Albert Dupontel déchaîne son style dans l’adaptation providentielle du roman de Pierre Lemaitre. Le film français de l’année !
Avec son générique introductif, magnifique plan-séquence où un chien est suivi d’un no man’s land jusqu’à la tranchée dans laquelle les protagonistes attendent la fin de la Grande Guerre, Au revoir là-haut s’offre déjà une merveilleuse note d’intention. Il y a dans le nouveau film d’Albert Dupontel une envie de spectaculaire et de lyrisme qu’il estime essentiels pour adapter la fresque de Pierre Lemaitre. Cette ambition, qui se teinte d’un plaisir esthétique communicatif, lui permet de réveiller un cinéma français métastasé dans son naturalisme, transformé en cache-misère pour des réalisateurs incapables de penser un cadre.
Le talent émerge ainsi en marge de la médiocrité, et se fait connaître en choisissant de ne pas se brider, ou de se retenir dans l’émotion. Comme par hasard, c’est exactement le sujet du film : devenu gueule-cassée en sauvant son camarade Albert Maillard (joué par Dupontel), le jeune Édouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayart, la révélation de 120 battements par minute) réveille l’artiste qui sommeille en lui à travers divers masques cachant son visage défiguré, mais surtout en montant une arnaque autour de monuments aux morts, mode instantanée de la fin de la guerre montrée comme une façade de la culpabilité taboue de l’État. Au revoir là-haut est avant tout un film sur cette façade, qui est aussi celle d’un cinéma faussement indigné, et persuadé de sa légitimité dans la reproduction bête et méchante d’événements traumatiques. Cette banalisation industrielle, voire opportuniste (n’est-ce pas La Rafle ?), vide l’histoire de son sens, de la même manière que le concours de monuments aux morts lancé par le père d’Edouard (immense Niels Arestrup), palliatif à sa relation conflictuelle avec son fils qu’il croit mort.
Et c’est là qu’Albert Dupontel frappe fort, en équilibrant à merveille le cynisme de son script dérangeant et son premier degré nécessaire à sa puissance. Avec une lucidité bouleversante, le cinéaste affirme cette simple vérité : personne n’est légitime à traiter de tels sujets, à l’exception de ceux qui les ont vécus ; mais il le faut pourtant, en admettant que la réalité ne peut que se mêler à une sensibilité contemporaine, pour un résultat obligatoirement bâtard. Cependant, il est inutile de vouloir fuir cette sensibilité, que beaucoup jugent comme un élément de dénaturation, voire d’indécence. En cela, les choix dramatiques forts de Dupontel semblent pensés en réaction à des films tels que La Liste de Schindler, critiqué à sa sortie pour jouer avec les émotions du spectateur (notamment lors de scènes de tension), au point de manipuler l’Holocauste à des fins de spectacle. En vérité, c’est bien cette quête d’une distance factice qui se joue du réel, lui retire la vie de son contexte, et donc le but de l’histoire, à savoir de nous rappeler les erreurs du passé, afin de faire écho à un futur dans lequel nous risquons de nous répéter.
Au revoir là-haut devient dès lors une antithèse revigorante à toutes ces tares, qui esquive chaque piège avec une envie de cinéma proprement hallucinante, surtout au vu de son budget (5 millions d’euros) ridicule par rapport à ses ambitions. L’imaginaire caustique et névrosé de son réalisateur, qui a toujours assumé sa filiation avec Terry Gilliam, trouve parfaitement sa place dans ce début des Années folles transformées en cirque morbide, sorte d’amnésie collective où les traumas tentent d’être enfouis, avant de resurgir avec une force encore plus dévastatrice. Dupontel n’hésite pas à nous prendre aux tripes, et déploie ainsi un récit aux velléités feuilletonnantes, trépidant par son mélange subtil de suspense, de comique et de tragédie, servi par une culture du septième art déférente (on pense notamment à Keaton devant la maladresse de Maillard). Il prend ici à bras le corps la notion d’adaptation, et plonge tête la première dans le pouvoir romanesque d’une telle histoire, que l’on ressent principalement au travers de son casting parfaitement détouré et caractérisé (mention spéciale à Laurent Lafitte en salaud sadique). Ces personnalités fantasques, que Dupontel a toujours défendu, se retrouvent déconnectées d’un univers que le cinéaste reconstitue pourtant avec une précision maniaque. La majesté des décors et de la mise en scène constamment inventive appuient ce retour des combattants à une réalité factice et clinquante. Leur combat pour une survie dans une société qui ne laisse aucune chance est traité avec tendresse, et leur volonté de s’en extirper s’accorde au désir d’Albert Dupontel de dépasser un réalisme et un patriotisme de pacotille. Ses personnages en viennent à la conclusion qu’il vaut mieux mettre en scène sa vie. Tout comme lui, ils ont envie de cinéma.
Réalisé par Albert Dupontel, avec Nahuel Perez Biscayart, Laurent Lafitte, Niels Arestrup…
Sortie le 25 octobre 2017.