Dans le Japon d'après-guerre, un policier se fait subtiliser son arme. Son supérieur refuse sa démission et l'envoie à la poursuite du malfaiteur. Il mène son enquête dans les bas-fonds de Tokyo, où il côtoie la misère d'une population qui survit difficilement à la défaite de son pays.
Chien Enragé – 17 Octobre 1949 – Réalisé par Akira Kurosawa
Durant son immense carrière, Akira Kurosawa s'est attelé à construire une œuvre riche, complexe et diverse ou divers genres se côtoient, sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre. Que ça soit en noir et blanc ou en couleur, film d'époque (jidai-geki) ou film contemporain, ces films parlent toujours de ce qu'il entoure comme de sa propre personne. Mais la période allant de 1946 à 1950 est immense pour deux choses, le réalisateur est marqué par la guerre qui vient de finir et ensuite par sa vision du Japon d'après-guerre qu'il retranscrit dans ses films. «Chien Enragé» qui marque alors la troisième apparition de Toshiro Mifune chez Kurosawa en est le parfait exemple, un pied dans le passé avec ce militaire démobilisé qui devient policier et un autre dans le présent ou se déploie sous nos yeux la misère qu'a engendre la guerre !
Murakami est un ancien militaire récemment démobilisé qui s'est engagé dans la police. Comme beaucoup d'autres dans son cas, il voit ce métier comme une opportunité de passer à autre chose et d'envisager l'avenir sous un jour meilleur. Un jour, après un trajet en bus, Murakami s'aperçoit qu'on lui à volé son colt, ce qui vire très vite à l'obsession ! Car il juge ça intolérable et surtout qu'il a extrêmement peur de ce que la personne pourrait en faire. Alors qu'il rend compte de cette perte, il veut faire amende honorable et être puni, mais ça ne marche plus comme ça et il va l'apprendre à ses dépends, en enquêtant lui même sur le vol de l'arme. Pour ça, il revêt son ancien uniforme et va errer dans la ville, dans l'hypothétique attente de retrouver la prétendue personne qui lui aurait voler l'arme. Une journée harassante, dans le cœur de Tokyo, au plus près de la population ou la misère et la délinquance règne. Ce qui amène Murakami a une jeune femme, qu'il arrête, mais entre temps un braquage est commis ! Un vol perpétré avec son arme ! Il va alors faire équipe avec le commissaire Sato pour élucider cette enquête.
« Chien Enragé » de Akira Kurosawa est comme bien d'autre film du maître, il n'est pas forcément engageant au premier coup d’œil, mais pourtant à chaque fois, une fois que le film se termine, j'en reste toujours soufflé, avec cette intime conviction d'avoir vu quelque chose d'immense ! Un sentiment qui a grandi au fur et a mesure que le film passait, que l'intrigue se déroulait devant mes yeux, amenant cette conclusion pleine d'espoir et de lumière, dans un contexte incertain et fortement troublé.
Après la guerre, le contrôle de l'occupant américain sur la production cinématographie est omniprésente, jusqu'à pousser les dirigeants de la Toho en 1948 à virer du syndicat du studio des personnes considérées comme « communistes » ! Une situation qui a créé de nombreux remous dans le studio, avec la création d'un studio dissident, baptisé la « Shin Toho » et des départs dont celui de Akira Kurosawa pour un film (Le Duel Silencieux produit par le Studio Daiei), avant de revenir pour « Chien Enragé », une coproduction conjointe entre la Toho, la Shin Toho et la Film Art Association. Kurosawa retrouve pour l'occasion plusieurs de ses collaborateurs, le directeur artistique Takashi Matsuyama et son assistant Yoshiro Muraki, ainsi que le compositeur Fumio Hayasaka. Un confort pour le réalisateur auquel s'ajoute la participation de Ryûzô Kikushima, scénariste du film. Première des neuf fois ou ils collaboreront ensemble. Et pour écrire le scénario de ce long-métrage, Kurosawa reprend son roman « Chien Enragé », un livre écrit dans le style de l'un de ses auteurs préférés, le fameux George Simenon. Une surprise a première vue, mais pas tant que ça, tant plane par instant le spectre de Jules Maigret.
Ryûzô Kikushima et Akira Kurosawa concocte une intrigue à la manière du film « Un Merveilleux Dimanche », simple et limpide, mais étonnamment complexe dans ce qu'elle raconte. Cette déambulation aussi harassante, que hasardeuse dans laquelle on se perd, nous permet de suivre le destin de Murakami. L'inspecteur va alors découvrir sous un autre angle le monde qui l'entoure et chaque nouvel indice sur le vol qu'il a subit, lui permet de rebondir encore plus loin dans la découverte de Tokyo et de soi. Puis le vol deviendra un meurtre, puis un autre, faisant basculer l'histoire dans le sordide, ou Murakami sans repère doit collaborer avec le commissaire Sato. L'apprenti trouve alors son senseï et ses certitudes les plus fortes vont être chamboulé.
Cette histoire qu'aurait pu vivre Maigret, avec son lot de lieux insolites et de personnages bigarrés, comporte un grand nombre des thèmes cher a Akira Kurosawa, mais surtout il semble être la réponse positive à « Un Merveilleux Dimanche » ! Expurgé de ce sentiment de répétition éreintant pour ce couple, on trouve le personnage de Murakami, fier et confiant, mais surtout avec une mentalité post seconde guerre mondiale qui n'a plus aucun avenir dans le Japon qui se dessine sous ses yeux. Ce que Kurosawa nous montre en deux temps, l'un avec Murakami qui cherche a réparer sa faute coûte que coûte, puis en apprenant à passer au dessus de ça au contact de Sato et enfin réaliser que le monde n'est pas simple, avec des certitudes et des règles immuables, mais bien complexe, fait d'une multitudes de nuances que l'on peut transgresser.
C'est sur les règles de ce nouveau monde que Kurosawa va jouer, avec les personnages de Murakami/Yusa ou le thème du double réapparaît, ou l'un est le négatif de l'autre, avec les différences minimes que ça engendre; la relation maître/élève, l'un des piliers de la filmographie de Kurosawa, incarnait cette fois ci par le duo Sato/Murakami, une filiation par l'exemple ou Sato montre le bon chemin à son « fils », lui transmettant par la même occasion de nouvelles valeurs et surtout cette condition sine qua non pour qu'il puisse sans sortir dans ce monde, accepter l'erreur et l’échec ! On peut ajouter à cela, un constat très dure et amer sur la société japonaise d'après-guerre que dresse Kurosawa, un état perdue, rongé par la corruption, la délinquance et la misère ou comme dit si bien l'un des personnages, ce sont toujours ceux qui se comportent mal qui sont récompensés. Cependant le réalisateur se veut optimiste et dresse des ponts entre les générations, passerelles obligatoires pour bâtir une société plus pérenne.
La réalisation est une nouvelle fois de qualité (J'ai comme une légère impression de me répéter, mais bon...) même si j'ai une préférence pour les films de Kurosawa tourné en Tohoscope. Si bien qu'en passant de « Barberousse » a celui ci, il m'a fallu un temps d'adaptation tant ils sont différents. En termes de compositions, de dynamiques entre les personnages, c'est tout aussi méticuleux, mais dans « Chien Enragé » il ne cesse de varier les rythmes et les genres. Au début on penche vers le burlesque, lorsque Murakami suit celle qu'il suspecte d'avoir volé son arme; aucune parole n'est prononcée, c'est rythmé et les plans s’enchaînent frénétiquement, n'hésitant même pas a ridiculiser un peu son personnage principal; puis vint le policier à la Maigret, sérieux, avec une dose de tragicomique apporter par la présence de Sato et enfin le film noir dans son dernier tiers, ou la colère gronde, ou les personnages sont à bout, prêt à tout pour que ça finisse ! Kurosawa met l'accent sur les visages et les expressions des acteurs, usant parfois de surimpressions d'une image a l'autre pour insister sur un détail ou un regard, comme celui intense et profond de Toshiro Mifune dans le climax du film. Les acteurs sont l'un des autres points forts de ce film, en plus du reste ! Minoru Chiaki trouve ici son premier rôle chez Kurosawa; Isao Kimura, l'apprenti dans les sept samouraïs joue ici le « Chien Enragé », un rôle dur et complexe qui cache une grande détresse ; puis il aussi Keiko Awaji, ou encore l'imposant et charismatique Takashi Shimura, l'autre figure récurrente chez Akira Kurosawa, qui donne la réplique à un certain Toshiro Mifune, parfait dans le rôle de Murakami …
Fabuleux !Disponible depuis Mars 2016 chez Wild Side