Deuxième film de l'année pour Ridley Scott dans sa cadence de tournage infernale contemporaine. Si son apport dans l'histoire du cinéma n'est plus à présenter, il se comporte toujours comme un jeune réalisateur qui a encore tout à prouver, ce qui fait de lui, encore et toujours, un des cinéastes les plus fascinants du cinéma contemporain (et ce n'est pas le déchaînement de passions qu'il entraîne à chaque sortie qui me contredira). Inutile d'y revenir outre-mesure, All the Money in the World a déjà bien fait parler de lui ces derniers mois... Qu'en est-il du film ?
Rome, 1973. John Paul Getty III, petit-fils du magnat du pétrole John Paul Getty présenté comme l'homme le plus riche du monde, flâne dans les rues de la capitale Italienne. L'insouciance de la vie princière est alors rattrapée par l'enlèvement du jeune homme, brutal et soudain. " Pour que nous comprenons ce que nous sommes sur le point de voir ", le film dresse alors le portrait, à travers les décennies, de la famille Getty qui ne gravite qu'autour du grand-père et, dès lors, commence à développer sa thèse centrale : la corruption, la déshumanisation de l'être par l'argent. Ridley Scott se place ainsi très vite comme un moraliste qui observe la décadence de classe qu'entraîne le Saint-Argent comme un Tacite au temps de l'Empire. La famille de " L'Ancien ", plus modeste et quelque peu délaissé par celui-ci, désirant croquer une part du gâteau fait appel à sa générosité. Alors que John Paul Getty est d'abord filmé par Scott avec une certaine fascination, un empereur qui a bâti son empire à travers les années, son fils qui d'un seul coup, se retrouve avec un poste de vice-président et une fortune dans les bras ne sera, désormais, jamais montré autrement que corrompu par la drogue (l'argent).
John Paul Getty, quant à lui, est associé à Hadrien, un empereur qui est, comme lui, féru d'arts. Sa fortune est consacrée à l'achat et la collection de peinture. Lui qui a bâti sa fortune au fil des âges, a appris à apprécier l'art. Et c'est là qu'on retrouve un certain paradoxe chez Ridley Scott qui n'a cessé au cours de sa carrière de dresser un portrait critique des puissants tout en développant une fascination autour d'eux et particulièrement de leur habitat. En effet, le château Getty est magnifié, montré presque comme un immense labyrinthe où les personnages se perdent au fil des longs couloirs accentués par la profondeur de champ et décorés par une quantité innombrable de peintures et sculptures. Mais ici le faste permet, paradoxalement, de révéler la dimension humaine du film : comme le dit Fletcher Chase, John Paul Getty est une ordure qui se cache derrière le luxe, l'art et la fortune. Car All the Money in the World est un film profondément humain : le combat d'une mère pour retrouver son fils qui combat, non pas les ravisseurs, mais l'Empire familial inhumain. A l'image du château de Getty, le parcours pour retrouver son fils sera labyrinthique comme le symbolise la statuette du Minotaure que J.P Getty offre à son petit-fils ainsi que l'enquête et la démarche pour obtenir l'argent qui deviennent exaspérante au fur et à mesure du film. Sans oublier, bien sûr, la séquence de fuite, à la fin du film, du jeune homme dans les rues labyrinthique de Rome. Le fils étant, enfin, dans les bras de sa mère, John Paul Getty contemple le tableau de la Vierge et l'Enfant dans une séquence formellement sidérante.
Malgré le chaos qu'a entrainé l'affaire Spacey, All the Money in the World est une belle réussite, plastiquement majestueux et thématiquement passionnant où la superbe musique de Daniel Pemberton enchante le tout. Un film qui ne cesse de chercher l'humanité (qu'on retrouve particulièrement d'ailleurs chez Cinquanta, le malfaiteur interprété par Romain Duris) à travers la galaxie Getty, un monde majestueux mais pourri de l'intérieur. Ce qui fait d' All the Money in the World un pur film de Ridley Scott.
Rémi Schotter