedettes, ne serait-ce que le temps d’une soirée. Il aime quand les “petits” se surpassent et deviennent grands. Il aime les oeuvres fédératrices, prônant la fraternité entre les races, les religions, les différentes classes sociales. Et quand tous ces ingrédients sont réunis dans le même scénario, il suffit d’ajouter un acteur bankable et, hop, c’est la garantie d’un succès au box-office.
Enfin, à priori, parce que peut-être qu’un jour, le public va comprendre qu’on le prend un peu pour un imbécile et qu’il mérite autre chose qu’une succession de poncifs reliés à la va-vite dans un scénario paresseux et peu crédible. On a du mal à gober qu’un professeur coincé et psychorigide puisse du jour au lendemain devenir un pédagogue expert, et qu’il puisse transformer ces gamins dissipés et rebelles en musiciens émérites, en moins de six mois. On a du mal à croire qu’un gamin qui n’a jamais tenu un violon de sa vie devienne subitement un virtuose, même en s’entraînant régulièrement. Comme on a du mal à croire qu’un gamin rebelle, réfractaire à l’autorité, soit capable subitement de se fondre dans le collectif.
Bien sûr, un film n’est pas supposé être toujours ancré dans le réel. Tout le monde aime les contes de fées, les jolies histoires, mais il n’est pas interdit de soigner la narration. Ici, les ficelles sont grossières, même comparées, justement, à Rock Academy, qui n’est pourtant pas un chef d’oeuvre. Et la mise en scène est platement illustrative, sans aucune inventivité.
Franchement, le Cinéma Français, tu peux faire mieux… Tu dois faire mieux. Il y a tant de jeunes talents qui attendent qu’on leur donne leur chance, tant de cinéastes confirmés que l’on a rangé aux oubliettes après seulement un ou deux films, qu’il est criminel de continuer à mettre en avant des oeuvrettes médiocres et sans aucun intérêt…
Prend exemple sur ton vieil ami le Cinéma Américain. Certes, il n’est pas toujours très vaillant on plus. Ses blockbusters estivaux rivalisent souvent de médiocrité, suites de suites de préquelles et remakes paresseux. Et il manque souvent d’audace, en appliquant des recettes qui ont fait leurs preuves plutôt qu’en essayant de nouvelles voies narratives. Mais au moins, il le fait bien, avec des scénarios bien ficelés, des effets de mise en scène, des ambiances visuelles et sonores soignées, des numéros d’acteurs de première classe.
Regarde, par exemple, Bienvenue à Suburbicon, de George Clooney, présenté dans le cadre de la compétition. Il s’agit d’un film noir assez classique, respectant les codes du genre. Dans une petite ville de banlieue proprette de l’Amérique des années 1950, la vie d’une famille modèle, apparemment sans histoires, est subitement bouleversée par un cambriolage, point de départ d’une succession d’incidents meurtriers. Chaque mouvement des personnages principaux déclenche une nouvelle catastrophe, un nouveau drame. Une spirale infernale qui fait beaucoup penser aux scripts des frères Coen, de Sang pour sang à Fargo, ce qui est assez logique, vu qu’ils sont co-scénaristes du film… Ce n’est donc pas d’une originalité folle, mais la mécanique scénaristique est particulièrement bien huilée et on prend beaucoup de plaisir à suivre les mésaventures des personnages principaux. De plus, le scénario s’enrichit d’un subtil sous-texte politique autour du racisme et de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, rappelant à cette Amérique WASP bien-pensante, celle-là même qui a voté pour Donald Trump aux élections présidentielles pour la protéger contre l’invasion des latinos, des musulmans et des communistes, que le véritable danger vient le plus souvent de l’intérieur et que les monstres ne sont pas toujours ceux que la foule a désigné…
Et puis pardon, mais les performances de Matt Damon, Julianne Moore, Julianne Moore (oui, deux fois, parce qu’elle a un double rôle dans le film) et Oscar Isaac, c’est d’un autre calibre que le numéro neurasthénique de Kad Merad. Sans parler du jeune Noah Jupe, révélation du film.
Enfin, même si la réalisation de George Clooney ne révolutionnera pas le 7ème Art, elle reste efficace et particulièrement dynamique – pour ne pas dire “caféinée” – et se distingue même par son audace lors de quelques séquences savoureuses, qui devraient ravir les amateurs d’humour noir. Rien à redire, c’est du très bon travail, digne des films de l’âge d’or hollywoodien. Tu vois, Cinéma Français, il est tout à fait possible de faire dans le “classique” sans se moquer du monde. Je suis certain que tu en es capable. Il paraît, par exemple, que Le Sens de la fête du duo Nakache/Toledano, est une comédie hilarante, pétillante, rondement menée. Pourquoi ne pas l’avoir envoyée à la place de cette Mélodie de malheur?
Sinon, pour ce qui est de l’audace et de l’inventivité, tu devrais t’inspirer du Cinéma Israélien. Prends le film Foxtrot de Samuel Maoz, lui aussi en compétition sur le Lido. Il s’agit d’une oeuvre imprévisible, captivante par son audace narrative et la finesse de son propos, envoûtante par sa richesse formelle.
Le récit commence par un premier choc : Un couple d’israéliens apprend que leur fils soldat est “tombé au combat”. Cloîtrés dans leur appartement, ils accusent le coup. Ils ne s’étaient pas vraiment préparé à cela, pas plus qu’à devoir gérer le protocole funéraire avec des soldats manquant de tact et de compassion. La mise en scène, truffée de trouvailles visuelles, amplifie le vertige et l’ambiance déprimante et funèbre, mais on se dit que le film va conserver tout du long cette tonalité grave.
Mais, première surprise, il bascule vers tout autre chose, à la faveur d’un rebondissement scénaristique savoureux. On retrouve le soldat à son poste, en train de garder un checkpoint. Le travail n’est pas passionnant. Peu de voitures empruntent cette voie poussiéreuse au milieu du désert, et les rares voyageurs sont souvent d’inoffensifs palestiniens, que les soldats israélien s’ingénient à intimider, histoire de montrer qui a le pouvoir. Pour tromper l’ennui, les soldats jouent aux cartes, fument, boivent ou dansent le foxtrot. Toujours porté par de belles idées de mise en scène, le film abandonne le drame prend alors un ton poétique, plus dans l’esprit des films du palestinien Elia Suleiman. Puis le scénario bascule à nouveau, après un contrôle de routine qui tourne mal. Une séquence d’animation amorce l’ultime partie du film, plus dramatique, mais baignée dans une tonalité encore différente.
Malgré ces ruptures de ton, ce morcèlement du récit, l’oeuvre est d’une grande cohérence. Elle illustre parfaitement l’état psychologique d’un peuple traumatisé par des années de conflit, baignant constamment dans la peur de l’autre, l’angoisse d’être tué ou… de tuer. Elle décrit des personnages qui essaient d’échapper à une routine faite de haine et de violence, mais qui ne peuvent pas réellement prendre le contrôle de leurs propres vies.
La construction du film est telle la chorégraphie du foxtrot : un pas à droite, un pas en avant, un pas à gauche, un pas en arrière. Si bien qu’on revient très vite au point de départ. Et il en va de même pour les relations entre les peuples israéliens et palestiniens, incapables de sortir de cette ronde de violence et de haine qui les paralyse depuis des années.
Voilà un film fort, brillant, original, porté par un vrai cinéaste!
Bon d’accord, cher Cinéma Français, il est vrai que Samuel Maoz n’est pas un cinéaste de seconde zone. Il a déjà triomphé à Venise avec son premier long-métrage, Lebanon, qui reposait déjà sur des partis pris de mise en scène audacieux. Mais n’as-tu pas, dans ton stock de metteurs en scène, des petits prodiges, des artistes surdoués, des auteurs iconoclastes? Il me semble que si. Il pourrait être utile de les aider à créer plutôt que de financer des longs-métrages sans âme, des films du dimanche ou des téléfilms de luxe… Avant, tu faisais cela si bien…
Nous aussi on veut danser le foxtrot, le jitterburg ou des rocks endiablés. Pas la danse des canards…
Bon, tout n’est pas perdu. Tu as encore des représentants à placer en compétition : Robert Guédiguian, Abdellatif Kechiche et Xavier Legrand. On espère que ces trois-là ne nous décevrons pas.
Mais fais quand un même un effort : arrête d’envoyer tes nanars dans les grands festivals. C’est la honte! L’année dernière, à Venise, tu nous avais embarrassés avec A jamais. Et à Berlin, tu as récidivé avec Sage femme. Ca suffit comme ça!
A demain pour la suite de nos chroniques vénitiennes…