L’archétype de l’ombre représente une énergie. Celle du côté sombre de quelque chose, de ce qui n’est pas exprimé ou qui n’est pas réalisé. Ce peut être aussi ce qui est refoulé.
Dans notre monde intérieur, ce peut être cet aspect monstrueux de nous-mêmes que nous refusons de voir.
Il y a des aspects en nous que nous n’aimons pas. De sombres secrets que nous ne voulons pas admettre. Mais même refoulés, ces aspects sont tapis et ne cessent de rôder. Admettons que ce lieu où ils résident soit notre inconscient.
Il peut être intéressant de noter que ces aspects les plus sombres de nous-mêmes masquent de leurs présences des attributs positifs qui ne peuvent se révéler ou bien que nous avons nous-mêmes enfouis pour diverses raisons.
L’antagonisme comme ombre
Dans les histoires, c’est souvent l’antagoniste qui incarne cette face négative. Que cet antagoniste soit destructeur ou simplement qu’il souhaite la défaite du héros, il excelle dans la représentation de l’ombre comme reflet de ce qu’il y a de plus sombre chez le héros.
Indiana Jones et Belloq ne sont pas véritablement ennemis. Belloq renvoie l’image de Indiana. Mais une image négative.
Autrement, l’antagoniste n’est pas forcément hostile envers le héros. Il peut être simplement un personnage qui poursuit le même objectif que le protagoniste mais qui ne s’accorde pas avec lui sur la meilleure manière pour l’obtenir.
Les sentiments que nous réprouvons sont puissants. Ce n’est pas parce qu’ils sont profondément enfouis que leurs effets sont sans conséquence. Un profond trauma ou un sentiment de culpabilité que nous avons relégué dans les ténèbres pour éviter d’en souffrir travaillent au niveau de l’inconscient.
Des émotions que nous dénions peuvent devenir terriblement dévastatrices lorsque les circonstances les rappellent au grand jour.
L’archétype de l’ombre est souvent utilisé pour décrire des troubles psychotiques (aidé en cela parfois par des substances hallucinogènes). Non seulement l’ombre peut nous freiner dans nos vies mais elle peut aussi chercher à nous détruire.
Un habitus altéré
Notre manière d’être générale peut être adultérée par d’anciennes peurs ou des habitudes de vie gouvernées par ces aspects sombres de notre personnalité. Ce peut être des choses que nous avons toujours combattues (sans succès d’ailleurs).
C’est une force interne très puissante qui possède ses propres intérêts et priorités. Et lorsqu’elle surgit à la surface involontairement et que nous devions nous y confronter, cette force peut devenir effectivement très destructrice.
Certains auteurs pourraient vouloir passer par des séquences oniriques montrant des figures cauchemardesques pour donner forme à l’ombre. Ce peut être des monstres, des démons… toutes sortes d’ennemis terrifiants.
L’idée est de défier le héros en lui opposant un adversaire de qualité. En effet, ce dernier sera souvent bien supérieur au protagoniste. Cette supériorité est nécessaire pour autoriser le héros à donner le meilleur de lui-même. Il sera d’ailleurs jeté dans des situations qui présenteront les conditions de sa perte annoncée.
De la qualité de l’antagoniste dépend celle du conflit. Un ennemi puissant forcera le héros à s’élever, à se dépasser pour ne pas succomber.
Selon Christopher Vogler, l’antagoniste est certes tout désigné à incarner l’archétype de l’ombre. Mais celui-ci peut être aussi considéré comme un masque dont peut se recouvrir n’importe quel personnage. Si l’auteur a besoin par exemple de faire ressortir un trait négatif de la personnalité de son héros, il peut alors en recouvrir temporairement un personnage qui gravitent autour de lui et qui en d’autres circonstances serait plutôt un allié.
Un héros paralysé
Doute et culpabilité sont de très grands freins à notre développement personnel. Lorsque nous avons un comportement autodestructeur (et cela survient sans que l’on en soit vraiment conscient) ou bien lorsque des idées de suicide s’emparent de nous (ou de nos personnages), l’ombre est à l’œuvre.
Lorsque nous avons le sentiment d’échouer ou au contraire que nous abusons de notre pouvoir sur autrui, l’ombre est encore à l’œuvre. Si l’égoïsme prévaut au détriment de l’altruisme (ou pour le héros du sacrifice), nul doute que l’archétype de l’ombre a pris le dessus sur nous.
L’archétype de l’ombre est parfaitement apte à nous faire vivre nos horreurs personnelles. L’avantage d’un tel archétype (qui est une fonction dans l’histoire) est qu’il peut se combiner avec d’autres fonctions. Christopher Vogler prend l’exemple de Officier et Gentleman dans lequel le sergent instructeur Foley est à la fois le mentor de Zack qui le guide à travers l’entraînement rigoureux de sa formation d’officier aviateur (presque comme un second père).
Mais il porte aussi le masque de l’ombre qui cherche à expulser Zack du programme car il le considère indigne. Et il le poussera dans ses derniers retranchements jusqu’à presque le tuer pour tirer le meilleur que puisse donner Zack.
Une relation similaire existe entre Hannibal Lecter et Clarice Starling. Lecter est d’abord une ombre, une projection du côté le plus sombre de la nature humaine. Mais il fonctionne aussi comme un mentor pour Clarice.
L’archétype de l’ombre (comme le démontre Hannibal Lecter) n’a pas à être nécessairement mauvais. Il serait même préférable de l’humaniser, de lui donner une touche de bonté ou une qualité qui force l’admiration.
Un archétype complexe
L’aspect sinistre du personnage sera renforcé par une qualité même simple comme un amour pour les chats, par exemple. La théorie narrative Dramatica considère ainsi des personnages fondés sur des traits de personnalité appartenant logiquement à des archétypes différents. Et que ces attributs soient positifs ou négatifs.
Un personnage élaboré à partir de l’archétype de l’ombre peut être vu aussi comme quelqu’un de vulnérable, de fragile. Il peut être intéressant de le montrer avec des émotions et des faiblesses. Ainsi, pour le héros, c’est à un choix moral qu’il devra se confronter plutôt que d’éradiquer une force ennemie. Au-delà de l’entité, il y a l’humain.
Ne perdez pas de vue non plus qu’un antagoniste ne se considère pas ainsi. C’est un point de vue objectif que le lecteur et le héros (ainsi que ceux qui sont avec lui) porte sur le méchant de l’histoire.
Subjectivement, l’antagoniste est convaincu que sa cause est juste et il est autant déterminé que le héros à mener son objectif au bout.
L’antagoniste est quelqu’un qui croit sincèrement que ce qu’il fait est juste voire moral. Et pour lui, la fin justifie les moyens.
L’ombre dans la psyché d’un individu peut être tout ce qui a été refoulé ou considéré sans importance ou oublié même. Sous certaines circonstances cependant, une colère ou une souffrance dont on se serait protégé peuvent frapper lourdement et déstabiliser. Il y a énormément de choses que nous enfouissons dans l’ombre. Et elles n’attendent que le moment où elles pourront revenir à la conscience.