#17. Warrior de Gavin O'Connor (2011)
" Du plus loin que je m'en souvienne (le souvenir nébuleux d'une séance de La Belle et la Bête ou j'étais, selon ma mère, plutôt agité), je me suis toujours considéré comme un squatteur de salles obscures.
Facile en même temps quand le cinéma de sa ville est à deux pas de chez soi.Je m'y suis toujours senti comme chez moi pendant toute mon adolescence, jusqu'à ce que sa programmation limitée (trois sorties, rarement en adéquation avec l'actualité) ne me pousse à aller vendre mon âme au diable ; ce qu'on appelle plus communément aujourd'hui, un abonnement illimité chez Gaumont Pathé.
Jusqu'à mes seize ans, j'y étais au moins quatre fois par semaine, je profitais à outrance des CE de ma mère et de ma tante qui avaient des places à demi-tarifs (déjà que le cinéma était deux fois moins cher qu'ailleurs), et je voyais au moins une fois chaque film programmé.
Parfois seul... très souvent seul.
Non seulement parce que j'avais énormément de mal à convaincre mes proches et amis de me suivre dans cette boulimie de séances, mais aussi et surtout, parce que j'aimais - et j'aime encore - me retrouver seul face à un film, confortablement assis dans un fauteuil qui a férocement subi le poids des années, mais qui reste inlassablement prêt à tous nous accueillir sans broncher (mais pas sans grincer quand même).
J'ai certainement vécu mes plus beaux moments de cinéphiles dans cette salle, et même tisser des liens amicaux avec son projectionniste, logiquement surpris de voir qu'un môme de onze piges préférait passer son temps en compagnie de Frodon, Harry Potter ou encore Astérix, plutôt que de s'amuser dehors avec d'autres de mon âge, comme un môme " normal ".
D'ailleurs, je m'étonne encore avec quelle naïveté j'ai pu passer autant d'heures seul dans un tel endroit, ni même comment ma mère pouvait bien m'avoir autoriser à le faire en toute confiance.C'était, sans doute, une autre époque, mais jamais aujourd'hui je ne penserais faire la même chose avec mes futurs enfants, même s'ils sont déjà destinés (condamnés serait plus juste) à devenir d'insassiables bouffeurs de péloches - je l'espère en tout cas.
Dans ses nombreuses séances mémorables, outre la prouesse d'avoir vu quatre fois Scooby-Doo, les deux premiers Harry Potter, La Communauté de l'Anneau ou encore Mission Cléopâtre (oui...), celle de Warrior en 2011, est sans doute l'une qui m'a le plus marqué.
Peut-être parce qu'elle est la dernière que j'ai vécue seul dans cette salle, dans laquelle je ne suis revenu que quatre ou cinq fois depuis, toujours accompagné au moins de quelqu'un.
Ou encore parce que je me suis retrouvé plus que de raison dans la relation houleuse entre les deux frangins Conlon, comme un peu tout spectateur ayant un grand frère au caractère au moins aussi prononcé que le notre.
Mais il faut dire que la salle était exceptionnelle ce soir-là, comme si la performance incroyable du fauve Tom Hardy, intense bête bléssée prête à bondir sur un Joel Edgerton " Patrick Swayze-esque " à souhait, avait électrisé, magnétisé plus que de raison les spectateurs présents.
Je n'aime pas particulièrement quand les autres spectateurs " polluent " négativement une de mes séances, au-delà du gentiment tolérable, comme si l'auditorium n'était qu'une cour de récréation ou le chaos et le " chacun chez soi " venait constamment contredire le concept même d'une sortie au cinéma : s'évader durant un temps donné, en découvrant une oeuvre, quelle qu'elle soit.
Mais ce soir-là, entre les silences empathiques provoqués par une émotion sincère prônant des valeurs à l'ancienne - et donc universelles -, et les cris d'exaltations durant les combats furieux; je n'ai jamais autant été heureux de participer à cet étonnant et improbable moment de partage.Les scènes poignantes (le chant des soldats en uniforme, le face à face sur la plage et le fight final), n'en furent que plus puissantes, les affrontements plus qu'immersifs, et cette tragédie familiale plus que vraie à nos yeux.
J'ai ri, pleuré, vu mon coeur battre à deux cents à l'heure comme rarement, être en communion avec les autres (à peine une trentaine de personnes) comme si j'étais dans les tribunes d'un stade de foot, et pris une claque en pleine poire comme si j'étais face à un Rocky avec papa Stallone - c'est dire toute l'estime et l'amour que je porte à Tom Hardy.
J'en suis ressorti sonné, les yeux embués mais avec une banane d'enfer.
Peu importe la qualité d'un film (et celui-ci est juste formidable), c'est l'expérience qu'il nous procure qui en fait une oeuvre à part à nos yeux, et Warrior l'est clairement pour moi; ma dernière grande séance, mon dernier grand moment vibrant dans mon second chez moi. "
Jonathan Chevrier
Plus ou moins fils spirituel du Dude et du Zohan réunis, cinéphile/cinévore/cinémaniaque convaincu depuis mon premier battement de cils, je voue un culte sans borne à Sylvester Stallone. Biberonné aux séries B, les salles obscures sont mes secondes maisons et je fonds comme un vampire au soleil sans ma dose quotidienne de bonnes péloches.
Blog : Fucking Cinephiles