S'il y a bien un genre de films que le cinéma français ne sait plus produire ou plutôt réussir, puisqu'ils continuent d'occuper nos écrans à longueur d'année, c'est le film de potes et plus généralement les comédies de situation qui reposent sur une délicate alchimie entre l'humeur, les dialogues et la direction d'acteurs. A ce titre, les producteurs et les réalisateurs actuels seraient bien inspirés de s'organiser un séminaire de quelques jours pour revoir les grands classiques de la comédie française, dont font indiscutablement partie les films de Bertrand Blier. De même que l'on reconsidère aujourd'hui bon nombre de films américains des années 70 et 80, à l'aune de l'incapacité endémique du cinéma américain actuel à se réinventer et avoir un propos sur son époque, on n'a probablement pas fini de redécouvrir des comédies françaises, accueillies tièdement au moment de leur sortie, malgré des qualités immenses qui font aujourd'hui cruellement défaut.
En 1983, la réputation de Bertrand Blier n'était plus à faire et La Femme de mon Pote, son retour à la comédie débridée après le très émouvant Beau-Père, ne pouvait que souffrir de la comparaison avec Les Valseuses (1974), Calmos (1976), Préparez vos mouchoirs (1978) et Buffet Froid (1979). Il fut de fait accueilli assez tièdement et constitua même le premier semi échec de sa filmographie. Recasté dans des circonstances très douloureuses ( Thierry Lhermitte en lieu et place de Patrick Dewaere et Isabelle Huppert de Miou Miou), hanté par le souvenir de l'inoubliable interprète de Pierrot ( Les Valseuses) qui s'était tragiquement donné la mort quelques mois avant le tournage, la Femme de mon Pote n'est pas né sous une bonne étoile. Pour autant, porté par les dialogues au scalpel de Bertrand Blier et Gérard Brach et des comédiens virtuoses à la hauteur de cette partition, brillant dans des rôles à contre emploi, La femme de Mon Pote est une comédie enlevée et touchante sur laquelle les années n'auront pas eu de prise, bien au contraire.
Thierry Lhermitte ( Pascal) en romantique invétéré et naïf, Isabelle Huppert ( Viviane) en allumeuse sans pudeur et sans principes qui use de tous ses charmes pour faire succomber Coluche ( Micky), l'ami dévoué souffrant de ne pas avoir encore trouvé l'amour, forment un trio haut en couleurs et terriblement attachant. L'amitié est érigée en valeur cardinale comme dans les précédents films de Blier. Pascal et Micky sont des amis à la vie, à la mort, dont l'amitié sera mise à rude épreuve par l'arrivée de Viviane. Coluche est formidable de justesse et d'humanité en ami protecteur rongé par la peur de devenir un vieux garçon. Avec Tchao Pantin, sorti la même année, il s'agissait pour lui de montrer une autre facette de sa personnalité et de son talent, ce qu'il fit brillamment malgré les circonstances. Il était en effet alors très affecté par la disparition de Patrick Dewaere et ne se faisait pas à la méthode de travail de Bertrand Blier, laissant peu de place à l'improvisation. Quand on connaît par ailleurs les circonstances du suicide de Patrick Dewaere, le scénario de Blier et Drach (une scène en particulier) ne l'aura vraiment pas ménagé. Ses scènes avec Isabelle Huppert, la rencontre de ces deux tempéraments opposés, employés dans des rôles à contre emploi sont des petits bijoux d'écriture et de justesse, chacun apportant à son personnage une fragilité, une épaisseur dramatique et une ambiguïté que l'on n'escomptait pas au début du récit.
Pascal et Micky ont quelque chose d'adolescent, d'inadapté au monde qui les entoure. Trop naïfs, trop idéalistes, l'entrée de Viviane dans leur monde est une irruption de la réalité dans la petite bulle qu'ils se sont constitués. Elle met Pascal face à sa plus grande faiblesse, sa fragilité et sa naïveté avec les femmes dont il tombe systématiquement amoureux comme un éternel adolescent plus amoureux de l'idée même de l'amour que de sa petite amie. Elle révèle chez Micky son extrême solitude et son angoisse de ne jamais rencontrer l'âme sœur, ce qu'il s'efforçait d'oublier en surinvestissant dans son amitié avec Pascal. La Femme de Mon Pote était alors peut être le film le plus mélancolique de Bertrand Blier, celui dans lequel paraissait le plus sa personnalité, sa vision de la société, de l'incompréhension entre les hommes et les femmes (certains diront de sa misogynie), de la fragilité des liens en apparence les plus forts quand chaque individu reste finalement la somme de toutes ses faiblesses. Lorsqu'il s'autorise à briser le quatrième mur pour livrer au spectateur les états d'âme de Micky, c'est aussi un peu de lui même qu'il livre alors en creux pour la première fois. Sa finesse d'écriture et la lucidité de son regard sur le monde et les rapports humains, confèrent à ce qui est pourtant un film mineur dans sa filmographie, une efficacité comique et une justesse même dans les situations en apparence les plus absurdes, qui font terriblement défaut à l'immense majorité des comédies françaises actuelles.