Le mensonge du personnage

Par William Potillion @scenarmag

Lorsque le protagoniste s’est fixé un objectif et que nous comprenons pourquoi cela importe autant pour lui, la question qui vient à l’esprit est de savoir pourquoi il lui est si difficile d’obtenir ce qu’il veut.

Est-ce parce qu’il est confronté à un ordre qui décidément refuse de se laisser faire ? Incarner en cela par une entité (la nature, une institution… un antagonisme quelconque).
Ou est-ce plutôt parce que le personnage est pris dans les rets de ses habitudes ? Acquises au fil de ses expériences ?

Les expériences que nous faisons au cours de notre vie, les leçons que nous apprenons de la vie, tout cela forge des certitudes et des convictions. Et des jugements de valeurs.
En conséquence, nous devenons moins critiques envers nous-mêmes. Et si nous nous trompions ?
Un des attributs chez le personnage principal d’une fiction est que sa façon de voir le monde est erronée. Son esprit s’est façonné au fil de sa vie d’antan (qui peut apparaître en quelques scènes pour en informer le lecteur) et le personnage s’est convaincu petit à petit que ce qu’il faisait était ce qu’il devait faire.

Sa véritable nature

Qu’il y ait un problème dans sa personnalité (classiquement reconnu comme une faille, un défaut à corriger) ou bien qu’il soit la victime d’une blessure de l’enfance jamais cicatrisée, le personnage s’est adapté en construisant sa vie autour d’un mensonge.

Il fut amené à croire en des choses qui ne lui correspondent pas vraiment. Mais il s’est persuadé de ces choses. Et voir comment ce personnage ouvrira enfin les yeux sur ses fausses convictions est vraiment ce qui fascine le lecteur et est exactement ce dont doit parler l’histoire.

Lorsque nous découvrons le personnage, toutes ses décisions et les hypothèses qu’il peut émettre face aux situations dans lesquelles il est jeté sont toutes teintées par la somme de ses expériences. A ce moment de l’histoire, il est ce que son passé a fait de lui.
Et ce personnage peut être autant le protagoniste que l’antagoniste. Pourquoi l’antagoniste agit-il ainsi ? Qu’il cherche à contrer les plans du héros ou bien que celui-ci essaie d’empêcher le méchant de l’histoire de commettre l’irréparable, quelles sont les intentions de l’antagoniste et pourquoi est-il ainsi motivé ?

C’est ce que le lecteur a besoin de savoir. Les réponses lui seront données au cours de l’intrigue le plus souvent. Il faut garder un peu de mystère pour ménager le suspense.
En fouillant dans le passé d’un personnage, on peut ainsi trouver et comprendre comment ce personnage en est arrivé à une telle vue sur le monde. Ce qui explique ses comportements, ses attitudes et postures et ses réactions immédiates aux événements.

Faire ce qui semble juste

A un moment donné de la vie du personnage, il a dû faire face à une situation difficile. Il n’en avait pas vraiment l’expérience et il a répondu comme il le sentait. Peut-être par intuition.
Il s’est avéré que les choix ou décisions qu’il a pris à ce moment-là se sont révélés efficaces pour lui permettre de résoudre son problème.

Il en a alors déduit qu’il avait adopté la bonne attitude face aux événements et en a conclu que l’expérience avait été positive. Or rien ne prouve cependant qu’il a agi au mieux de ses intérêts.
Mais depuis pour résoudre des problèmes similaires, il agira presque mécaniquement de la même façon qu’il pense approprié. Mais cela ne fonctionnera pas parce que les circonstances ne se répètent jamais exactement de la même manière.

D’autant plus qu’il s’est amené lui-même à se convaincre que ce qu’il faisait était juste. Comme par exemple de porter un jugement de valeur sur un individu qu’il a croisé. Persuadé comme il est qu’il a vu juste.
Mais s’il était dans l’erreur, si son jugement était on ne peut plus critiquable, comment pourrait-il s’en apercevoir puisque son raisonnement mêlé de passions diverses lui dit qu’il voit juste.

C’est ainsi que l’on peut envisager ce que certains appellent une faille dans la personnalité du personnage, d’autres une cicatrice comme par exemple après une rupture porter un jugement très sévère sur l’idée même du couple. Ce ne sont que des pistes à explorer pour concrétiser un projet d’écriture. Considérez mes propos non pas comme des méthodes mais des voies de réflexion.

Un exemple de mensonge

Voici un exemple que m’a inspiré la lecture de Lisa Cron. Le personnage a grandi au sein d’une famille très catholique. Il vécut une enfance heureuse mais il sentait sans se l’expliquer vraiment qu’il était différent.
Très proche de sa mère, il nourrit pour elle un amour inconditionnel.
Puis un certain jour, alors âgé de 12 ou 13 ans, dans la cour de récréation, l’un des garçons lui dit :
« Dieu n’aime pas les tapettes ! »

Ne comprenant pas l’insulte, il fit ce que sa mère lui a toujours dit de faire lorsqu’il ne comprenait pas quelque chose : vérifier dans le dictionnaire. Evidemment, il trouva étrange que Dieu détesta les pièges à souris.
Mais vint le moment où il découvrit qu’il était homosexuel. Il se souvint des paroles de l’autre et son monde s’écroula.

Son amour pour Dieu ne pouvait pas supporter une telle affirmation. Mais il ne remit pas en question les paroles de l’autre. Elles devinrent une vérité, un principe. A partir de ce moment-là, tous ses choix et toutes ses décisions furent guidés par cette fausse vérité. Mais pour lui, elle était la vérité.
Il se maria, eut des enfants et alla même jusqu’à tenter de dissuader d’autres gays de suivre une voie si éloignée de Dieu. Peut-être même est-il devenu pasteur.

Ainsi, toute sa vie fut basée sur un mensonge non pas qu’il a accepté comme un fait établi, mais dont il s’est convaincu lui-même de la véracité. L’image de lui-même qu’il offre aux autres reflète cette fausse vérité mais intérieurement, il se bat constamment entre le dilemme de son amour pour Dieu et sa véritable nature.

Connaître ce mensonge vous permettra alors de commencer à élaborer votre personnage sur un fondement solide. Ensuite, le développement de ce personnage passera par la prise de conscience que les valeurs sur lesquelles il a basé sa vie sont fausses.
D’autant plus que ce sont précisément ces croyances, préjugés ou toutes autres présuppositions qui l’entravent directement dans son effort pour accéder à son objectif.

Et concrètement ?

En quelques lignes, essayez de définir ce mensonge que le héros se fait à lui-même. Vous savez qu’il est dans l’erreur mais lui n’en a pas encore conscience. Il ne s’agit pas ici de planifier l’arc dramatique de ce personnage (son évolution au cours de l’histoire) mais de s’assurer des valeurs qui l’animent au début de l’histoire.

Assurez-vous aussi de ce qu’il veut obtenir et de ce que sera cette peur qui le retient d’avancer. Pour vous aider, essayez d’imaginer ce que ce personnage imagine lui-même de ce qui pourrait lui arriver de pire. N’hésitez pas à explorer plusieurs possibilités. Il est préférable de consacrer du temps à écrire et réécrire les bases d’un personnage avant de se lancer dans le scénario.