[Berlinale 2018] “Unsane” de Steven Soderbergh

UnsaneC’est fou tout ce qu’on peut faire avec un smartphone de nos jours. On peut même réaliser intégralement un long-métrage avec une qualité d’image et de son quasi-parfaite, sans avoir besoin d’une grande équipe technique. Prenez pour exemple Unsane, le nouveau film de Steven Soderbergh, présenté à la Berlinale. Il a été réalisé entièrement avec un smartphone frappé d’un logo en forme de pomme, et pourtant, il n’y a pas grande différence avec un film tourné en caméra numérique, si ce n’est une image un peu plus granuleuse – et encore, la qualité est saisissante, même dans les ambiances nocturnes ou les endroits sombres – et une impression de profondeur de champ altérée, qui colle parfaitement au sujet du film, la folie.

L’intrigue suit Sawyer (Claire Foy) une jeune femme qui vient d’emménager dans une nouvelle ville afin de fuir David Strine, un amoureux transi qui la harcelait incessamment, la suivait partout et saturait son téléphone de SMS.
Loin de sa famille et de ses amis, elle tente de se reconstruire en s’investissant dans son travail, mais on sent que quelque chose ne va pas. Sawyer éprouve encore un sentiment d’oppression et un peu de paranoïa, ce qui l’empêche de s’épanouir dans ses relations avec les autres, notamment avec les hommes. Aussi, elle consulte un psychiatre dans une clinique privée, lui confie ses angoisses et ses idées noires. Quand la femme lui demande de signer un formulaire, une simple formalité administrative, elle ne se méfie pas. Et voilà qu’elle se retrouve internée volontaire dans cette maison de fou pour au moins 7 jours! Sawyer a beau protester, menacer la clinique d’un procès, rien n’y fait. Elle a signé les papiers autorisant son internement et les médecins ont seuls le pouvoir de décider si elle constitue un danger pour elle-même et pour les autres. Evidemment, comme elle est obligée de partager sa chambre avec des personnes vraiment dérangées, il y a des accrochages, qui ne font qu’ajouter des éléments défavorables à son dossier. Et évidemment, la police ne prend pas ses appels au secours au sérieux. Pourquoi prêter attention aux protestations d’une malade mentale?

La jeune femme est donc piégée dans cet hôpital psychiatrique où elle n’a pas sa place. A moins que… Car le plus terrifiant, dans ce nid de coucous, c’est cet infirmier qui ressemble, trait pour trait, à celui qu’elle cherche à fuir. Sawyer a-t-elle des hallucinations? Fait-elle un transfert de ses névroses sur le pauvre infirmier? Voit-elle le mâle partout? Ou bien est-ce réellement Strine qui a réussi à la retrouver?
Elle pourrait commencer à remettre en question sa perception de la réalité si un de ses camarades de chambrée ne lui avait expliqué que leur présence dans cette clinique repose sur une escroquerie bien rôdée : Abusant de la confiance et de la crédulité de leurs patients, les psychiatres leur extorquent leur signature autorisant un internement volontaire. Ils ne sortent de là que lorsque l’assurance décide d’arrêter les frais. Alors, comme par magie, les patients sont déclarés guéris et peuvent reprendre une vie normale… Si Sawyer est bien victime de cette magouille, alors la présence de David Strine n’est pas le fruit de son imagination et elle court un grand danger…

Steven Soderbergh signe un thriller bien ficelé et efficace, qui fait lentement monter la tension autour de Sawyer, en jouant sur les failles et les forces du personnage. Même si on aurait aimé qu’il laisse planer planer plus longtemps le doute sur l’état mental réel de l’héroïne, le cinéaste réussit à maintenir du suspense jusqu’à la scène finale, captivant le spectateur.
On ne peut que saluer le travail accompli par Soderbergh, qui a le mérite de ne jamais s’être reposé sur ses lauriers, obtenus à Cannes en même temps que sa Palme d’Or pour son premier long-métrage, Sexe, mensonges et vidéo, et qui a continué à expérimenter toutes les possibilités offertes par le septième art, alternant films art & essai et films de genre, oeuvres pour un public de niche et blockbusters grand public, expériences visuelles et récits narratifs linéaires. Ici, il exploite totalement les possibilités de l’iphone 7, plus léger et maniable qu’une caméra numérique classique, et sur sa profondeur de champ, qui accentue le côté oppressant du récit, et il offre aux festivaliers l’une des scènes les plus incroyables de la Berlinale 2018, faisant ressentir l’état de Sawyer après qu’elle a ingurgité de puissants psychotropes. L’image du personnage se dédouble, se floute, comme si elle essayait de fuir son propre corps. A l’écran, l’effet est saisissant. Décidément, c’est fou ce qu’on peut faire avec un smartphone de nos jours… Mais tout le monde n’a pas le talent de Soderbergh…