Comment filmer un drame de la vie quotidienne à la manière d'un thriller sans que cela soit déplacé moralement ? Xavier Legrand apporte une réponse bienvenue avec Jusqu'à la garde, premier temps fort du cinéma français que nous ne sommes pas prêt d'oublier.
S'ouvrant sur une séance chez une juge aux affaires familiales, Jusqu'à la garde commence par nous présenter de manière factuelle la situation initiale : Un couple se sépare, l'un de leurs enfants fait sa déposition par peur de retrouver son père suite à des accusations de violence. La caméra est au même rang que la juge, elle est neutre et écoute les déclarations de la plaignante et de l'accusé. Le film présente donc ce divorce avec ambiguïté quant aux accusations graves de violences conjugales tout en laissant placer le doute.
Cette séance finie, le masque tombe. La famille est définitivement terrifiée d'Antoine, père de famille ravagé par des explosions de violence. Profitant de ses jours de garde le week-end, il tentera vainement de conserver le contrôle sur ce qu'il a perdu. Issu d'une famille respectant des traditions sur la chasse, il guettera sans relâche les moindres déplacements de son ex-femme et ses enfants. Quitte à terroriser Julien, jeune homme pris en otage entre la détresse de sa mère et la tyrannie de son père.
D'une situation insidieuse, vécue au quotidien par de nombreuses victimes dans le monde, Xavier Legrand va redouter d'ingéniosité pour placer sa mécanique de thriller avec une mise-en-scène ne tombant jamais dans la facilité. Privilégiant le hors-champ afin de laisser place à une imagination redoutable, le film terrifie dans sa façon à travailler le son. Comme si la présence du père-bourreau perdurait malgré son absence ou son silence, nous faisant frémir à l'anticipation de ses actions. Une anticipation toujours mise à l'épreuve par le biais de plans-séquences impressionnants dans leurs espaces où tout peut surgir à n'importe quel instant (incroyable plan en plein d'anniversaire où malgré l'étouffement des voix par la musique, la compréhension de la lecture d'un SMS rend la fête particulièrement tendue).
Ce mécanisme instauré par Legrand, celui du thriller donc, invite forcément à envisager une issue de terreur fatidique pour son final. Un climax éprouvant où les larmes et la sueur explosent dans un final obscur mais auquel le réalisateur y place un suspens haletant et imprévisible.
Jusqu'à la garde sonne comme un cri d'alerte important sur l'emprise des violences conjugales. Interprété par un trio d'acteurs bouleversant, le réalisateur profite de son médium pour faire ressentir son alerte le plus intensément possible aux spectateurs. Il laisse ainsi une boule au ventre se traînant continuellement afin d'exploser à sa fin. Un film qui présente la terreur humaine dans sa banalité la plus terrifiante. Incroyable.
Victor Van De Kadsye