Cher Richard Linklater,
Cela fait un moment déjà que je mûris cette lettre. Cela n’a pas été facile. J’ai tant à te dire. Par où commencer… d’abord, il faut que je sois honnête, je n’ai pas encore vu tous tes films. Pour autant, j’ai le sentiment d’avoir percé ce qui me plaît tant dans ton cinéma. Le premier mot qui me vient, c’est « lucidité », celle de tes personnages notamment. Tous ont une vision du monde extrêmement libre et complexe, qu’elle soit verbalisée ou simplement ressentie. C’est cela que j’aime avec eux, ce mélange d’instinct et de réflexion. Leurs paroles dépassent bien souvent leurs pensées, et c’est justement quand ils acceptent leur incapacité à comprendre et à contrôler leur existence, que le silence reprend ses droits et qu’un regard suffit à exprimer leur humilité tout autant que leur mélancolie face au monde.
L’exemple le plus marquant est sans doute celui de la trilogie des Before, qui reste un sommet dans mon parcours de cinéphile. Suivre ce couple, formidablement campé par Julie Delpy et Ethan Hawke, toujours au bord de la rupture ou de la réconciliation, est fascinant. Le degré de justesse, de réalisme de leur relation, me sidère, et ta mise en scène, essentiellement en plans-séquence, cristallise cette impression. L’autre donnée qui me bouleverse est cette question du temps qui passe, éloigne et rapproche, crée et détruit. Boyhood est à ce titre ton plus grand accomplissement. Quel défi ! Tourner et mobiliser les acteurs sur douze ans, à intervalles réguliers, cela relève d’une confiance et d’une ambition folles. Voir grandir ce jeune garçon, de l’enfance au seuil de l’âge adulte, au rythme du film, au rythme de la vie surtout, est une expérience inoubliable.
C’est aussi la dimension chorale de ton cinéma qui me touche, comme dans Everybody Wants Some. Il y a toujours ce moment où les personnages réalisent qu’ils sont connectés les uns avec les autres, qu’ils s’épanouissent ensemble et non séparément, dans un esprit de franche camaraderie. On voudrait immortaliser ces scènes de liesse collective, ce présent qui appartient déjà au passé, mais il faut toujours aller de l’avant. La notion de mémoire prend alors tout son sens. Mémoire que l’on retrouve au coeur de Waking Life, objet totalement expérimental et génial, mais également dans ton dernier Last Flag Flying, que je compte découvrir dès que possible. En tout cas, je continuerai à chérir encore longtemps tes personnages et ton aptitude à les rendre immédiatement attachants, profonds, humains.
Le Cinéphile Intrépide.