LE CHATEAU DE L'ARAIGNEEd'Akira Kurosawa
je ne sais pas pourquoi, mais dès qu'à la maison on regarde un film avec des samouraïs, shoguns ou autres rônins j'ai à nouveau six ans. Je ne me souviens pas d'où ça vient. Je me souviens en avoir vu petite, mais je ne sais plus dans quel contexte. L'idée de découvrir celui-ci a été source de grande excitation. Et il a pleinement satisfait la petite fille qui sommeille encore en moi, et charmait l'adulte.
Le film commence alors qu'une bataille fait rage. Le seigneur voit la défaite s'annoncer, son entourage et lui commencent à faire le compte de leurs vivres et se préparent à faire face à un siège. c'est là que des messagers arrivent et annoncent que le général Taketoki Washizu est en train de retourner la situation. Mais au moment de savourer leurs victoires et de se présenter devant leur seigneur, Taketoki Washizu et son compère le général Miki se perdent dans la foret et croisent un esprit qui annonce à Taketoki Washizu qu'il sera le seigneur, et à Miki que l'un de ses fils succédera à son ami.
Le titre original aurait du être traduit par le château de la toile d'araignée. Si j'ai décidé de faire aucun sarcasme sur la traduction. Il aurait été judicieux de le garder tel quel tant il reflète le sentiment d'inéluctabilité de l'histoire, les nombreux messages et niveau de compréhension de cette œuvre, ainsi que ça beauté et son parfait équilibre. Par quoi, commencer? Par ce qui saute au yeux dans un premier temps sa filiation avec Macbeth. S'il s'en inspire, ce long métrage transpose la trame dans le japon du XVIeme siècle. Mais s'il est facile de retrouver les personnages, l'histoire diverge pour nous parler du japon et du japon d’après guerre.
Kurosawa rajoute à ce savant mélange une touche de théâtre No, le théâtre traditionnel japonais. Il décide pour cela de reprendre certains de ses marqueurs forts. Le personnage qui en est le plus caractéristique, c'est le général Taketoki Washizu interprété par Toshiro Mifune. Il prend une démarche très stylisée quasi désarticulée qui répond parfaitement aux pantomimes des acteurs de No. La scène avec des flèches à la fin en est une vraie démonstration. Ce théâtre se jouait avec des masques, et les acteurs les réinventent. Mifune pendant tout le film joue avec son visage. Il tire ses traits, sa bouche semble démesurément grande, son casque de seigneur complète ce tableau et il créé un masque vivant. Lors de la scène du banquet, ou il joue sans son armure et son casque. Il interprète ce moment avec ses traits crispés à leurs maximums. Son visage change de forme, quant à sa bouche elle s'étire dans un hiatus proche de la douleur. Son épouse qui est interprétée par Isuzu Yamada revêt le maquillage si caractéristique des femmes nobles de cette époque le teint très blanc, les sourcils dessinés au milieu du front. C'est intéressant de voir comment ce maquillage qui est identique à celui dans Ran, créé une identité, c'est un vrai masque. Tout ceci est complété par les costumes, luxueux comme ils se doivent. Ils sont spectaculaires à l'image malgré le noir et blanc nous imaginons les couleurs et leurs nuances.
Le cinéma des années cinquante et soixante au Japon est assez caractéristique. Il souhaite reformuler l'identité japonaise après l'occupation américaine. C'est pour ça que toute une partie se passe dans une période glorieuse. Ce film laisse une place particulière à la femme voire à une femme, à l'épouse du général qui deviendra le seigneur, la lady Macbeth de ce film Asaji, interprétée par Isuzu Yamada. Cette héroïne diffère de la reine d’Écosse en plusieurs points, le principal étant le coté manipulatrice et arriviste de la première. Ici, elle a un coté plus réfléchit. Le meurtre qu'elle ourdit n'est pas contre son mari, c'est avant tout car elle est sure que sa vie à lui est en danger. Qu'une prédiction divulguer au roi,serait synonyme de mort pour lui. Et que la seule manière de le sauver et qu'il réalise ce qu'on lui a prédit. Tuer, son seigneur. Acte le plus vil, dans cette société; alors qu'il est ce fier guerrier. Mais pour sa femme il n'y a pas de doutes, la loyauté que Miki envers lui, ne fera pas le poids contre celle qu'il a envers son seigneur et le profond sens du devoir qui rythme la vie de chaque Samourai. si le réalisateur arrive pendant un temps à faire flotter un doute sur sa motivation, des le moment ou elle se retrouve seule dans la chambre d'appoint de son époux qui ressemble beaucoup à l'anti chambre de la mort de celui-ci. Kurosawa tranche et montre sa vulnérabilité et donne un sens à ses positions. Les scènes ou elles se lavent les mains sont si marquantes que je pense que je ne pourrai jamais les oublier. Elle dit beaucoup sur la place de la femme, à cette époque. Sur son rôle de femme de l'ombre qui est là pour soutenir son mari, et pour arranger les choses quand rien ne va. Jusqu'au sacrifice ultime. Mais elle est aussi insoumise dans ses positions, quasiment une combattante ce qui est tout à fait inhabituel.
Le choix de l'actrice la merveilleuse Isuzu Yamada, est un symbole en soi. Avant tout elle est une actrice extraordinaire. Elle est expressive, malgré l'épaisse couche de maquillage qui couvre ses traits. Elle n'est qu'émotion, et aussi bouleversante qu'effrayante. Mais c'est surtout une femme forte et terriblement actuelle. Fille de geisha, elle s'est affranchie de tant de choses pour devenir qui elle était. Elle a toujours eu des choix artistiques courageux, et a pendant des années été black listée par les studios sous la pression du pouvoir américain, elle a rebondi au théâtre et a la télé. C'est un symbole pétri de talent que Kurosawa met en scène poussant un peu plus loin le message qu'il veut passer.
Il complexifie aussi le personnage du général. En le mettant devant le dilemme de réaliser ou non la prophétie. Il pause la question de ce qui prime sur l'autre. Au final c'est l'homme qui tue. La seconde intervention des esprits stigmatisant parfaitement qu'elle est la position du réalisateur sur leurs influences. Il ouvre aussi une notion que je ne veux pas dévoiler car elle est une des notions qui fait évoluer Taketoki Washizu. Ce thème rajouter à ma manière dont Miki accepte de ne pas se poser de question voire de l'aider à l'accession au trône. Positionne ces hommes de manières à ce que quelque chose vienne primer sur leurs loyautés. Cette complexité les rends plus humains mais aussi hiérarchise les priorités.
La réalisation est de toute beauté. Il construit son château sut les pentes du mont fuji. Alors ça a été compliqué pour lui. Mais qu'est ce que c'est beau, pour nous. Ce décor fantastique, cette foret frémissante et cette brume ou brouillard , je ne sais comment le décrire qui les grignote. C'est magique, et nous n'avons pas de peine à croire qu'un esprit niche dans les bois. Le film se termine sur deux scènes extraordinaires de beauté, une ou Toshiro Mifune fait étalage de son talent avec de vraies flèches, je vous laisse la découvrir. Mais lorsque l'on y repense c'est inconcevable. La seconde est une scène avec les arbres et un mouvement particulier. Ça en est hypnotique. Kurosawa substitue cette scène pleine de magie bucolique , à une césarienne dans la pièce de Shakespeare. La composition de l'image est un pur plaisir, il y a toujours un sous texte . Elle est pensée avec minutie. Les décors intérieurs sous des airs relativement dépouillés sont riches.Nous avons eu la chance de voir le film édité par Wild side. La restauration effectuée par Carlotta film est somptueuse. Elle donne au film profondeur et un coté brillant qui renforce les contrastes et les choix d'Akira Kurosawa. Je vous ai parlé des deux acteurs principaux mais je me dois de citer Minoru Chiaki. Il est l'un de mes acteurs préférés dans la constellation qui gravite autour d'Akira Kurosawa. Il est toujours juste, peut interpréter n'importe quel personnage sans jamais se départir d'une dose de bienveillance et d'une bonhomie. Il est ici un contre poids, au coté maussade de l'histoire. Il est un personnage solaire.
Je pourrai encore écrire longtemps sur ce film, tant tout est beau et parfait. Mais je vous ennuierai, alors regardez-le