Ce jeudi 19 Octobre 2017, nous avons pu assister à la projection de la version restaurée de Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, un film culte qui comme beaucoup, le devint à posteriori. Inspirée par les forfaits d’Ed Gein, celui-là même qui inspira également Hitchcock pour Psychose, le film, sorti en France en 1974, n’eut le droit qu’à une seule semaine d’exploitation en salle avant d’être interdit. Interdiction qui ne fut levé que huit ans plus tard et qui fit les choux gras de l’éditeur de VHS René Chateau. Les cercles de cinéphiles se cotisait alors pour acheter la cassette vendue à des prix exorbitants. D’où venez un tel engouement ? Pas seulement de l’attrait évident de braver l’interdit car Massacre à la tronçonneuse, aujourd’hui quadragénaire, n’a rien perdu de sa force hypnotique, de sa vigueur angoissante, de sa virtuosité.
Sally (Marilyn Burns), Franklin (Paul A. Partain), Jerry (Allen Danziger), Kirk (William Vail) et Pam (Teri McMinn) sont un groupe de jeunes qui traversent le Texas en van. Il décide de s’arrêter dans l’ancienne propriété du grand-père de Sally et Franklin. Mais à deux pas de cette maison vit une famille pour le moins dérangée et dérangeante.
Figure devenue emblématique du cinéma d’horreur américain, Leatherface (Gunnar Hansen) est un personnage terriblement ambigu. Véritable monstre, vraisemblablement attardé mental, il n’en semble pas moins aliéné par sa famille redneck, dont le patriarche tient un commerce tout ce qu’il y a de plus respectable au Texas : une station-service avec restaurant pour routier, perdue au milieu de nulle part. Derrière son masque, seul ses yeux et sa bouche pouvant exprimer des sentiments, l’acteur réussit à lui donner une âme. On se trouve dans une démarche radicalement différente de ce que définira Carpenter (avec qui Hooper réalisera le film à sketch Body Bag), quatre ans plus tard, dans son Halloween, inventant le slasher et son tueur dénué de sentiments palpables, derrière lequel ne transparaît plus qu’une violence sourde (et plus tard, parfois, aveugle). En interview, Tobe Hooper aime à dire que son œuvre est une charge contre la société nixonienne, un désaveu de sa politique de corruption, un miroir désabusé d’une génération hippie en fin de règne. C’est le cas pour quasiment l’ensemble du cinéma de genre de l’époque qui regroupe dans ses rangs tout ce que compte l’industrie d’intellectuel de gauche. Mais qu’est-ce qui rend Massacre à la tronçonneuse si particulier ? Son personnage principal tue les dernières illusions de la jeunesse américaine à travers sa jeunesse naïve. Mais il en éprouve comme des remords lorsqu’il s’apitoie sur lui-même dans son salon, comme un soubresaut, car c’est bien à une époque charnière que se situe l’action. Le Watergate et la Guerre du Vietnam, tout juste terminée, ont considérablement diviser la société américaine et c’est avant tout le malaise qui en découle qui irrigue tout un pan de l’art cinématographique. Si certain comme Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now (1979), puis plus tard Oliver Stone avec Platoon (1986) ou encore Stanley Kubrick avec Full Metal Jacket (1987), attaqueront le problème frontalement, beaucoup préféreront, tel Tobe Hooper, y substituer une horreur fantastique, métaphorique et d’autres comme Ted Kotcheff avec Rambo (1982) n’iront pas par quatre chemins pour que la société civile et ses guerriers rentrent en collision frontale.
Hooper convoque à travers Franklin et son statut d’handicapé, sans la nommer une seule fois, la figure du soldat revenu brisée de la guerre. A de nombreux instant, Franklin se perd également en crise de nerf qui ne sont pas sans rappeler les traumas des rescapés du Vietnam. C’est en zone de guerre, effectivement, que nous transporte rapidement Massacre à la tronçonneuse, au travers, notamment, d’une ambiance sonore tétanisante, qui davantage encore que l’image colle littéralement le spectateur à son siège. A l’image, une famille d’équarrisseur traite nos pauvres héros comme ils traitent les bovins qu’ils côtoyaient à l’abattoir. On peut même y entrevoir une critique de la consommation de viande. Débauchés par les nouvelles techniques d’abatage et l’automatisation, elle trouve là une revanche sur une société qui les abandonnent. Difficile de dire s’ils sont fous congénitalement où si une longue désagrégation sociale les a rendus complètement schizophrènes. Ici se joue la confrontation entre une Amérique d’avant-hier, déjà dépassé depuis longtemps, la famille Sawyer (Jim Siedow, John Dugan et Edwin Neal) et des jeunes adultes qui représentait un espoir tué dans l’œuf. L’aube des années 80 semble sombre et incertaine. Deux mondes se meurent et rien ne vient les remplacer. Pour synthétiser cette idée, Hooper jouera principalement sur la violence abrupte, et paradoxalement souvent hors-champ, de ses protagonistes. Puritaine, la caméra détourne le regard des scènes gores mais contrebalance avec une violence toute psychologique qui rend le tout bien plus violent. Le calvaire de la jeune femme lors de la longue scène du repas est un moment tout à fait éprouvant. Tout y transpire l’arbitraire d’une salle d’interrogatoire. La folle mise en scène d’Hooper alterne les gros plans entre les visages hantés de la famille Sawyer et le visage horrifié, larmoyant, paniqué de leur captive. La prestation des acteurs est autant hallucinantes qu’elle est halluciné. Insoutenable, cette séquence l’est, de plus, grâce au travail de l’ingénieur du son. Il faut dire que les rires sardoniques, les bruit de tronçonneuse, les pleurs et les cris de désespoirs font parti intégrante du score de Tobe Hooper et de Wayne Bell. L’ambiance sonore, véritablement oppressante est certainement le point fort de Massacre à la tronçonneuse alors même que Ted Nicolaou n’avait été embauché comme ingénieur du son que pour que l’on puisse lui emprunter son van. Il faut noter également que l’acteur jouant Leatherface était mis à l’écart sur le tournage pour que la surprise des acteurs se retrouvant face à face avec lui soit totale et que les décors morbides, notamment les os, n’étaient pas factices. L’épouvante de l’actrice, dans ces conditions, fut à peine surjouée. Nerveuse, la réalisation ne laisse aucun répit au spectateur qui, hypnotisé, finit par s’identifier à la pauvre hère. Quasiment surnaturelle,la danse macabre de Leatherface, tronçonneuse à la main, sur fond orangé d’un crépuscule livide, conclu sur une note d’absurdité qui sonne comme le reflet de tout une époque.
Massacre à la tronçonneuse est une œuvre phare, à revoir sans conteste, digne représentante d’un temps où le manque de moyen était fertile pour l’imagination et la création. Il faut cependant avoir le cœur bien accroché car c’est au tripe que la mise en scène et la bande original viscérale s’adressent. Massacre à la tronçonneuse est un opus poisseux, transpirant, suppurant même, qui n’a pas vieilli et dont on ressort quatre décennie plus tard, toujours aussi retourné, et qui par son inventivité fera la vocation de réalisateur tel que Nicolas Winding Refn (dont nous avions chroniqué le décevant The Neon Demon). Rien que ça.
Boeringer Rémy
Retrouvez ici la bande-annonce :