Hier, nous nous sommes un peu fâchés contre le Cinéma Français, qui n’avait rien d’autre à proposer qu’une comédie commerciale formatée, aux ressorts scénaristiques complètement rouillés. Aujourd’hui, grâce à Robert Guédiguian, nous voilà en partie réconciliés.
La Villa n’est probablement pas le meilleur film de son auteur, mais c’est un long-métrage plus qu’honorable, dans lequel le cinéaste continue d’explorer ses thèmes de prédilection – les relations humaines, les liens familiaux, les racines, les profondes mutations de la société,… – et de mettre en valeur les “petits”, les humbles, les besogneux, sans le sou, mais riches humainement.
Le film s’inscrit dans la lignée des Neiges du Kilimandjaro ou du Fil d’Ariane, deux des oeuvres récentes du cinéaste marseillais, résolument nostalgiques et un brin désabusées face à une société moderne dans laquelle il ne se reconnaît plus vraiment. Ici, le ton est même funèbre. Il est question de fin de vie, de travail de deuil, de l’idée de perte d’un travail, d’un lieu, d’un être cher.
Dès la première scène, un homme âgé fait une attaque cérébrale et est réduit à l’état de légume. Ses trois enfants se réunissent dans la villa familiale, dans les calanques de Marseille. C’est la première fois que la benjamine (Ariane Ascaride) revient dans cette maison depuis plus de vingt ans et elle à peine arrivée qu’elle est assaillie par le chagrin et la douleur qu’elle cherchait à fuir. Le frère cadet (Jean-Pierre Darroussin), lui, trouve plutôt un certain apaisement dans la maison de son enfance. Sa carrière professionnelle a connu un coup d’arrêt brutal, ses ambitions artistiques se sont dissipées et son couple bat de l’aile. Sa compagne, beaucoup plus jeune que lui (Anaïs Demoustier), est tentée de fuir avant de le prendre en pitié. Quant à l’aîné, il est tenté de jeter l’éponge et de vendre le restaurant familial et l’idéologie généreuse qui y était liée – offrir un repas à un prix abordable aux habitants du quartier. Mais chez Guédiguian, on ne se rend pas si facilement. Les individus peuvent toujours s’appuyer sur la force du collectif, les amis, la famille. Et ils puisent dans leur colère face aux inégalités, aux injustice, l’énergie capable de rallumer la flamme.
Ici, c’est l’arrivée d’un groupe de migrants qui va permettre à cette fratrie de prendre un nouveau départ et de transformer le ton funèbre du départ en une ambiance solaire, rassérénante.
Le ton est tout aussi doux-amer dans The Leisure Seeker, le nouveau long-métrage de Paolo Virzi, qui suit deux personnes âgées, Ella (Helen Mirren) et John (Donald Sutherland), durant leur périple vers la Floride, à bord de l’antique camping-car familial, baptisé “The Leisure seeker”. Ce qui pimente un peu ce road-movie, c’est que le duo n’est pas vraiment en état de se lancer dans un tel voyage. Ella est atteinte d’un cancer à un stade avancé et John, frappé par la maladie d’Alzheimer, a de plus en plus de mal à rester lucide. Pourtant, au grand désespoir de leurs enfants, ils partent pour ce qui devrait être leur ultime périple, se remémorant les bons moments passés ensemble et réglant aussi de vieilles querelles d’amoureux.
Soyons clairs, la mise en scène de Paolo Virzi ne brille guère par son originalité ou sa virtuosité, et le déroulement du scénario est un peu trop aisé à prévoir, mais le film fonctionne plutôt bien, arrachant quelques rires grâce à des répliques percutantes et même quelques larmes grâce à ses deux acteurs principaux, Helen Mirren et Donald Sutherland, très sobres et très justes.
Il n’y a pas à dire, rien ne remplace l’expérience, surtout quand elle est conjuguée au talent.
A plus de quatre-vingts ans, Judi Dench en est également aussi le parfait exemple. Alors que certains la pensaient perdue pour le cinéma et la scène, elle continue d’enchaîner les rôles, avec la même énergie et la même prestance. Dans Victoria & Abdul de Stephen Frears, elle s’offre même une performance royale en incarnant une nouvelle fois la Reine Victoria, vingt ans après La Dame de Windsor.
Cette fois, il s’agit d’une Victoria en fin de règne, âgée, fatiguée des protocoles et des intrigues de la cour, qui trouve du réconfort auprès d’un de ses servants indiens, Abdul Karim (Ali Fazal). L’homme, venu en Angleterre à l’occasion du jubilée de la souveraine, ne respecte pas vraiment les protocoles, mais il se montre bien plus franc et loyal que la plupart de ses conseillers. Elle se passionne vite pour sa culture, ses coutumes, ses traditions, autant de choses dont on l’a tenue à l’écart alors qu’elle est pourtant supposée être l’Impératrice des Indes. Alors, elle en fait rapidement son conseiller privé, son “Munshi”, au grand dam de la cour. Le Prince Edouard, le Premier Ministre et les intrigants du palais n’acceptent pas que ce “sauvage” s’implique dans les affaires de la Couronne, surtout au vu des tensions qui commencent à agiter les colonies indiennes. Mais plus ses sujets protestent, plus la Reine donne de l’importance à Abdul, qui finira Commandeur de l’Ordre Royal et Compagnon de l’Ordre de l’Empire des Indes.
Inspiré de la véritable amitié entre la Reine d’Angleterre et son conseiller indien, ce récit a été romancé juste ce qu’il faut pour livrer un joli récit historique, opposant le respect mutuel et l’ouverture d’esprit aux comportements xénophobes et colonialistes. Cela sert aussi de prétexte à Stephen Frears à une réflexion sur l’intégration des minorités musulmanes dans les pays européens. Car finalement, cent-cinquante ans plus tard, on constate les mêmes réflexes xénophobes, le même rejet des cultures et des religions étrangères, les mêmes craintes face aux “autres”. Il rappelle aussi la responsabilité du gouvernement britannique sur les problèmes géopolitiques actuels, car si le Pakistan est l’un des berceaux des mouvements islamistes, cela vient probablement des blessures liées à la décolonisation des Indes britanniques et à la partition du pays en deux états.
A demain pour la suite de nos chroniques vénitiennes…