Magique et par instants bouleversant, le nouveau film de Todd Haynes fait une proposition de cinéma forte, qui pousse à un abandon salvateur.
« Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains regardent les étoiles ». Cette phrase d’Oscar Wilde, qui apparaît à plusieurs reprises dans Le Musée des merveilles, reflète la manière dont Todd Haynes perçoit l’enfance, autant que le cinéma. La réplique, à l’instar de son nouveau film, appellent à un lâcher-prise, à l’abandon d’une quête de sensitivité, qui égale celle de ses deux personnages principaux. D’un côté, Ben (Oakes Fegley, déjà vu dans Peter et Elliott le dragon) devient sourd après un accident, qui le pousse à se lancer au cœur du New-York des années 70, afin de retrouver un père qu’il n’a jamais connu. De l’autre, Rose (Millicent Simmonds), souffrant du même handicap, fuit sa vie familiale difficile dans l’Amérique des années 20 pour aller à la recherche d’une actrice qui l’obsède.
Ces deux temporalités, qui se mêlent dans un montage parallèle complexe et brillamment exécuté, offrent la possibilité au réalisateur de Carol de développer une esthétique proche du conte de fées, une ambiance doucereuse à laquelle il nous a habituée avec ses inspirations du mélodrame classique. Mais plus encore que sur ses autres films, Todd Haynes déploie avec Le Musée des merveilles un retour à la pureté d’un cinéma des premiers temps, à la richesse de sa grammaire épurée de toutes fioritures, qu’il s’amuse par ailleurs à recréer dans le segment dédié à Rose, réalisé en noir et blanc et sans dialogues. Soutenue par la géniale musique de Carter Burwell (aussi variée qu’indispensable émotionnellement), la mise en scène s’interroge sur la place du son, dont elle peut faire une utilisation magnifiquement pensée et immersive par rapport à la situation de ses protagonistes (le mixage est monstrueux), mais aussi souligner la dénaturation qu’elle a pu apporter au médium. Il suffit de voir cette scène dans laquelle Rose constate, horrifiée, qu’un cinéma va bientôt être équipé pour les talkies, pour percevoir tout le paradoxe qui entoure Le Musée des merveilles. Sans jamais sombrer dans le passéisme, le film cherche à préserver un temps perdu, une sensation que nous ne pouvons synthétiser ou figer.
Et si Todd Haynes appuie le besoin de ses héros de vivre une quête initiatique en perpétuel mouvement, il les met face la beauté, ainsi que la frustration, d’un muséum d’histoire naturel, et de ses matières, de ses corps réduits à une seule position. Outre le fantasme enfantin qu’exploite le long-métrage (qui n’a jamais rêvé de braver l’interdit en passant une nuit entière dans un lieu public aussi magique ?), cette métaphore du septième art, uniquement capable de capturer un instant T, offre au cinéaste la possibilité de démontrer toute l’attention qui émane de l’artificialité d’un tel emprisonnement. Les divers dioramas que la caméra sublime en viennent même à devenir un élément de mise en scène à part entière, permettant de mettre en mouvement des moments mis dans des boîtes, des boîtes construites avec un sens du détail qui n’a rien d’anodin. De cette sensibilité ressort une notion d’héritage à travers l’art, qui amène Le Musée des merveilles à être une œuvre bouleversante sur le deuil, et la trace que nous laissons dans ce monde. Le thème n’est pas nouveau, mais en assumant de toujours rester à hauteur d’enfant, Haynes développe la dureté d’une telle conscience de soi et de la vie, passage à l’âge adulte touchant que nous (re)vivons à travers l’incroyable sensitivité des personnages que le film parvient à recréer. C’est en cela que le cinéma de Todd Haynes est particulièrement fascinant : plutôt que de se complaire dans le moule de l’indé américain fier d’une intellectualisation forte de la narration, le réalisateur de Loin du paradis nous invite à simplement vivre l’instant, à partager l’expérience de ce conte de fées moderne, et la douleur inhérente au fait de grandir. Le Musée des merveilles peut en effet rapidement se psychanalyser, mais il est plus beau de se plonger à corps perdu vers ces étoiles qu’évoquent Oscar Wilde, que Todd Haynes parvient une nouvelle à suggérer par sa réalisation virtuose et sa photographie d’une beauté sidérante, qui engendrent une sorte de filtre magique qui n’en rend que plus forte la réalité.
Réalisé par Todd Haynes, avec Oakes Fegley, Millicent Simmonds, Julianne Moore…
Sortie le 15 novembre 2017.