La vengeance est une forme de justice sauvage. La raison qui motive une telle intrigue est évidente. Il s’agit d’une riposte. Le protagoniste cherche à se venger de l’antagoniste pour un tort réel ou imaginaire que ce dernier aurait commis à son encontre.
Ce type d’intrigue convoque une réaction émotionnelle assez intense chez le lecteur. C’est plus fort que nous. Nous nous hérissons contre toute forme d’injustice et aspirons à ce que celle-ci soit corrigée.
Ce qui est intéressant aussi avec ce type d’intrigue est que la riposte souhaitée (par le lecteur et par le héros de l’histoire) se situe très souvent au-delà des limites légales. L’éthique pourrait alors être sérieusement malmenée.
Et en effet, il y a des moments (en fiction comme dans la vie réelle) où la justice peine à s’appliquer. C’est alors que nous décidons de prendre les choses en main.
L’Exode (chapitre 21 ; verset 24) comme prétexte à l’intrigue
�Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied.
Une personne vertueuse ne manquerait certainement pas de citer cependant la réponse de Jesus telle que nous la propose Luc (le verset 29 du chapitre 6) :
Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre. Si quelqu’un prend ton manteau, ne l’empêche pas de prendre encore ta tunique.
Un sentiment bien pur mais surtout corrompu par la nature humaine qui ne peut s’en contenter. Si tu me frappes, je te frapperai en retour est une réponse que la plupart d’entre nous privilégie même si certaines personnes s’accrochent à leur foi et résistent à la tentation de la vengeance.
La vengeance a rapport avec l’autodéfense. Cette dernière est une idée qui est fortement liée aux circonstances historiques. De nos jours, par exemple, son importance a pris une certaine ampleur. Ce qui peut nous laisser penser que ce type d’histoires risque de mal vieillir et de ne pas être perçu avec toute l’acuité qu’il pourrait mériter dans quelques années, par exemple.
Au gré des événements historiques.
Néanmoins, on peut espérer une certaine universalité lorsqu’un crime appelle vengeance. Œil pour œil est une expression qui a traversé le temps sans prendre une ride. Et Shakespeare l’a même accompagné de la folie de Hamlet.
Au cœur de la vengeance
Au cœur de l’intrigue est le protagoniste. Il est habituellement une bonne personne à laquelle il arrive l’impensable. Le héros se trouve forcé alors de se venger lorsque la loi ne pourra lui apporter une certaine satisfaction en punissant le coupable.
Et il y a l’antagoniste, c’est-à-dire la personne qui a commis le crime. Un quelconque caprice bizarre de la logique des événements a cependant permis à ce criminel d’échapper à la justice des hommes.
Il y a aussi un troisième élément dramatique à une intrigue basée sur une vengeance. Et c’est la victime que le protagoniste doit venger.
Il est important de tenir compte que ce processus de victimisation sert à rendre le protagoniste comme la victime indirecte de l’antagoniste. Le personnage qui succombera et le héros de l’histoire ont une relation intime très marquée. Lorsque la relation est rompue par la mort de l’autre, c’est comme si le héros était privé d’un amour ou d’une amitié qui lui donnaient un sens à son existence.
Ce dispositif dramatique sert à amplifier la sympathie et l’empathie que le lecteur doit éprouver envers le personnage principal.
En dramaturgie, il vaut mieux éviter d’être en demi-teintes. Le crime commis devra être particulièrement odieux pour justifier l’action du protagoniste dans sa recherche de vengeance.
La punition doit égaler le crime
C’est ce que nous dit la Bible, après tout. Œil pour œil, dent pour dent… La Bible nous exhorte à ne pas excéder ce qui a été reçu.
Une intrigue sur la vengeance se compose de trois phases dramatiques. La première consiste essentiellement à l’exposition du crime. La relation entre le héros et la future victime est établie. Et ce n’est pas une mince liaison. Il s’agit vraiment d’une union.
Et puis soudain, le crime s’introduit dans cette relation et il est mis un terme au bonheur du héros.
Même s’il oppose une résistance à l’accomplissement du crime, le héros est dépassé. Soit il intervient trop tard pour empêcher l’irréparable, soit il est gêné ou retenu voire obligé d’assister au crime, ce qui rend l’horreur encore plus palpable.
L’incident déclencheur est effectivement le crime lui-même. Il est possible aussi qu’il ait eu lieu avant le début de l’histoire. Un petit rappel s’impose. Commencez l’action in media res, c’est-à-dire qu’une scène débute le plus tard possible et qu’elle finit le plus tôt possible.
Confinez votre écriture au cœur de la scène. Si un méchant cowboy veut tuer votre héros qui s’est réfugié dans un ranch, ne perdez pas de temps à nous montrer son arrivée au ranch. Débutez la scène par la porte qu’il défonce et son entrée brutale dans la pièce, le fusil pointé prêt à faire feu.
Et lorsque le héros sera plus rapide et abattra cet intrus, ne vous figez pas dans la désolation de ce spectacle. Par exemple, montrez-le s’enfuyant au grand galop.
Par contre, pour conserver l’expérience émotionnelle du crime, le lecteur devrait être témoin de celui-ci. Ne réduisez pas outre mesure ce moment nécessaire à l’atmosphère qui doit se dégager de toute l’histoire. L’auteur cherche à faire partager son indignation avec le lecteur. Pour gagner son empathie, le lecteur doit assister au crime.
Un lien avec la victime
Pour créer l’empathie avec le personnage principal, il faut d’abord établir un lien avec la victime. Le lecteur doit se sentir désolé pour celle-ci. Pour qu’il partage la même indignation que le personnage principal, il doit vouloir que la même justice soit rendue à la victime.
Ainsi, si le crime a eu lieu avant le début de l’histoire, il y a alors un risque que l’empathie soit plus difficile à mettre en place. Puisque l’un des principaux buts de ce type d’intrigue qui se résout autour de la vengeance est que le lecteur comprenne totalement la motivation du héros.
Et pour cela, il est nécessaire de créer un véritable lien émotionnel entre le personnage principal et le lecteur. La victime est le vecteur indispensable.
Comme le héros n’obtient pas justice, l’histoire entre alors dans sa seconde phase dramatique. C’est l’intrigue elle-même. Elle commence par la préparation de la vengeance. Si l’auteur n’a prévu qu’un seul antagoniste, parallèlement à la planification de l’action, il y a aussi une recherche (ou poursuite) de cet antagoniste.
Si la force antagoniste se compose de plusieurs personnages, alors l’intrigue débute par le héros administrant déjà ses premières représailles.
Si l’on se réfère à la théorie narrative Dramatica, il est bon d’ajouter un troisième personnage (un Influence Character) qui va tenter de détourner le personnage principal de son intention.
Dans Un Justicier dans la ville de Wendell Mayes, d’après le roman éponyme de Brian Garfield, Paul Kersey se munit de son arme et décide de faire la seule chose qui pourrait le soulager. L’inspecteur Frank Ochoa, chargé de l’affaire, le prend alors en chasse. C’est lui qui sera cet Influence Character qui va tenter de détourner la trajectoire effroyable de Kersey.
La confrontation
La rencontre ultime avec le méchant ou le chef de bande a enfin lieu. Parmi les conventions du genre, il est indubitable que le lecteur s’attend au triomphe du protagoniste d’autant plus que sa détermination n’a jamais faiblie. L’auteur pourrait cependant en décider autrement.
La plupart du temps néanmoins le protagoniste accomplit sa vengeance et s’en retourne lors du dénouement à une vie presque normale.
La vengeance est une motivation puissante. Elle s’accompagne souvent de violence qui pourrait embarrasser quelque peu le lecteur. Et bien que la violence ne soit pas intrinsèque à l’accomplissement de la vengeance, il est notoire qu’une telle intrigue implique une forme ou une autre de violence.
Or si un auteur souhaite intégrer ce motif commun de la vengeance dans le cadre formel d’une comédie, il va de soi qu’il ne pourra gérer une quelconque forme de déchaînement ou d’agressivité verbale ou physique. Mais comme la punition doit être à la hauteur du crime commis, il suffit alors de traiter des crimes plus appropriés à la comédie. Comme par exemple, un escroc pris au piège de ses propres escroqueries.
Quelques points à garder en mémoire
- Le protagoniste cherche réparation auprès d’un antagoniste pour un affront, une blessure, un crime… imaginaire ou réel.
- Une intrigue sur une vengeance se focalise davantage sur l’acte lui-même que sur une étude significative des motivations qui pousse un personnage à vouloir se venger d’un autre personnage.
- Le plan que concocte le héros pour se venger est habituellement hors des limites légales. Il est prêt à accomplir des actes immoraux pour mener à bien sa mission.
- Il faut garder à l’esprit qu’une intrigue fondée sur la violence va interpeller le lecteur et manipuler quelque peu ses sentiments. C’est tout de même l’apologie de se défendre soi-même dont traite l’histoire, ce qui met en danger le principe même des institutions garantes de l’ordre établi.
Cette intrigue met en scène un homme ou une femme ordinaire qui est forcé d’agir face aux événements lorsque les institutions qui normalement devraient gérer ce genre de problème s’avèrent inadéquates ou incapables. - L’auteur doit expliciter les justifications morales qui poussent son héros à mettre en œuvre des représailles souvent violentes contre un individu. Car l’auteur met en place un déni des institutions. Il a tout intérêt à bien documenter ce qui pousse son héros à agir si fermement.
- Nous l’avons vu, la punition ne doit pas excéder le crime. Si le héros va au-delà de l’offense qui fut perpétré contre lui, le lecteur n’y verra qu’une forme de sadisme qui ne se justifie pas dans ce type d’histoire.
- Avant que l’intrigue ne commence vraiment (donc au cours de l’acte Un), le héros doit passer par des voies légales pour que le crime à son encontre soit jugé. C’est devant la déception qu’il ressent devant l’incapacité des autorités à lui apporter ce simple soulagement qu’il décide d’orienter ses efforts vers une vengeance personnelle.
- L’incident déclencheur est le crime lui-même. Celui-ci vient bouleverser le quotidien du héros. Il faut faire en sorte que le lecteur comprenne l’impact à la fois physique et émotionnel (le personnage se laisse aller par exemple ou entre en dépression)que ce crime pose sur le héros. Ensuite, devant l’inaptitude voire l’ignorance des voies officielles, le héros réalise qu’il doit poursuivre sa propre cause s’il veut venger ce crime.
- Tout au long de l’intrigue (la seconde phase dramatique), l’antagoniste échappe à la vengeance soit par son intelligence ou parfois par hasard. Cette seconde phase habituellement développe la relation de plus en plus conflictuelle et tendue entre ces deux personnages diamétralement opposés.
- Alors que le début de l’intrigue est souvent la conception du plan pour mettre à bien la vengeance, comme dans de nombreuses histoires, rien de ce qui a été prévu ne se déroulera comme prévu (ce serait trop facile autrement).
Le héros devra alors improviser et l’auteur laissera ainsi libre cours à son inventivité. Classiquement, le protagoniste triomphe de son Némésis. Mais dans ce type d’intrigue, il ne paiera pas vraiment émotionnellement sa victoire comme c’est le cas dans de nombreuses histoires où le succès s’accompagne souvent d’un prix à payer. Ici, la réussite du héros sert de catharsis au lecteur qui a quand même été assez malmené avec ce message très particulier de l’auteur.