Le conflit est dramatique & réciproquement

Par William Potillion @scenarmag

L’humanité n’a de cesse de se raconter des histoires. D’abord orales, elles furent tissées par la magie des mots en un tissu culturel et mythologique. Aristote et Shakespeare ont affiné l’art de raconter et l’ont codifié en comédies et tragédies.

Les histoires devinrent plus engageantes sous une forme connue comme dramatique. Cette forme particulière peut être comprise comme deux opposants qui luttent pour un but commun et glorieux : la victoire.
Dans un combat de lutte, les adversaires sont ce que leur culture a de mieux à offrir. Ils représentent les valeurs édifiantes de force et de courage que la société considère importantes. La seule inconnue qui soit est qui va l’emporter.

Mais cette lutte n’est pas suffisante pour donner un aspect dramatique à l’affaire. Il faut pour cela qu’il y ait une force quelconque qui incite l’un ou l’autre des participants à cette lutte ou bien parmi ceux qui assistent au spectacle à changer. Quelque soit l’issue de la lutte, nos vies devraient être différentes à la fin de celle-ci.

Perdre ou gagner : une question de valeur

L’aspect dramatique d’une histoire s’ajoute lorsque l’éthique intervient. Lorsqu’il y a une valeur attachée au fait de perdre ou de gagner. Maintenant si chacun des participants à la lutte représente chacun un système de valeurs. qui les identifie comme l’un étant le bien et l’autre le mal, le lecteur reconnaîtra les valeurs de bien parce qu’il les partage.

Il jugera alors l’autre système comme étant mal parce qu’il met en œuvre des règles et des comportements qu’il n’accepte pas et qui ne peuvent coexister avec son propre système de règles et de comportements.

Pour que le changement soit pertinent (en admettant l’hypothèse que l’histoire bien contée a une influence sur le lecteur), il faut que l’auteur soit parvenu à établir un lien entre le lecteur et son personnage principal. Si celui-ci remporte la lutte, on peut admettre que le lecteur en tirera un aspect positif qu’il pourra appliquer dans sa vie.

Si l’auteur a choisi de rendre vainqueur le soi-disant méchant de l’histoire, l’impact sur le lecteur sera défavorable mais il en tirera aussi quelque chose qui changera son point de vue sur le monde.
L’intention de l’auteur est que le lecteur s’investisse dans son histoire par le changement possible que celle-ci est capable de provoquer à travers ses personnages. En somme, ce qui est en jeu pour le personnage principal est aussi un enjeu pour le lecteur.

Une fiction dramatique, c’est à propos de quelqu’un qui agit contre quelqu’un d’autre. Mais pour être dramatique, cette fiction ne peut être une simple opposition. Le conflit doit résulter en une transition significative dans la vie des participants. C’est-à-dire les personnages mais aussi le lecteur qui par l’alchimie dramatique participe à l’histoire.

Une série d’événements n’est pas dramatique…

s’il n’y a pas une possible causalité. Au même titre que les qualités ou attributs qui aident à définir les choses, il est important que le lecteur comprenne ce qui se passe et qu’à cause d’autre chose, cela s’est produit.
On peut considérer que la fonction dramatique d’une œuvre de fiction se fonde en partie sur une structure de cause à effet qui permet au lecteur de se référer à un modèle pour donner du sens à l’histoire (et d’ailleurs pourquoi pas à la vie ?).

Bien sûr, une fiction n’est pas la vie. Elle recopie la vie cependant. Mais si elle ne se contentait que de cela, il n’y aurait pas non plus de fiction. Car la vie est ordinaire. Le quotidien est lui aussi une succession d’événements qui se répète inlassablement jour après jour sans véritable ou du moins satisfaisante résolution.
On se lève tous les matins, on répète les mêmes gestes et on ne cherche plus à leur donner du sens.

Naturellement, nous connaissons tous des hauts et des bas, des moments exceptionnels, excitants ou décevants. Mais le plus gros de notre vie est déjà inscrit sur un tableau de service que nous suivons scrupuleusement et dont les événements ont plus ou moins la même signification.

La fonction dramatique condense la vie pour en extraire l’essence. Elle la presse pour en extraire la quintessence. Et c’est par le conflit qu’elle y parvient le mieux. C’est dans le conflit (dans la séquence des événements qui illustre ce conflit) que la réussite ou l’échec d’une transition marquante dans la vie peut s’exprimer.

Dans Rocky, ce n’est pas l’histoire d’un boxeur qui nous est contée mais comment un homme parvient à changer en trouvant la force de poursuivre un rêve. Dans Des gens comme les autres de Alvin Sargent, ce qui nous est conté, c’est la relation entre Conrad et sa mère et les conséquences de la dialectique de cette relation sur tout l’entourage de Conrad.
Rain man explique comment Charlie a radicalement changé sa relation aux autres au contact d’une seule personne, son frère.

L’histoire d’un changement

Un auteur de fiction doit s’emparer d’événements de la réalité (du moins qui en donnent l’apparence) et les réarranger en une séquence avec l’intention exacte de raconter l’histoire d’un changement.
Concrètement, il manipule le temps (en le compressant habituellement) et tire des événements dont il a pu s’inspirer dans la réalité la substance (ou l’essence) qui serviront son propos.

L’auteur part de détails ou de particularités de la vie pour s’exprimer. Il tente de toucher la sensibilité de son lecteur en faisant vibrer des cordes qui présentent une certaine universalité car il ne pourrait pas de toutes façons  parler en termes généraux.
Vouloir exprimer l’universalité, c’est mentir et les mots sont bien insuffisants pour parler au plus grand nombre sauf dans une intention de propagande.

Or une histoire n’est pas de la propagande. Ainsi, l’auteur se saisit des détails pour lui permettre de donner son point de vue, de délivrer son message avec non pas des mots qui reflètent bien maladroitement sa pensée, mais par des événements, des situations, des circonstances, des attitudes, comportements et postures.

Pour exprimer le changement (l’essence dramatique), un auteur peut donc compresser le temps afin de cibler précisément la durée d’un changement significatif. Le risque est grand de se perdre car on a tendance assez souvent à illustrer des événements dont le lecteur n’a pas réellement besoin. Et cela allonge inutilement la durée nécessaire à la description du changement.

La durée qui englobe le changement est constituée seulement des événements qui ont une relation directe et immédiate avec ce changement. De même, seuls les événements qui impactent ce dont parle l’histoire sont à retenir. Et ce dont parle l’histoire (au risque de me répéter) est un changement. Et celui-ci est classiquement relayé par le personnage principal.