Le cinéma se présente depuis les origines comme une activité mixte – expérience à la fois solitaire et collective. Un rassemblement fortuit de paires d’yeux venus partager la même séance pour rire, pleurer et s’émerveiller entre gens bien élevés.
De L’entrée d’un train en gare de La Ciotat à Avatar la technique a changé, le confort évolué, et les ouvreuses ont laissées leur place à des kiosques et distributeurs hors de prix. Des ami(e)s et plus si affinités côtoient les familles nombreuses, le cinéphile solitaire, le retraité culturé et l’ado en mal de sensations fortes. C’est toute la société qui se retrouve dans l’antichambre crépusculaire du 7ème art, sans autre distinction que celle qui les rapproche – la passion indéfectible du cinéma.
Pourtant, au-delà de l’image d’Épinal fantasmée du vivre ensemble se trouve une autre réalité bien moins glorieuse, un retour au tangible qui gâche tout. Incivilité vis-à-vis du personnel, propreté à revoir, cris d’orang-outang devant les représentants modernes du cinéma d’horreur, les dérives sont multiples et brisent la confiance implicites partagés par ceux de bonne volonté. L’antre du merveilleux et de l’évasion devient la succursale des stupides, véritable air de jeux dans laquelle le respect n’a plus sa place. Dans le noir complet, à nouveau imprégner de son instinct de groupe primal, l’homme redevient Neandertal – un grand gus poilu avec un petit pois en guise de cerveau. Il n’est plus à même d’apprécier le divertissement qui défile devant lui, trop occuper à attirer l’attention de tous ceux qui pourrait l’entendre.
Dès lors, on comprendra aisément pourquoi les expériences de cinéma solitaire sont en vogue et se développent toujours plus. Télévisions, ordinateurs, téléphones mobiles, tablettes et maintenant casques de réalité virtuelle sont autant de support qui permettent de profiter pleinement des films 4 mois après leur sortie en salles – une attente compensée par le confort certain de visionnage. Ici pas de stress pré-séance à imaginer avec crainte les pires dérapages des autres spectateurs. L’écran est plus modeste, le son moins percutant, mais le plaisir est sauf voir restauré. Celui qui n’a jamais été seul (au moins une fois dans sa vie…) n’a jamais apprécié à sa juste valeur une œuvre de cinéma, immergé dans ce paradis de fiction et coupé de l’enfer des autres. Reste pour les inconditionnels du combo pop-corn et grand écran les plages horaires désertées ou la confidentialité de certaines salles.
Claude Lelouch a dit « Le cinéma est fait pour tous ceux dont la curiosité est le plus grand défaut ». Oserais-je rajouter « Et les autres restez chez vous ! ». La civilité est un devoir accessible à tous, en tout lieu et toute occasion – la salle de cinéma ne fait pas exception. Et réaliser après deux heures de film que les hobbits ont les pieds poilus en s’esclaffant jusqu’à couvrir la bande sonore ce n’est pas un comportement normal.