Après avoir été remarquée avec "Sweetie" (1989) et "Un Ange à ma Table" (1990), la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion signe son chef d'oeuvre qui va faire d'elle la première femme, et toujours l'unique aujourd'hui, à être lauréate de la Palme d'Or... Une histoire imaginée, écrite et réalisée par elle-même d'après un scénario qu'elle a mis 6 ans à peaufiner en s'inspirant énormément des grands classiques de la littérature romantique du 19ème siècle. Où comment, en partant du triangle amoureux classique mari-femme-amant, Jane Campion en a tiré un drame romanesque passionné teinté d'un érotisme à la fois moderne et sensuel. On suit donc une femme muette, Ada, une fille mère accompagnée de sa fille de 10 ans Flora, qui part aux antipodes jusqu'en Nouvelle-Zélande pour se marier avec un homme qu'elle ne connait pas. Un voyage dangereux tout d'abord et qui va la priver de son piano, seul échappatoire à son silence...
Ada, mélomane muette et solitaire, est jouée par Holly Hunter, jusque là peu connue et déjà vue dans "Arizona Junior" (1987) des frères Coen et "Always" (1989) de Steven Spielberg. Sa fille Flora est incarnée par la jeune Anna Paquin, révélation merveilleuse qui sera plus tard Malicia dans la saga (2000-2014). Son époux est interprété par Sam Neill qui vit alors son année la plus faste de sa carrière en ajoutant un monument qui suivra avec "Jurassic Park" (1993) de Steven Spielberg. Et enfin l'amant, qui est joué par l'excellent Harvey Keitel qui, après des années 80 plutôt discrètes, revenait en force avec des films comme "Reservoir Dogs" (1992) de Tarantino et "Bad Lieutenant" (1992) de Abel Ferrara. A noter qu'une grande partie du casting "maorie" se reverra dans les films "Rapa Nui" (1994) de Kevin Reynolds et "L'Âme des Guerriers" (1994) de Lee Tamahori... Après un prologue court le film débute réellement avec l'arrivée de Ada et sa fille sur la plage : en seulement quelques minutes la cinéaste impose plusieurs indices ; une terre sauvage et inhospitalière symptomatique d'un futur époux qui n'est autre que la quintessence du patriarche de son époque, qui a tous les droits, même celui de priver sa promise de son piano. Le piano : élément central et essentiel, il est ce par quoi passe le bonheur pour Ada mais sera également ce par quoi arrivera son malheur. Un piano qu'elle pourra bientôt se réapproprier par le biais de Baines, ami et voisin de son époux, homme rustre qui a adopté les us et coutumes des maoris.
Dans un sens on est dans la logique du roman "Lady Chatterley et l'homme des bois" (1927) de D.H. Lawrence et dont l'adaptation la plus récente est "Lady Chatterley" (2006) de Pascale Ferran... Ici, le garde chasse devient donc ce voisin un peu rude et sauvage. Sam Neill est un époux bafoué parfait mais ce sont bien la femme et son amant qui portent le film grâce aux performances sublimes de Holly Hunter (habitée, mutique et déchirante) et Harvey Keitel (maori blanc empreint d'une sensualité inattendue). Holly Hunter a assumé également la musique en jouant elle-même du piano, une musique envoûtante devenue culte parmi les plus belle du cinéma signée du compositeur Michael Nyman. La jeune Anna Paquin interprète la chanson. Les décors sont particulièrement soignés, montrant ainsi la dureté du climat comme de la nature environnante qui accentue la solitude de Ada. Résultat : un chef d'oeuvre bouleversant qui s'est vu agrémenté d'une interdiction dite "R" interdisant les mineurs non-accompagnés. Pour l'anecdote, la jeune comédienne Anna Paquin ne pouvait donc voir son propre film ! Si l'érotisme est un facteur de censure évident (quoique sévère) il faut aussi noter une violence qui atteint un sommet déchirant lors d'une séquence qui remuera les plus solides. Jane Campion offre un drame romanesque de toute beauté, teinté d'un romantisme jamais sirupeux ou niaiseux, avec une pudeur omniprésente et malgré tout sensuelle. Multi-primé ce film est oscarisé notamment pour ses deux interprètes féminines (Anna Paquin étant alors la 2ème plus jeune lauréate du trophée après Tatum O'Neal pour "La Barbe à Papa" en 1974), mais le film se fait ravir celui du meilleur film par "La Liste de Schindler" de Spielberg... Néanmoins il y a évidence, "La Leçon de Piano" est un film magnifique, tragique même s'il n'est pas dénué d'un joli message d'espoir.
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