En quelques années le patrimoine de la chanson française s'est vu rattrapé par le cinéma et de nombreux biopics ont été produits sur quelques artistes incontournables. Que ce soit Piaf, Cloclo ou Gainsbourg , chacun a vu sa vie mise en images, décrivant les ombres et les lumières qui s'y rattachaient. Il suffisait d'un peu de patience avant que la vie, ô combien romanesque de Barbara , ne soit embrassée à son tour par les ors du cinéma contemporain. Comme pour les films consacrés aux artistes précités, l'art du biopic nécessite de trouver le bon équilibre entre l'hagiographie et les eaux troubles dans lesquelles nageaient parfois ces superstars. Mathieu Amalric, avec beaucoup de finesse et d'intelligence, a contourné la difficulté qui se présentait à lui et plutôt que de se lancer dans un classique exercice de reconstitution d'une vie " bigger than life ", a choisi la mise en abîme avec cette actrice qui s'apprête à incarner Barbara au cinéma. Ce qui aurait pu avoir l'allure d'une facilité pour éviter de se frotter au monument national que représente la chanteuse s'avère en fait d'une malignité extrême et les divers subterfuges trouvés par le metteur en scène parviennent à nous troubler d'une façon telle, que l'on finit par ne plus distinguer la réalité (le tournage du film) du biopic pur (de véritables images d'archive qui s'intercalent à intervalles réguliers). La grande force du film est d'éviter d'être ce qui ressemble pourtant étrangement à de la docu-fiction et de parvenir à distiller une fascination et un trouble de manière assez remarquable.
Barbara, septième film de Mathieu Amalric présenté en ouverture d'Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes, distord les codes habituels du biopic et par la grâce d'un dispositif savamment préparé, permet de capter au vol la personnalité d'une artiste unique et de tendre un miroir saisissant sur la comédienne qui se l'approprie. En mélangeant les histoires et les sentiments qui se confondent peu à peu dans le regard béat d'admiration du metteur en scène joué par Amalric lui-même, Barbara la chanteuse et Brigitte (en hommage à Brigitte Fontaine ) la comédienne, vont jouer un pas-de-deux continuel qui nous trouble et nous plonge dans la confusion. Le mimétisme est tel dans les vraies séquences rejouées par Jeanne Balibar qu'on ne sait parfois plus qui est l'une ou qui est l'autre mettant à contribution l'imaginaire du spectateur et Amalric parvient avec virtuosité à nous faire toucher du doigt le vertige de la création et la part d'irrationnel d'une artiste.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, l'exercice casse-gueule s'il en est, est captivant, dès lors que l'on se laisse aller et que l'on accepte de s'embarquer pour le voyage. C'est une expérience sensitive étrange et entêtante qui nous est proposée, ponctuée par les chansons sublimes de Barbara. Chacune des étapes marquantes de la vie de la chanteuse est évoquée en creux mais il ne s'agit pas du cœur du récit. Tout en allusions, sa personnalité n'en est pas pour autant juste survolée, chaque scène distillant des bribes de son caractère, de ses emballements, de ses doutes, de sa versatilité... Il faut dire que Jeanne Balibar EST Barbara . Prodigieuse, fascinante et envoûtante, la comédienne réussit une composition phénoménale, charriant avec subtilité tout le spectre de la personnalité multiple de l'artiste. Perturbant et entêtant, Barbara est pourtant un film qui ne plaira pas à tout le monde évidemment, tant il est à la fois conceptuel et peut paraître abscons. Mais si la magie fonctionne, que vous vous basculez dans cet univers composé de moments feutrés, d'instants volés à la dérobée et d'une sorte de douceur fantasque qui interpelle, le tour de chant confine au vertige.
Titre Original: BARBARA
Réalisé par: Mathieu Amalric
Casting : Jeanne Balibar, Mathieu Amalric, Vincent Peirani...
Genre: Drame
Date de sortie : 06 septembre 2017
Distribué par: Gaumont Distribution
EXCELLENT