Le héros est un être humain

Le héros en tant que protagoniste est celui qui fait avancer l’intrigue. On a pris l’habitude de le considérer tout empli de bonnes intentions, faisant le bien et surmontant l’adversité. Le héros typique est Hercule.

Depuis Hercule, le héros est moins empreint de ses ancêtres divins. Il est devenu quelqu’un d’ordinaire jeté dans une situation extraordinaire. Néanmoins, il est toujours affublé de qualités, voire de vertus qui lui permettent de se dépasser, de vaincre toutes sortes de difficultés et d’obstacles (malgré les tribulations qui pourraient l’abattre plus souvent qu’à son tour).
C’est toujours un personnage qui fait montre de bravoure (alors que la bravache pourrait être plus dramatique). Il est encore le gardien de valeurs morales qui ne font que refléter une société qui se voudrait utopique. C’est un être exemplaire prêt à se sacrifier pour sa cause.
Il faut pourtant considérer un élément dramatique indispensable à toute fiction : le suspense et son pendant, la tension dramatique. Ce qui signifie que le personnage principal d’une histoire (qui est souvent aussi le protagoniste, je vous renvoie à la théorie narrative Dramatica pour cette distinction) ne peut être parfait.

Depuis Aristote, un héros est aussi un personnage qui possède une faille dans sa personnalité. Et ce défaut dans la cuirasse peut entraîner la chute du héros (ou du moins, sa perdition).

Un héros exemplaire…

Or, dans la définition du héros, il existe une clause particulière. Celui-ci, au cours de sa quête, doit dépasser cette faiblesse qui le caractérise tant (elle est d’ailleurs la manifestation de sa vulnérable nature humaine) et la grâce (qu’elle soit foi en Dieu ou en l’homme), la persévérance (sa résilience face aux événements et aux assauts de son monde) et la grandeur de son esprit (et partant, de ses valeurs morales) feront de lui une source d’inspiration et d’élévation pour le lecteur.

Le souci du héros exemplaire, c’est qu’il conduit l’auteur à mettre en place un dualisme un peu trop exacerbé. en fondant ses personnages sur leurs fonctions seules dans l’histoire : l’antagoniste est 100 % le méchant de l’histoire et le héros est le champion des valeurs du bien. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité de la nature humaine.

Concernant le personnage principal (c’est-à-dire celui sur lequel se concentre l’histoire), il serait peut-être préférable de questionner les principes moraux qui sont à la base de sa conduite ainsi que ses motivations.
Mais comme il est aussi personnage principal (c’est-à-dire celui qui va cristalliser la subjectivité du lecteur), et qu’il possède ou non des traits moraux susceptibles de plaire ou non au lecteur, ce dernier doit néanmoins lui donner de l’empathie.

… mais un héros humain

Le protagoniste d’une fiction n’est pas une idée. Il n’est pas le porte-parole d’une doctrine ou d’une propagande. C’est un personnage qui est engainé dans un monde particulier, qui est jeté dans des situations auxquelles il doit réagir avec les moyens (physiques et psychologiques) qui le déterminent.

Considérons que votre protagoniste soit un prêtre. Il rencontre par hasard un ancien amour d’avant sa formation sacerdotale. Et son vœu de célibat est mis à mal.
Au-delà de l’apparence, ce que vous pourriez chercher à dire n’est pas que le prêtre a cédé à la tentation. Vous ne faites pas un exposé sur la concupiscence. Votre véritable message est que l’amour est au-dessus des lois, au-dessus des règles et c’est précisément ce qu’un prêtre cherche à transmettre à sa paroisse : l’amour de Dieu (son amour pour les hommes et la foi en Christ).

Le héros humain est un personnage qui prend appui sur la réalité de son environnement pour communiquer un message. Le monde décrit par l’auteur peut être certes être une idée (quelque chose d’abstrait) mais son personnage principal ne peut être une abstraction. Il est en prise avec la réalité fictive.

J’ai souvent mentionné dans mes articles que pour chercher l’empathie envers un personnage, l’auteur devait solliciter chez son lecteur une réaction assez universelle. Par exemple, la mort d’un enfant même si l’on n’a pas éprouvé personnellement cette terrible expérience, permet la reconnaissance par le lecteur de ce que traverse un personnage. La compassion et l’empathie peuvent s’installer.

Cependant, cette universalité voulue peut facilement sombrer dans le cliché. Il est préférable alors de doter votre protagoniste de traits qui vont renforcer son individualité. Vous pourriez par exemple le montrer très égoïste. Si ce défaut hautement critiquable vous permet d’ajouter de la profondeur à votre personnage, vous ne devriez pas céder à vos propres valeurs morales.
Tant que les efforts de votre personnage pour amender une autre faute sert votre propos, cet égocentrisme fera partie de son caractère. Et même si le lecteur peut trouver que son attitude est quelque peu déplorable, le voir fournir autant d’efforts pour devenir meilleur par ailleurs peut lui faire apprécier votre personnage malgré cet aspect négatif de sa personnalité.

Un personnage ordinaire

Gardez à l’esprit que votre héros est un personnage ordinaire qui se retrouve propulsé dans des situations et des circonstances extraordinaires. Au début, il vit dans une zone qu’il croit de confort. Rien n’est plus faux évidemment. Lorsque l’appel à l’aventure lui est lancé, il va se retrouver en territoire inconnu. Il va devoir vivre des expériences qu’il n’a jamais connues.

Un point important maintenant. Être protagoniste d’une fiction, c’est une fonction. Celle-ci a pour tâche de faire avancer l’intrigue. Pour que cela fonctionne, il faut que le protagoniste soit proactif. Cela signifie qu’il doit devancer ou  provoquer les événements (la structure d’une fiction est essentiellement un rapport de causes à effets).
Néanmoins, il peut être bon pour donner de la rondeur au personnage que celui-ci se montre parfois passif dans le cours de l’intrigue. Autrement dit, il subit les événements. C’est, par ailleurs, très proche de la vraie vie.

Le héros d’une histoire est aussi un personnage résolument décidé à réaliser son objectif. Il a un problème et il doit le résoudre. Le héros n’a pas d’alternative. Il ne peut pas mettre son problème sous le tapis et il va devoir le prendre en charge.
Cette fermeté qui le désigne effectivement comme un protagoniste ne le met pas cependant à l’abri du doute. Il doit avoir des incertitudes, des hésitations. Comme tout être humain, en somme.

Si je reprends l’exemple de mon prêtre après la faute qu’il a commise, il va se mettre à douter non pas de sa foi car il est un croyant convaincu et illuminé de l’intérieur mais plutôt de sa profession de foi. Est-il vraiment à la hauteur de celle-ci ?
Ces incertitudes dont le protagoniste est la proie peuvent aussi permettre à l’auteur de faire remonter à la surface des problèmes liés au passé de son personnage.

Considérez aussi qu’un personnage foncièrement honnête ne veut ni ne peut mentir. Mais les circonstances peuvent l’obliger à agir contre sa volonté. Il va donc devoir se restreindre. Et s’il prête serment par exemple, se sentir obligé de mentir pour préserver quelque chose.
Ce mensonge est contradictoire avec sa nature et sa volonté mais la situation l’a forcé à agir de manière immorale. C’est tout à fait crédible.

Sans reproche ?

Le héros peut avoir commis des fautes. Si les besoins de l’histoire exigent qu’il soit un criminel… Qu’il en soit ainsi. Il ne faut pas se contraindre à un stéréotype parce que le personnage est prétendument un héros. Ce n’est pas sa position dans l’histoire qui le définit.

La structure de l’histoire ne détermine pas son contenu. Pourquoi devrait-il y avoir un être différent sous la carapace ? L’auteur ne demande pas au lecteur de juger son personnage principal. Il veut lui communiquer un message. Et l’auteur est responsable des moyens qu’il utilisera pour que la communication soit efficace. Le fond et la forme deviennent indissolubles.
Par conséquent, il s’avère important de bien savoir qui est son personnage principal et si le protagoniste est éventuellement un autre personnage. Parce que c’est par le personnage principal que la parole de l’auteur peut se manifester.

Le héros classique réussit habituellement son objectif (sauf si vous vous lancez dans une tragédie). Son arc dramatique fait de lui un être meilleur à fa fin de l’histoire. Cela fonctionne assez efficacement parce que c’est précisément cela que le lecteur attend de l’histoire. Si vous ne le lui donnez pas, il sera frustré.
Or vous pourriez faire un choix considérable en prenant la décision d’interdire à votre héros de changer. Il ne connaîtra pas la rédemption. Bien sûr, des personnages comme James Bond n’ont aucunement besoin de devenir autre. Dans ce cas, l’influence du héros fait changer un autre personnage. Il est l’instrument qui permet à l’autre d’être sauvé ou de s’élever.

Mais c’est bien de devenir dont il s’agit ici. Supposons un personnage spirituellement mort au début de l’histoire comme Lester Burnham (American Beauty). Pour connaître enfin la délivrance, il n’y a qu’une issue possible : la mort (que celle-ci soit symbolique ou littéral ou les deux à fois).
C’est l’auteur qui sert de substitut au libre-arbitre du personnage. Si l’intuition de l’auteur emmène son héros vers un devenir apparemment sombre, il ne s’agit nullement de l’erreur d’un manque de raisonnement. L’auteur écrit autant avec sa tête que son cœur (et dans ce dernier cas, la toute première version du scénario).

Un être qui ne peut être foncièrement bon

Les vertus, la moralité, une vocation naturelle vers le bien, des intentions pures et l’amour de l’autre : des traits de caractère qui peuvent être nécessaires lorsqu’ils sont utilisés parcimonieusement. Mais si le héros est trop empli de ces valeurs un peu trop parfaite, vous encourrez rapidement la lassitude de votre lecteur qui ne se satisfera pas de voir page après page un personnage à la perfection illusoire mais surtout barbante.

Si la nature d’un personnage le pousse à des bassesses, s’il est un être cupide ou succombe facilement à la chair, décrivez le ainsi et surtout s’il est votre protagoniste. De toutes façons, vous le malmenez déjà au cours de l’intrigue. N’hésitez pas à pousser le trait.
C’est le même principe que pour les obstacles. Si vous vous contentez d’un simple ruisseau à enjamber, où est le triomphe ? En revanche, l’obstacle ou l’épreuve seront des abysses apparemment impossibles à traverser.

S’il veut devenir meilleur, un personnage doit le mériter par ses efforts. Et s’il est misanthrope ?
Il le restera. Si c’est sa conviction. Si cela est son point de vue sur le monde. Pourquoi vouloir absolument l’en faire changer ? Vous travaillez un personnage, vous lui donnez une profondeur. Qu’il soit le héros de l’histoire ne change rien à l’affaire.

Et puis si vous évaluez que vous avez dressé un tableau un peu trop sombre de votre personnage mais en ayant cependant réussi à dire ce que vous vouliez avec votre histoire, vous pouvez toujours le racheter dans le troisième acte.
L’altruisme est aussi une qualité que l’on retrouve assez souvent chez le héros. Et cela peut aller jusqu’au don de soi pour autrui. Mais admire-t-on vraiment un héros pour son courage ? Certainement et cela peut nous élever en tant qu’être humain. Cependant, une valeur plus universelle ne serait-elle pas l’intérêt personnel ?

Pour en revenir à l’arc dramatique de votre héros, c’est-à-dire la courbe qu’il va suivre à travers toutes les afflictions et les tourments moraux qu’il connaîtra par l’intrigue et dont il tire de grandes leçons sur sa vie pour devenir autre, classiquement un être meilleur, vous devez vous poser la question de savoir si vous vous conformez à cette expectation du lecteur (car c’est tout de même ce qu’il y a de vraiment fascinant à suivre dans une fiction) ou bien si vous prenez le risque de frustrer ce lecteur en ne lui offrant pas non pas un Happy Ending mais plutôt la révélation du héros de chenille en papillon.

Quelles motivations ?

Vous pourriez aussi questionner les motivations de votre personnage. Pourquoi chercher une face cachée au héros ? Ses intentions ne peuvent-elles être autre chose que la défense de la veuve et de l’orphelin ?
Plutôt que de suggérer une certaine cupidité par exemple ou un goût pour, je ne sais, quelle activité lubrique… Pourquoi ne pas assumer directement ces caractères déviants chez votre personnage ?

Le héros classique agit selon des principes qui ne choquent pas la bien-pensance (quel manque d’esprit critique !) et qui la satisfont tout à la fois. Un véritable héros devrait se moquer de ce que l’on peut penser de ses actes. Ceux qui jugent (les dénigreurs comme les laudateurs d’ailleurs) ne sont point de ses préoccupations.
Ainsi, un auteur pourrait lui permettre d’adopter certains principes (postulats dont on peut envisager la source dans son passé) qui vont à contre-courant de l’opinion généralement admise lorsqu’il s’agit de héros, de protagoniste ou de personnage principal.

Je ne suis pas le seul à dire que nécessité et contrainte sont différents. Il est nécessaire que l’empathie du lecteur se pose sur le personnage principal. Mais contraindre le lecteur à aimer un personnage parce qu’il est une bonne personne et répond à des canons spécifiques, c’est le priver de sa liberté.
En effet, le lecteur peut très bien reconnaître et apprécier un mauvais garçon. Et ceci, sans que l’auteur ne cherche à en faire un être meilleur à la fin de l’histoire.

Un personnage est un être complexe et ambiguë. Tout comme le sont les personnes réelles. Cette complexité et ambiguïté inciteront le lecteur à s’interroger, à peser les problèmes qui lui sont proposés. En d’autres mots, un héros doit solliciter l’intelligence du lecteur.

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