SYNOPSIS: Alors que le conflit sino-japonais fait rage, une jeune prostituée tombe amoureuse d'un soldat. Parallèlement, elle est victime d'un officier sadique qui la harcèle.
Il est de bon ton ces dernières années de dire qu'un réalisateur employé par un grand studio y perd une grande partie de sa liberté si ce n'est son âme. Les dernières polémiques nées de l'éviction de Christopher Miller et Phil Lord ( Han Solo) et du départ de Colin Trevorrow ( Star Wars 9) sont venues encore alimenter le débat. La réalité est bien plus complexe et dépend surtout grandement de la personnalité du réalisateur et de sa détermination à imposer ses vues. Dans les années 50-60, la Nikkatsu était la plus grosse major japonaise qui dominait une industrie cinématographique japonaise alors en plein essor. Seizun Suzuki la rejoignit en 1954 et s'il se plia aux genres alors en vogue (polars, films de samouraïs et pinku eiga), au rythme stakhanoviste de production (3 films par an en moyenne) il parvint à y imposer tant son style que ses thématiques. Histoire d'une prostituée est de ce point de vue, à nos yeux, l'une de ses plus remarquables réussites.
De ce qui sur le papier n'était guère plus qu'un mélodrame érotique sur fond de guerre sino-japonaise, Suzuki tire une vraie réflexion sur la guerre, une charge sur la condition de ces soldats autant que de ces prostituées. Enveloppé dans un magnifique noir et blanc et parcouru d'expérimentations visuelles étonnantes, cette histoire d'une prostituée ( Harumi ) a bien plus à offrir que le programme attendu. C'est après le massacre de Nankin en 1937, au cours duquel les soldats de l'armée impériale japonaise se rendirent coupables de dizaines de milliers d'assassinats et de viols tant sur des femmes que sur des enfants, que l'état major japonais décida d'enrôler des " femmes de réconfort " pour apaiser les frustrations sexuelles de ses soldats. Si le cœur de son récit est la romance entre Harumi ( Yumiko Nogawa) et Mikami ( Tamio Kawaji) Histoire d'une prostituée ne passe pas à côté de ce contexte dramatique dans lequel le Japon se comporta comme un proxénète, un tenancier de maisons closes dans lesquelles des femmes sont livrées à la libido et la violence de soldats harassés par un conflit d'une extrême violence. Harumi s'y est engagée volontairement, cherchant à fuir la ville après une douloureuse relation avec un homme mariée mais son enthousiasme de participer à " l'effort de guerre " cède vite face à la violence de certains de ces soldats. Il n'est pas nécessaire à Suzuki de s'attarder longuement sur les conditions de vie dans ces maisons closes pour nous en faire saisir l'inhumanité avec ces officiers et ces soldats qui prennent les femmes comme des objets, se succèdent par dizaines dans leur chambre. Devenue la favorite d'un officier violent, Harumi va essayer de séduire son aide de camp pour le pousser à le tuer, avant d'en tomber éperdument amoureuse.
La romance naissante et contrariée entre deux " victimes consentantes " de cette guerre ne pousse jamais à l'arrière plan le contexte dans lequel évolue ces deux personnages. Sans aller jusqu'à le qualifier de manifeste anti-guerre, il est surprenant de voir à quel point un film à vocation commerciale prend ouvertement position contre l'armée japonaise. Ses officiers sont montrés comme des brutes sadiques et ses soldats comme des pions qui n'ont d'autres choix que de se plier à leur hiérarchie et de se suicider s'ils venaient à être fait prisonniers par l'armée chinoise. Mikami est incapable de la moindre révolte et Harumi tel le doppelgänger de Suzuki n'a de cesse de l'exhorter à se révolter. La romance et le film de guerre se nourrissent ainsi jusqu'à atteindre un point culminant, y compris dans la mise en scène de Suzuki, dans un magnifique travelling suivant Harumi traversant le champ de bataille, évitant balles et obus, pour aller secourir Mikami, laissé seul, agonisant dans une tranchée. Les deux amants réunis, ils deviennent sourds au vacarme de la guerre qui cesse soudainement, comme un mirage, un espoir furtif de bonheur au milieu du chaos. L'histoire de cette prostituée est aussi le récit d'une personnalité insoumise, luttant contre l'ordre établi et brisant les codes comme a su si bien le faire Seijun Suzuki tout au long de sa filmographie.
Titre Original: STORY OF A PROSTITUTE
Réalisé par: Seijun Suzuki
Casting : Tamio Kawaj, Yumiko Kagawa, Hiroshi Cho
Genre: Romance, Guerre
Date de sortie: En DVD Collector et Bluray le 7 juin 2017
Distribué par: Elephant Films