[Mostra de Venise 2017] Jour 10 : Les fins de festival sont parfois difficiles

Les derniers jours de festival peuvent s’avérer difficiles, parce que parfois, on ne garde pas le meilleur pour la fin…
Manhunt, qui devait marquer le grand retour de John Woo dans son genre de prédilection, le film d’action hard-boiled, s’avère une amère déception. Il s’agit d’un film bordélique, excessif, reposant sur un scénario que l’on pourrait résumer à un croisement improbable entre Le Fugitif (ça passe…) et le Catwoman de Pitof (ça craint…). L’intrigue tourne autour d’un avocat d’affaires (Zhang Hanyu), accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Comprenant que cette affaire est liée liée à l’un de ses anciens dossiers, une histoire de tests illicites sur une nouvelle molécule pharmaceutique, capable de décupler la force physique d’un individu, il essaie de trouver les preuves de la machination ourdie contre lui, tout en étant traqué aussi bien par un policier japonais opiniâtre (Masaharu Fukuyama) que par des tueurs à gages pour le moins agressifs. Cela dit, on sait bien que John Woo n’est pas un apôtre du “cinéma-vérité”. Ses intrigues sont souvent assez improbables, à l’image de Volte-Face ou de  A toute épreuve, et elles ne servent que d’une trame permettant au cinéaste de signer de véritables morceaux de bravoure cinématographique, des scènes d’action inventives, époustouflantes de virtuosité. Mais ici, cela ne fonctionne que par intermittences. On retrouve bien la patte du cinéaste dans les scènes de fusillades, avec glissades sur le dos, bullet-time et effets de ralentis, ou dans quelques courses-poursuites spectaculaires, en hors-bord, en voiture, en moto) mais la magie opère nettement moins.

Manhunt - 2

Déjà, on sent que le cinéaste a bénéficié d’un budget moins important qu’à la grande époque, le contraignant à bâcler certaines scènes d’action ou de recourir à des effets digitaux assez laids.
Ensuite, ses acteurs possèdent moins de charisme que ses anciens comédiens-fétiches, Leslie Cheung et Chow Yun-fat. Mais soyons honnêtes, John Woo ne les aide pas beaucoup en les contraignant, langages différents obligent, à dire certaines de  leurs répliques en anglais, une langue dans laquelle ils sont peu à l’aise.
Enfin, on a l’impression que tous ses effets de mise en scène, novateurs il y a vingt ans, sont aujourd’hui un peu dépassés, banals. Pourtant, Woo met le paquet. Il empile tous ses gimmicks, comme s’il voulait réaliser une sorte de best-of, un film-testament : Ralentis, accélérés, arrêts sur image, effets stroboscopiques, construction type roman-photo… Tout y est! Même l’envol des colombes durant les fusillades, un grand classique! Ses fans inconditionnels seront heureux de toutes ces références, mais les autres trouveront probablement tout ce cirque bien inutile et un peu ringard, car plutôt qu’un film-somme, Manhunt ressemble à une auto-parodie, une farce, un délire pour se faire plaisir.
Soyons francs, on ne passe pas un mauvais moment devant ce film déjanté. On ne s’ennuie pas une seconde et on prend même du plaisir devant certaines scènes d’action habilement chorégraphiées, mais on est quand même un peu embarrassés de voir ce grand cinéaste courir, en vain, après sa gloire passée.


Le fidèle - 2

Bon, Manhunt n’est pas un grand film, loin de là, mais au moins, John Woo a le mérite de ne pas se prendre au sérieux. On ne peut pas en dire autant avec Michaël R. Roskam, qui nous gratifie, avec Le Fidèle du pire nanar de cette 74ème édition de la Mostra. Mais attention, hein, du nanar de compète, qui touche au sublime, et sans crier gare…
Après un excellent premier film, Bullhead, et un second un peu plus classique, Quand vient la nuit, on attendait de voir ce qu’allait proposer le cinéaste belge. Prudemment, ce-dernier opte pour une trame ultra-classique : Gigi (Matthias Schoenaerts), un petit voyou, rencontre Géraldine (Adèle Exarchopoulos), pilote dans un écurie de course automobile, et a le coup de foudre. Comme cela semble réciproque, il décide de rentrer dans le rang, devenir un homme honnête. Mais avant cela, il doit effectuer un ultime braquage avec ses copains d’enfance, un coup qui le mettra à l’abri du besoin et lui permettra de partir avec sa douce en Argentine. Evidemment, cela ne va pas tout à fait se dérouler comme prévu… Mais vous ne pouvez pas imaginer à quel point. Car à ce point du récit, aux deux-tiers du film, Roskam estime qu’il fait peut-être un peu trop dans le classicisme. Alors, il fait basculer son récit dans une autre dimension. Il suffit de l’intervention d’un chien, un petit roquet genre Jack Russell, pour que le film de gangster convenu devienne un nanar magnifique. Là, tout part en sucette. Le film vire au mélodrame épouvantable, défie toute crédibilité scénaristique, accumule les dialogues grotesques, dont on avait déjà un petit aperçu dans les deux premières parties du récit. On se bidonne devant ces situations improbables, ces répliques truculentes, ces numéros d’acteurs en roue libre. Aïe, pourtant, le cinéaste rêvait d’un film tout à fait sérieux, poignant, grave et même funèbre. Pour le dernier point, c’est presque réussi, car nous sommes sortis de la projection morts… de rire.
Michaël R. Roskam a intérêt à se ressaisir car à ce train-là, les spectateurs risquent de ne plus lui être fidèles très longtemps…

Les derniers jours de festivals peuvent parfois s’avérer difficiles, parce que, la fatigue aidant, on a plus de mal à tenir le choc face aux oeuvres art & essai pures et dures…


Hannah - 2

Prenez, par exemple,  Hannah d’Andrea Pallaoro. C’est un film qui se veut résolument anti-narratif, lent et austère.
La caméra suit le quotidien d’une femme (Charlotte Rampling) qui semble souffrir d’un certain isolement, d’une profonde solitude, d’une dépression. Entre son métier de domestique, ses trajets en métro, les rares moments partagés avec son mari, Hannah semble constamment à la dérive. Mais le scénario n’explique pas pourquoi elle est dans cet état. C’est au spectateur d’assembler le puzzle avec les quelques indices disséminés ça et là, et en ressentant les choses à travers la mise en scène d’Andrea Pallaoro, qui privilégie les cadrages oppressants et accumule les symboles d’enfermement.
Le parti-pris est assez radical et risque de perdre des spectateurs en cours de route, surtout après dix jours de projections et quelques quarante films visionnés. Mais on ne peut que saluer cette audace et ces choix artistiques. Au moins, il y a une vraie proposition de cinéma, une tentative de bousculer les codes de la narration conventionnelle. Cela donne un brillant exercice de style tout en offrant un très beau rôle à Charlotte Rampling, touchante, mystérieuse et inquiétante d’un bout à l’autre du film. Un rôle qui la positionne en bonne place pour la Coupe Volpi de la meilleure actrice.
D’accord, ce n’est pas du cinéma facile, mais les efforts valent la peine…


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Même topo pour Life guidance de l’autrichienne Ruth Mader.
L’idée du film est plutôt séduisante puisqu’il s’agit d’un récit d’anticipation dans lequel les hommes et les femmes doivent absolument chercher à dépasser leurs limites, s’améliorer intellectuellement, physiquement, moralement, pour pouvoir atteindre le bonheur parfait, sous peine d’être encadrés par des coachs de vie particulièrement envahissants (les Life Guides) et, si aucun progrès n’est constaté, être rétrogradés socialement, jusqu’à l’exclusion vers la “cité du sommeil”, où l’on reverse tous les déchets de la société, les petits, les moins que rien. On suit les déboires d’un homme qui est supposé avoir une vie parfaite – une jolie maison d’architecte design, une femme sexy, un petit garçon studieux et ambitieux, un travail d’analyse économique lui permettant de financer ce cadre de vie idyllique – mais qui, soudainement, se met à douter de son bonheur. Il est attiré par des choses indignes de son rang social – la religion, les pauvres, les bas-fonds… Il est donc illico traqué par les Lifes Guides, qui transforment son  existence bien rangée en un cauchemar kafkaïen…
On comprend bien les intentions de la réalisatrice de Struggle : critiquer cette société capitaliste où les individus doivent être ambitieux pour survivre, travailler toujours plus pour gagner plus, ou du moins pour conserver leur train de vie, et essayer d’accéder à la classe sociale supérieure, sans se soucier des “autres”, ceux qui se retrouvent exilés en marge de la société, et sans jamais atteindre le graal, le cercle des puissants, qui vie oisivement du fruit du travail des autres en veillant à ce que personne ne puisse pénétrer dans leur cercle très fermé. Le scénario est bien construit, les thématiques sont en phase avec des préoccupations très actuelles : la crainte d’une société totalitaire contrôlant nos vies, la peur du chômage et de la déchéance sociale, l’angoisse de ne pas trouver le bonheur et l’épanouissement… Mais sur la forme, c’est assez austère. Les plans composés par la cinéaste sont très froids, minimalistes et désincarnés. Le rythme global du récit est très lent et l’action, assez rare, est accompagnée d’une musique assez horripilante. C’est conçu pour jouer avec les nerfs du spectateur et ça fonctionne plutôt bien. Mais là encore, en fin de festival, c’est rude…

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On ne peut pas dire que la forme du Disappearance d’Ali Asgari soit beaucoup plus sexy. Il s’agit aussi d’une oeuvre assez austère et glaçante, qui joue sur la durée et les répétitions de scène afin de retranscrire la soirée mouvementée d’une jeune femme essayant de se faire admettre aux urgences pour régler un “problème”. Elle affirme qu’elle a été violée, mais on comprend que cela ne correspond pas tout à fait à la réalité. Elle a probablement cédé à la tentation et eu un rapport prénuptial avec son petit ami. Mais en Iran, pays très à cheval sur les traditions religieuses, perdre sa virginité avant mariage peut constituer un problème. La jeune femme et son fiancé le comprennent très vite, car à l’hôpital, personne ne veut les prendre en charge. Si elle doit être soignée et opérée, il faut qu’elle soit accompagnée de son père ou qu’elle laisse ses papiers d’identité pour que l’on puisse informer sa famille. Evidemment, les deux tourtereaux n’ont pas très envie de tout dévoiler à leurs familles. Ils n’étaient même pas censés se fréquenter… Alors, ils essaient de trouver un médecin qui accepte de se laisser corrompre. Et là encore, ce n’est pas si simple que cela.
Le film s’applique à montrer une jeunesse iranienne qui étouffe sous le poids des traditions et des difficultés administratives, une jeunesse qui ne peut pas s’épanouir ni s’exprimer. Dans ces condition, l’amour ne peut exister et le futur apparaît comme bien incertain.
Disappearance s’inscrit totalement dans la mouvance du jeune cinéma Art & Essai iranien, ou des films post-Printemps Arabe. Pour une première réalisation, c’est plutôt réussi. Le cinéaste développe proprement ses thématiques, en appliquant à la lettre les conventions des films d’auteurs locaux et en utilisant parfaitement ses jeunes comédiens. Mais il n’y a pas vraiment de surprise pour le spectateur, d’autant que le sujet a déjà été traité ou effleuré dans d’autres films, documentaires ou oeuvres de fiction.


Jusqu'à la garde - 2

Les derniers jours de festival peuvent parfois s’avérer difficiles parce qu’on n’est pas à l’abri d’un film coup de poing surgi de nulle part (ou presque)…
Jusqu’à la garde traite lui aussi d’un sujet mille fois traité – les violences conjugales, la crise de couple et le divorce. Mais il a rarement été traité aussi bien, en tout cas avec une telle intensité, une telle acuité.
Tout commence au tribunal, ou une juge doit trancher une demande de garde alternée. La mère (Léa Drucker) a pour l’instant la garde complète des deux enfants, une fille de 17 ans et un garçon d’une dizaine d’années. Le père (Denis Ménochet), désireux de voir ses enfants, a décidé de s’installer à proximité et a demandé la garde alternée, déjà un weekend sur deux, puis une semaine sur deux.
Le hic, comme l’indique la juge, c’est que les enfants ne veulent plus le revoir. La fille aînée, à bientôt 18 ans, ne peut plus être contrainte de le voir et cela tombe bien car elle ne le supporte plus. Et le garçon a écrit qu’il ne souhaite plus que “l’autre” l’approche ou approche son foyer. L’avocate de la mère précise que si les enfants ne veulent plus voir leur père, c’est que ce dernier se montre souvent violent et menaçant avec leur mère. L’avocate de ce dernier proteste. Il n’y a aucune preuve de maltraitance et, comme les enfants sont gardés par la mère, elle peut très bien les monter contre leur père. La juge, à partir de ces éléments, rend son verdict. Elle accorde la garde alternée, un weekend sur deux, pensant au bien des enfants.
Cette perspective terrifie le petit garçon, qui craint que “l’autre” ne se serve de cette décision pour approcher à nouveau sa mère et laisser le cauchemar recommencer.
Intelligemment, Xavier Legrand laisse planer le doute sur le personnage du père. Ceux qui on vu Avant que de tout perdre, le premier court-métrage remarqué du cinéaste, connaissent déjà le conflit qui mine cette famille. Mais ici, l’homme semble sincère quand il dit que ses enfants lui manquent, et plus calme. Cependant, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise en le voyant. Denis Ménochet y est pour beaucoup, avec son jeu très physique, tout en colère contenue. Il ressemble à un animal sauvage blessé, prêt à mordre ceux qui l’approchent. On sent que la situation peut dégénérer à tout moment.
S’appuyant sur ses acteurs et sur une mise en scène maîtrisée, Xavier Legrand fait lentement monter la tension, joue avec les nerfs du spectateur et lui donne des sueurs froides.
Pour une fin de festival, c’est âpre…

A demain pour la suite de nos chroniques vénitiennes.