Intrigue : l’énigme a résoudre

Les histoires qui se fondent sur une énigme pour leur intrigue conte deux choses : d’abord, les événements qui se sont produits mais aussi ce qui semble s’être produit.
On adore se torturer les méninges, cogiter pour démêler le vrai du faux. Cela nous met au défi tout en nous amusant.

L’auteur pose une question énigmatique ou ambiguë. Il sème des indices dont la signification mène à d’autres indices.  Car il y a une signification cachée et le lecteur tente d’assembler les indices fournis, les informations parcimonieusement données et parfois très subtiles afin de comprendre la solution.
Une énigme est une structure à deux composants. Le premier élément est général et le second singulier (voire paradoxal).

L’énigme incarne un concept

Considérons cette énigme :
Elle a un nez rouge, une robe blanche et plus elle grandit, plus elle rapetisse. Qui est-elle ?

C’est le premier composant de l’énigme et il est personnifié. Pour trouver la réponse, il suffit de reformuler la proposition. Qu’est-ce qui est blanc et possède une sorte de nez rouge ?
Et puis il faut s’interroger sur les notions de grandir et de rapetisser. En réfléchissant, grandir peut avoir pris la signification de durer. La réponse est une bougie. Le nez rouge est une métaphore de sa flamme et effectivement, lorsqu’une bougie brûle, elle s’amenuise au fil du temps.

Une intrigue qui s’articule autour d’une énigme oppose l’esprit à la force, le mental au physique. L’énigme contemporaine consiste à deviner qui est  le cerveau qui a manigancé tout ce qui s’est produit. Les événements ne sont pas venus là seulement par providence.
L’énigme tisse l’intrigue. Elle est devenue mystère. Et met au défi le lecteur de résoudre le problème.

L’intrigue reste quelque chose de physique. Elle décrit des événements. C’est-à-dire qui est au cœur de l’événement (celui ou celle qui est concerné par cet événement) et le contenu de ce qui se passe dans cette scène précisément. Il y a aussi le lieu et le moment où elle se produit. Et sa légitimité pour l’histoire ou l’intrigue.

Toutes les scènes dont l’objet plus ou moins évident est l’énigme elle-même seront alors évaluées et interprétées par le lecteur. Mais comme les choses ne sont pas ce qu’elles apparaissent en surface, le lecteur va devoir comprendre l’indice qu’elle lui communique.
La réponse ne sera pas évidente (parce que sinon le lecteur sera frustré) mais elle sera néanmoins en pleine vue.

Un leurre pour le lecteur

La solution de l’histoire oppose la réalité des choses à leur apparence. Cela demande une certaine habileté pour que le lecteur n’anticipe pas immédiatement ce qui se passe vraiment dans l’histoire. Pour qu’il comprenne les tenants et aboutissants de l’énigme, l’intrigue doit lui fournir une série d’indices (souvent ambigus) et il doit fournir un véritable effort pour saisir la vraie relation que ces informations ont entre elles.

Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Le lecteur devra les interpréter correctement. Et cela ne fera sens que progressivement. Plus facile à dire qu’à faire pour l’auteur. Il lui faut créer des informations qui pourraient signifier une chose ou une autre et le lecteur doit maintenir son attention tout au long de l’intrigue pour que ces informations fassent sens.

Attention cependant à ne pas multiplier des informations qui ne soient pas pertinentes avec l’intrigue dans la seule intention de perdre son lecteur. Puisque si les indices fournis sont suffisamment discrets ou ambigus, si le lecteur se fourvoie, ce sera seulement parce qu’il a mal interprété l’information. Et il sera agréablement surpris de l’intelligence de cette distribution de l’information.

Il faut trouver un équilibre entre deviner relativement facilement la signification d’un indice au cours de l’intrigue et ceux dont il serait presque impossible de comprendre la légitimité sans connaître la résolution de l’histoire.
Lorsque vous donnez une information, vous devez évaluer comment votre lecteur peut la recevoir. En fait, il y aura une compétition entre votre protagoniste et votre lecteur. Ce dernier essaiera tout au long de l’intrigue de devancer la solution du problème.

Une structure possible ?

Classiquement, il est donné au lecteur à voir et à entendre d’abord la victime (et il est le témoin de ce qui fait de ce personnage une victime, généralement son meurtre).
Cela constitue le prologue de l’histoire. Ensuite, la première scène (après le prologue) introduit le protagoniste ou personnage principal. Comme il y a un mystère, sa fonction dans l’histoire sera de le résoudre. L’objectif est ainsi clairement fixé dès le premier acte.

L’énigme est ainsi l’objet de l’objectif et la question dramatique s’impose d’elle-même : qui est le coupable ? et bien sûr, pourquoi ? De nombreux auteurs ne s’étendent pas trop sur la profondeur de leur personnage. Il présente leur protagoniste comme quelqu’un légèrement blasé de la vie qu’il mène et qui cherche à lui donner un peu de sel.
C’est ainsi d’ailleurs que le lecteur peut s’identifier assez facilement avec le protagoniste. Mais une telle façon de faire peut manquer d’empathie. Il peut être bon dans ce cas de distinguer le protagoniste du personnage principal.

Le protagoniste a en charge de faire avancer l’intrigue. Le personnage principal subit un peu plus les événements. Cela, néanmoins, permet au lecteur d’éprouver une certaine compassion envers lui et de s’impliquer ainsi davantage dans l’histoire. Pour cette distinction entre protagoniste et personnage principal, je vous renvoie à la théorie narrative Dramatica.

Les premiers indices n’apparaîtront pas au début de l’intrigue parce que les solutions les plus simples ne sont pas toujours les meilleures. Lorsque le protagoniste aura compris cela, des informations lui seront données ainsi qu’au lecteur pour que tous deux commencent à faire des connexions entre ces indices.

Et comme un indice pointe vers un autre indice, la vérité se révèle progressivement. Puisque nous avons les informations indispensables dispensées au cours du premier acte (les personnages de l’histoire, la nature du crime et la volonté du protagoniste de résoudre le problème), l’intrigue peut nous mener à la poursuite des indices.

Une participation active du lecteur dans l’intrigue

Le lecteur éprouve des suspicions envers tel ou tel personnage. Il lui est même possible d’inférer les motivations qui auraient pu pousser un personnage à commettre le crime (ce peut être n’importe quel crime : meurtre, duplicité, escroquerie…).
Le lecteur peut même aller plus loin que juger : il peut accuser.

Il est donc logique de lui fournir de bonnes informations pour qu’il puisse atteindre ses propres conclusions. Et s’il a mal interprété les indices, il sera malgré tout satisfait. Il faut simplement que ces indices ne soient pas si évidents qu’il puisse résoudre le mystère immédiatement.

Les informations devraient être savamment données presqu’en arrière-plan comme si elles appartenaient vraiment à la scène où elles apparaissent. Si l’indice est évident, vous privez le lecteur du plaisir de les découvrir de lui-même.
Vous devez réfléchir en écrivant une scène dans laquelle figurera une information concernant l’énigme à comment la camoufler au mieux. Elle ne doit pas ressortir de manière flagrante. Elle se noie dans l’environnement.
Je vous conseille la lecture de cet article pour un exemple :
TOUT EST LIE DANS UN SCENARIO

Il est nécessaire de créer un environnement spécifique et naturel qui contiendra l’objet ou le personnage et l’information que vous voulez présenter. Le lecteur notera cette information mais de manière passive. Elle ne devra pas provoquer un éclair d’illumination.

En conclusion
  1. Ne sous-estimez pas la capacité de votre lecteur à résoudre l’énigme en lui donnant des informations trop évidentes dans l’intrigue. Gardez à l’esprit que le lecteur cherche à résoudre le problème avant le protagoniste.
  2. Créez un conflit entre ce qui se passe vraiment et ce qu’il semble s’être passé. Dans ce genre d’histoire, les choses ne sont jamais ce qu’elles paraissent.
  3. Agencez vos scènes de façon qu’un indice soit présent mais dissimulé. Le lecteur ne devrait pas comprendre immédiatement la signification de sa présence dans la scène. L’indice est posé là, en pleine vue, sans être incongru pour ne pas retenir toute l’attention du lecteur.
  4. Placez toutes les données du problème dans l’acte Un. Le problème est ainsi déjà construit lorsque le héros de votre histoire s’engage dans l’intrigue. Dès l’acte Deux, aucun élément nouveau ne viendra s’ajouter au problème. L’objectif du protagoniste ne sera pas adultéré par le développement de l’intrigue.
  5. L’acte Deux précisément sera tout dédié à mettre en place les relations qui existent entre les personnages, les lieux et les événements. C’est la perception globale de ces relations à la fois pour le protagoniste et pour le lecteur qui fait tout l’intérêt de l’intrigue.
  6. Dans l’acte Trois, la solution de l’énigme est donnée. Les motivations du coupable sont dévoilées et la véritable séquence des événements est révélée (c’est la vérité de ce qui s’est vraiment passé en contraste avec ce qui semble s’être passé).