Morituri (1965) de Bernhard Wicki

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Co-production anglo-allemande est signée du réalisateur allemand Bernhard Wicki qu'il est bon et nécessaire de présenter tout d'abord. Marqué par la Seconde Guerre Mondiale, il fut remarqué pour son film "Le Pont" (1959), film de guerre pacifiste du point de vue allemand et histoire vraie qui permit au nabab Darryl F. Zanuck de le choisir pour faire partie de l'aventure du mythique film "Le Jour le plus Long" (1962) avec Ken Annakin, Andrew Marton et Gerd Oswald, Wicki devant surtout s'occuper des parties "allemandes" et soigner le réalisme des scènes. Pour préciser l'aura du cinéaste, rappelons enfin qu'il apparaît dans le film "Effroyables Jardins" (2000) de Jean Becker où il est le gardien Bernd au nez rouge de clown, alors que le narrateur ado va au cinéma voir (justement) "Le Pont"... "Morituri" est adapté du roman éponyme (1963) de Werne Joerg Luedecke, un titre énigmatique qu'on pourrait d'abord croire japonais mais il n'en est rien. En effet, le titre vient du latin "Morituri Te Salutant" qui était en fait le salut des gladiateurs dans l'Antiquité et qui signifie Ceux qui vont mourir te saluent."...

Le projet plait tant à Brando qu'il facilite les choses et donc le financement du projet. La production est confiée à Aaron Rosenberg, connu pour ses succès dans les westerns notamment comme "Winchester 73" (1950) de Anthony Mann et "L'Homme qui n'a pas d'Etoile" (1955) de King Vidor, et surtout il vient de produire la superproduction "Les Révoltés du Bounty" (1962) de Lewis Milestone dans lequel jouaient Marlon Brando et Trevor Howard qui se retrouvent tous les deux ici. Ce dernier est aussi un habitué du film de guerre et il enchaînera d'ailleurs aussitôt avec "Opération Crossbow" (1965) de Michael Anderson et "L'Express du Colonel Von Ryan" (1965) de Mark Robson. L'autre star du film est l'excellent Yul Brynner qui joue le commandant allemand. Pour l'anecdote, Brando et Brynner ont chacun déjà joué un révolutionnaire mexicain, le premier dans "Viva Zapata !" (1952) de Elia Kazan et le second sera "Pancho Villa" (1968) de Buzz Kulik... Au casting on notera la présence de l'actrice Janet Margolin dans un de ses premiers rôles et future épouse du looser Woody Allen dans "Prends l'oseille et tire-toi" (1969), ainsi que l'acteur allemand Hans Christian Blech gueule bien connue des films de guerre avec à son actif "Le Jour le plus Long" sus-cité, "La bataille des Ardennes" (1965) de Ken Annakin et "Le Pont de Remagen" (1969) de John Guillermin. L'équipe technique n'est pas en reste avec le scénariste Daniel Taradash dont le talent a été démontré sur de grands films comme "Les Ruelles du Malheur" (1948) de Nicholas Ray et "Tant qu'il y aura des hommes" (1953) de Fred Zinneman. La photographie est signée de Conrad L. Hall, futur lauréat de 3 Oscars dans son domaine pour "Butch Cassidy et Le Kid" (1969) de George Roy Hill, "American Beauty" (1999) et "Les Sentiers de la Perdition" (2002) de Sam Mendes...

Bref une équipe hétéroclite mais diablement talentueuse et qui donne l'eau à la bouche. Si on sait que pendant le tournage il y a eu une forte tension entre Brando et le réalisateur Wicki il reste que le film ne mérite pas d'être tombé un peu dans l'oubli et méritait encore moins le bide au box-office. Film d'espionnage d'abord, film de guerre ensuite, "Morituri" est un savant dosage entre les genres et un savant dosage entre les protagonistes et notamment entre les deux personnages principaux, l'espion traître allemand joué par Brando et le commandant allemand patriote mais non nazi joué par Brynner. Le scénario évite scrupuleusement l'esbroufe et mise tout sur un suspense qui joue sur plusieurs cordes, d'abord au niveau des enjeux (où sont les bombes ?! Va-t-il réussir mais surtout par quel dénouement ?! le commandant sera-t-il passif ou non ?!...) et par la mise en scène discrète mais savamment mise en place qui joue sur les lenteurs d'une vie à bord d'un tel navire et par le secret logique de la mission elle-même. Généralement les critiques sur le film insistent sur la lenteur et des dialogues un peu lourds mais ce n'est certainement pas le cas et, de surcroît, cela voudrait surtout dire que les mêmes ont manqué beaucoup de chose. En effet il n'y a aucune scène superflue, aucun dialogue inutile, il y a des choses à saisir, à déceler dans chaque scène que ce soit dans les silences ou les dialogues anodins. Chaque séquence nous amène fatidiquement aux prises de décisions. Bernhard Wicki signe un grand film malheureusement trop sous-estimé ou les allemands ne sont pas pire que les autres, chacun oeuvrant selon sa conscience et pas uniquement obnubilé par leur Fürher. A voir et à conseiller.

Note :