Une belle claque avec un film peu conventionnel qui plus est pour une commande gouvernementale propagandiste d’après-guerre. Non conformiste à souhait, un vrai OFNI (objet filmique non identifié) tant il est l’incarnation de plusieurs genres et d’aucun à la fois… Une œuvre d’art du cinéma britannique et plus encore.Belle critique à suivre qui fait la synthèse de mon goût pour cette petite perle qui fait beaucoup penser à son homologue américain de l’époque livrée par Capra « La vie est belle ».« Années 40. Le réalisateur anglais Michael Powell et le scénariste Emeric Pressburger sont aux faîtes de leur collaboration et signent une série de films, plus ambitieux et inventifs les uns que les autres. Les genres s’y bousculent allègrement : récit intimiste, comédie sentimentale, épopée historique, mélodrame, conte, film d’aventure… L’humour ainsi qu’une vibrante humanité règnent dans ces fables inclassables, qui resteront un temps ancrées dans les réalités du second conflit mondial. « Une Question de Vie ou de Mort » découle lui-même d’une commande passée par l’armée britannique, afin d’apaiser les tensions entre les troupes anglaises et américaines au lendemain de la victoire. Le film, loin de se cantonner à son cahier des charges, est une romance fantastique, qui célèbre dans un savoureux pied de nez, l’indiscipline poétique contre la bureaucratie et l’autoritarisme. Tandis que « l’autre monde », filmé en noir et blanc, fabrique des anges à la chaîne, Peter Carter, le pilote anglais en sursis interprété par David Niven, préfère s’adonner aux amours terrestres avec June, une officière américaine d’autant plus éblouissante, qu’elle est en technicolor!
Un drôle de partie s’amorce entre les deux mondes au début du film. Un avion anglais vient d’être abattu et pourtant, l’homme se fait attendre là-haut par ses camarades tombés au combat. Pour éviter de périr brûlé, le pilote a sauté sans parachute mais les subalternes célestes, aveuglés par la purée de pois des côtes anglaises, l’ont perdu de vue. Le « paradis », peuplé de cols blancs en uniforme, s’inquiète de cette erreur administrative tandis que Peter, puisqu’il s’agit de lui, échoué sur la plage, se redresse miraculé, comme au lendemain d’une banale nuit de sommeil. Alors qu’un agent céleste est diligenté sur terre pour réparer le forfait, Peter noue une idylle avec June, une opératrice américaine, qui fut son dernier contact radio durant le vol. Pressé par le guide de rejoindre les siens, Peter rétorque qu’il ne peut le suivre sans commettre une énorme injustice : celle d’abandonner June qui l’aime désormais. On convoque donc un grand procès, là-haut, pour trancher ce cas sans précédent. S’agirait-il d’une ruse inventée par Peter pour tromper le destin? Le couple doit donc établir la preuve formelle qu’il s’aime sans quoi Peter sera réexpédié sans délai dans le monde d’en haut.
Le film ne manquera pas de dérouter, aujourd’hui encore, par la bizarrerie de son rythme narratif. A maintes reprises, les échanges très dialogués ou les joutes oratoires, s’étalent en longues séquences assez théâtrales et statiques, tandis qu’ailleurs, ce sont mille rebondissements qui procèdent comme par à-coups spectaculaires, burlesques ou dramatiques. Powell et Pressburger jouent de ces effets de suspension, d’accélération ou de dilatation, manipulant l’espace-temps improbable du récit et ses disjonctions oniriques. L’une des inventions du film consistera à figer l’action et le temps du récit, à chaque fois que l’envoyé céleste (un aristocrate guillotiné durant la révolution française) rendra visite à Peter (avec dans son sillage, une odeur incongrue d’oignon frit!). Powell utilise soit des photogrammes fixes, soit les acteurs réels qui gardent imparfaitement la pose en tremblant ou en bougeant légèrement. C’est donc l’une des plus grandes trouvailles du film, par delà les trucages et autres astuces optiques, que cette élasticité du récit, qui semble procéder par anamorphoses temporelles, contretemps et digressions. Le baroque visuel du film, avec l’outrance de ses chromos en technicolor, ses « trucs » artisanaux à la Méliès et ses grandes machineries optiques (une caméra obscura, la reproduction titanesque des paupières du héros, la matérialisation des phosphènes), rejoint en effet celui du récit, irrégulier et fantasque à souhait. Ceci dit, on trouvera quelques étirements un peu trop marqués ça et là comme dans le long procès final ou la longue scène inaugurale de l’avion en feu, mais pas suffisamment pour qu’ils rompent ni le charme, ni l’efficacité poétique du procédé. Ces longs tableaux ne font que marquer les moments de suspension où la magie et le surnaturel opèrent, accentuant l’irréalité et l’atemporalité des scènes.
Malgré de petites imperfections, « Une Question de Vie ou de Mort » est, à bien des égards, un laboratoire d’idées cinématographiques et narratives à l’humour débridé. Cette folie inventive épouse celle du personnage, faite d’hallucinations et de fantaisie. On ne saura pas au final si le soldat Peter, opéré à la suite d’une lésion cérébrale qui affectait son entendement, n’a pas imaginé ces péripéties surnaturelles. Pendant ce temps, une June bien réelle veillait à ses côtés. Chacun des personnages qui l’entouraient, ami et chirurgien, se sera mué au cours du récit en autant de doubles oniriques. Rappelons que Peter, avant d’officier dans l’armée, était connu pour ses talents poétiques. Jusqu’au dénouement, le récit ne tranchera pas la nature des évènements, préférant tisser une réalité composite, subjective et surréelle, davantage entre les paupières du héros, que devant elles. C’est bien un voyage fantastique dans le crâne du personnage, qu’ont fabriqué Powell et Pressburger, aidés par la magnifique photographie de Jack Cardiff et les décors d’Alfred Junge. Finalement, il sera autant question de vie, de mort, d’amour ou de guerre, que de survie, par et grâce à l’imaginaire. Et cette ode pourrait bien s’avérer être celle de l’art, du rêveur ou du poète, tous personnifiés par le personnage principal. »
Sorti en 1947
Ma note: 18/20