Dans l’article précédent, nous avons abordé les cinq premiers points d’une structure dramatique. Nous avons scindé l’intrigue (l’acte Deux) en deux parties.
Parmi les différentes lignes dramatiques qui composent une histoire figurent l’arc dramatique du personnage principal, c’est-à-dire son évolution, sa transformation progressive.
Il s’avère que la première partie de l’acte Deux est un bon endroit pour marquer les étapes qui appartiennent à la structure de cet arc dramatique.
Le développement d’un personnage surtout lorsqu’il s’agit du protagoniste sert à combler les attentes du lecteur. Il est utile qu’au cours de la première partie de l’intrigue (avant le point médian) apparaissent quatre aspects de ce développement.
L’arc dramatique du personnage principal
Il y a un principe à l’œuvre chez un personnage. Lorsqu’il est le héros, il est marqué d’une blessure qui constitue tout son être actuel et pour ne pas en souffrir, il masque ce trauma. Il offre aux autres une image de lui-même qui n’est pas lui.
Pour ce faire, il se ment à lui-même. Comme s’il se disait que tout va bien, mais à l’intérieur de lui, il existe un profond malaise.
Le personnage est inconfortable avec sa vie actuelle. Et il pourrait même ne pas en être conscient. La première partie de l’intrigue va donc devoir lui fournir les moyens pour surmonter cette faiblesse qui a occulté sa véritable nature depuis tant d’années.
1) Fournir au personnage les moyens d’intégrer son trauma
A l’articulation entre l’acte Un et l’acte Deux, le personnage principal pénètre dans un monde qu’il ne connaît pas. Malgré toutes les expériences qu’il a pu connaître jusqu’à présent, il est dans un état de vulnérabilité.
C’est-à-dire de transparence. L’image qu’il renvoie aux autres n’est plus opaque. Ainsi, il est prêt à recevoir de l’aide pour surmonter le mensonge qu’il se fait à lui-même sur la signification actuelle qu’il donne à sa vie.
Au début de l’intrigue, le personnage principal est dans l’erreur. Son point de vue sur le monde est faussé. Pour atteindre à sa vérité, le voile qui recouvre le regard qu’il se donne de lui-même à lui-même ne sera pas arraché d’un seul coup.
La découverte de la véritable nature du personnage (qu’il aspire à être) doit être progressive. D’abord, il doit prendre conscience qu’il peut être quelqu’un d’autre. Il ne peut cependant arriver seul à cette conclusion.
C’est à ce moment qu’un personnage qui répond aux codes archétypaux du mentor ou du Gardien (selon la terminologie de la théorie narrative Dramatica) peut apporter au héros l’information qui lui permettra cette prise de conscience initiale.
Au cours de cette première partie de l’intrigue, le héros va donc apprendre les rudiments du monde qu’il s’apprête à explorer et qui lui réservera bien des surprises.
La finalité de cet enseignement dans le cadre d’une œuvre dramatique est de préparer le protagoniste à affronter la force antagoniste dans l’ultime rencontre entre eux deux que l’on dénomme le climax.
Avant cette dernière confrontation, cependant, si le héros ne s’est pas révélé à lui-même au préalable, la chose sera beaucoup moins intéressante pour le lecteur. Il est logique que le héros se donne toutes les chances de vaincre son adversaire même si l’affaire n’est pas gagnée d’avance.
Ce qu’il doit vaincre d’abord, c’est la faiblesse qui le caractérise. Supposons que votre héros soit un homme pressé qui ne prend pas le temps d’accorder quelques attentions à ses proches.
C’est sa faiblesse parce qu’il court après un but qui ne le mènera nulle part. S’il prenait le temps de se poser, peut-être comprendrait-il que les réponses qu’il cherche sont auprès de sa femme et de ses enfants. Alors que sa posture actuelle ne fait que les éloigner de lui.
Il lui faut donc comprendre que ce qui est important ne serait pas par exemple sa carrière qui lui apporterait une assise sociale dont il croit à tort que cela profitera à sa famille.
Il doit comprendre que la vie de famille est plus importante que la réussite sociale. Cela ne peut être dit par un autre personnage parce que ce ne serait pas une preuve suffisante. Il faut démontrer au héros par l’action (donc lui donner des opportunités) de saisir cette vérité.
Il faut se méfier du langage. Les mots que vous allez employer dans votre scénario doivent évoquer des images dans l’esprit du lecteur. L’auteur doit donc suggérer. Mais cette suggestion fait appel à des souvenirs et des expériences qu’il a vécus. Et qu’il tente de représenter dans l’esprit du lecteur.
Le mot doit donc décrire des situations avec des comportements, des actions auxquelles le lecteur peut assister. Le mot ne doit pas décrire une attitude mentale qui risque de ne pas être perçue par le lecteur. En lui montrant les choses, il peut ainsi comprendre la révélation qui se passe à l’intérieur de la tête du personnage (puisque dans un scénario, le lecteur ne pénètre pas dans l’esprit des personnages).
2) Montrer les difficultés que rencontrent le héros alors qu’il est encore dans l’erreur
Lorsque débute l’acte Deux, le monde a changé. Mais le héros est encore retenu dans le passé. Son présent n’est que le passé. Pour évoluer, donc pour se projeter dans le futur (et si possible un avenir meilleur), il doit faire l’expérience que ses vieilles habitudes de vie ne fonctionnent plus.
Alors que le mensonge qui réglait sa vie auparavant semblait lui permettre apparemment d’obtenir ce qu’il voulait de celle-ci, ce même mensonge maintenant entrave sa route. Remémorons-nous qu’il s’est fixé un objectif. Ses expériences passées bien plus que l’antagoniste sont le principal obstacle qui l’empêche de l’atteindre.
Cet obstacle ne lui permet pas non seulement de réussir le but qu’il s’est fixé mais aussi de combler ce besoin qui lui manque tant pour s’accomplir pleinement dans sa vie. Il ne réalise tout simplement pas encore ce qui se passe. Il nie son problème et s’étonne de ne pas avancer.
Progressivement, cependant, il va changer de stratégie. Il n’a peut-être pas encore reconnu ce mensonge qui le pousse à l’échec, mais il commence à prendre la mesure de ceux-ci. Et il adapte son comportement en conséquence.
Puisque les traits de sa personnalité d’avant (des actions et des attitudes fondées sur le mensonge) rendent ses situations de plus en plus difficiles, il va donc considérer une méthode différente . Cette prise de conscience aura lieu vers le point médian de l’histoire.
On peut prendre exemple sur Thor qui une fois banni sur terre a appliqué tout naturellement ses vieilles habitudes d’immortel arrogant pour asseoir son autorité. Et aucune d’entre elles n’a fonctionné. Elles lui ont au contraire rendu la tâche bien plus difficile.
3) Rapprocher le héros de son désir mais l’éloigner de son besoin
On sait que le héros est fermement décidé à réussir l’objectif qu’il s’est fixé. Il s’est convaincu qu’il va pouvoir résoudre tous ses problèmes.
Ce qu’il ne réalise pas cependant est que cette résolution dont il fait admirablement preuve dans l’obtention de son désir l’éloigne de plus en plus de ce qu’il a vraiment besoin.
Le besoin est quelque chose d’intérieur. C’est une nécessité. C’est une condition du bonheur. En poursuivant son objectif (le désir), il réfute son besoin.
Cependant, nier le besoin n’empêche pas de progresser. L’objectif est possible. Par exemple, dans Sale môme de Audrey Wells, Russel semble s’être débarrassé de lui-même enfant. C’est son objectif mais il refuse de voir qu’il a pourtant besoin de cet enfant pour donner un sens à sa vie.
Plus précisément, le personnage principal est hanté par un conflit intérieur. En refusant de faire face à ce conflit, il s’aveugle sur sa véritable nature. C’est comme si le désir superficiel l’entraînait vers sa propre destruction.
Et il pourrait obtenir ce qu’il veut mais ce ne sera pas un triomphe. Car s’il perd son combat intime, il est perdu.
Prenons comme un exemple quelques aventuriers à la recherche d’un trésor. Il le découvre dans un village de gens simples. Mais le village est aussi la proie de prédateurs redoutables.
S’ils prennent le trésor et laissent le village à la merci des tueurs, ils ne seront pas meilleurs que ceux-ci. Ainsi, ils auront obtenu ce qu’ils voulaient. Ils auront mis la main sur le trésor convoité.
Mais le besoin d’être digne, de risquer leurs vies pour autrui qu’ils n’ont pas su combler jusqu’à présent ne sera toujours pas combler. Ils seront aussi misérables qu’au début de l’histoire. Ce peut être une leçon de morale car un lecteur a toujours beaucoup à apprendre d’une histoire bien contée.
Celle-ci néanmoins sera plus satisfaisante si le véritable triomphe se trouve dans l’accomplissement personnel.
4) Donner au personnage un aperçu de sa véritable nature
La première partie de l’acte Deux devrait aussi permettre au héros d’entrevoir ce que sa vie deviendrait s’il acceptait d’être davantage en harmonie avec son moi profond.
Il est possible qu’il aperçoive cette vie par les actions et les attitudes d’autres personnages ou bien encore, les circonstances peuvent l’amener soudain à se dévoiler temporairement et lui permettre ainsi de goûter ce que serait sa vie sans qu’il se réfugie derrière un mensonge.
Il faut bien comprendre que la vie du personnage principal doit devenir meilleure. C’est la récompense qu’il reçoit pour avoir fourni l’effort de reconnaître que jusqu’à présent il se mentait à lui-même. Ses tribulations au cours de l’intrigue ont permis d’aboutir en fin de compte à une révélation.
Cette illumination ouvre un équilibre de vie nouveau et bien plus en accord avec qui il est vraiment.
En ce début d’intrigue, cependant, le héros n’est pas encore prêt à changer. C’est bien trop tôt. Il n’a pas encore assez souffert. Il n’est pas encore totalement convaincu que son passé l’a orienté vers un présent qui n’est pas lui.
Le futur qu’il envisage n’est qu’une continuité du passé. Son aventure va lui permettre de réécrire son présent afin que celui-ci possède enfin en lui le germe d’une vie future et meilleure.
Nous continuerons l’étude des étapes de la structure dans le prochain article.