Au Revoir Là-Haut (2017) de Albert Dupontel

Par Seleniecinema @SelenieCinema

6ème long métrage pour l'acteur-réalisateur Albert Dupontel qui passe un cap avec ce film sans doute plus ambitieux que ses précédents films, mais aussi un soupçon moins personnel. Il adapte ici un roman important puisqu'il s'agit pas moins du Prix Goncourt 2013, "Au Revoir Là-Haut" de Pierre Lemaitre, auteur qui a participé par ailleurs avec Albert Dupontel au scénario et dialogues du film. Avec un budget proche des 20 millions d'euros, l'acteur-réalisateur-scénariste a eu les moyens de ses ambitions avec une production audacieuse à l'image d'un cinéaste qui veut voir plus grand. Comme Dupontel l'explique lui-même : "En plus de mon énorme plaisir de lecteur, je trouvais le livre extrêmement inspirant. J'y ai vu un pamphlet élégamment déguisé contre l'époque actuelle. Tous les personnages me paraissaient d'une modernité confondante. Une petite minorité, cupide et avide, domine le monde, les multinationales actuelles sont remplies de Pradelle et de Marcel Péricourt, sans foi ni loi, qui font souffrir d'innombrables Maillard qui eux aussi persévèrent à survivre à travers les siècles. Le récit contenait également une histoire universelle, dans le rapport d'un père plein de remords, à un fils délaissé et incompris. Et enfin, l'intrigue de l'arnaque aux monuments aux morts créait un fil rouge donnant du rythme et suspens au récit."...

On suit donc deux amis, rescapés des tranchées, qui vont monter une arnaque aux Monuments aux Morts (si cette arnaque est fictionnelle, par contre le trafique des cercueils repose sur des faits historiques !) dans la France des années folles. Dupontel s'octroie le rôle de Maillard, ex-comptable qui devait à l'origine être joué par Bouli Lanners (avec et pour qui il avait joué dans "Les Premiers les Derniers" en 2016). Si on adore ce dernier, Dupontel reste le meilleur choix au vu du rôle. L'autre rescapé, mais gueule cassée, est incarné par Nahuel Perez Biscayart, révélation de l'année déjà remarqué dans "Au Fond des Bois" (2010) de Benoit Jacquot mais surtout en cette année 2017 avec aussi "120 Battements par minute" (2017) de Robin Campillo. Ensuite on a le salaud ultime joué par un Laurent Lafitte aussi savoureux qu'ignoble, le père joué par un Niels Arestrup aussi dur que touchant, les atouts charmes avec les jolies Mélanie Thierry et Emilie Dequenne tandis que nous reconnaîtrons plusieurs seconds voire troisièmes rôles avec Michel Vuillermoz, Philippe Duquesne, Xavier Beauvois, Carole Franck et Philippe Uchan, ce dernier étant de tous les films de Dupontel, ce qui nous fait remarquer que l'autre acteur fétiche, Nicolas Marié n'est pas de l'aventure cette fois...

Le film s'ouvre sur une séquence hommage où on pense aussitôt au chef d'oeuvre "Les Sentiers de la Gloire" (1957) de Stanley Kubrick. Plongée dans les tranchées alors que la Guerre doit finir bientôt, Dupontel offre une première partie terriblement immersive sans pour autant trop s'attarder non plus sur les horreurs de tels combats. Le rythme est soutenu, le cinéaste a voulu donner du rythme en modifiant quelque peu la construction du roman, Dupontel précisant que "le spectateur est beaucoup plus paresseux que le lecteur..."... Et donc les liens entre les personnages sont plus multiples, la vengeance envers Pradelle arrive différemment dans le film, la rencontre ultime de la fin du film n'existe pas dans le roman ni le face à face funeste qui arrive sur un chantier. Mais effectivement Dupontel (avec l'aide du romancier lui-même, gage de fidélité de de sauvegarde de l'esprit du roman) signe un film parfaitement maîtrisé du point de vue du rythme. On ne s'ennuie jamais et surtout il réussit un partage judicieux entre drame et comédie, sachant faire rire quand il le faut et nous émouvoir comme il se doit. Par contre il y a quelques omissions plus dommageables, comme le fait qu'après la guerre Maillard devient normalement paranoïaque suite à ses traumatismes psychologiques.

Mais les bémols sont plutôt inoffensifs tant Dupontel réussit une adaptation fidèle pour un film d'aventure romanesque à la fois drôle et tragique et qui ne manque pas de poésie. L'importance des masques est alors prépondérante, qui symbolisent certe les blessures physiques et morales des gueules cassées mais aussi et surtout qui matérialisent le pouvoir des arts sur l'appât du gain. D'un point de vue visuel la reconstitution de l'époque reste merveilleuse, qui rappelle aussi que l'après-guerre 14-18 est aussi une période de grand chamboulement que ce soit dans les mœurs ou la mode entre autres. On salue la mise en scène de Dupontel qui signe ainsi une réalisation parsemée de diversité technique (cadrage, travelling et autres) qu'il a toujours su offrir dans ses films. Dupontel est un grand, on le sait depuis "Bernie" (1996), et encore plus avec son superbe "9 Mois Ferme" (2013), mais s'il passe un cap certain avec "Au Revoir Là-Haut" on reste un peu sur notre faim. En effet, il manque un peu plus de folie, un côté pamphlet un peu moins sage même si on comprend bien que le matériau d'origine lui laissait moins de libertés que sur les délires persos dont font aussi partie les films "Le Créateur" (1999), "Enfermés Dehors" (2006) et "Le Vilain" (2009). L'enthousiasme autour de ce nouveau film est forcément une bonne chose, Dupontel signe un grand film à défaut d'être un chef d'oeuvre (il manque ce petit poil à gratter habituel). Voilà un vrai beau film populaire français, intelligent, divertissant, profond et beau. On est loin du ciné poubelle hexagonal, et donc à voir, à revoir et à conseiller.

Note :