Cette année, à la Berlinale, on mange du biopic à toutes les sauces. Entre les biographies d’écrivains célèbres (Oscar Wilde dans The Happy Prince, Astrid Lindgren dans Becoming Astrid, Sergueï Dovlatov dans Dovlatov…) et les Trois jours à Quiberon de Romy Schneider, les spectateurs vont être incollables sur les personnalités des Arts & Lettres. Il ne manque plus qu’un dessinateur pour avoir le compte… Tiens, justement, Don’t worry, he won’t get far on foot, le nouveau long-métrage de Gus Van Sant, s’appuie sur les mémoires de John Callahan, un cartooniste américain au physique amoindri mais à l’esprit tranchant comme une lame.
Le récit est filmé selon une chronologie fragmentaire qui devient plus linéaire au fil des minutes, à mesure que le personnage principal trouve la paix intérieure. Il explique comment John Callahan (Joaquin Phoenix), un jeune homme turbulent et en proie à l’alcoolisme, s’est retrouvé en fauteuil roulant, à moitié paralysé. Après une énième nuit de beuverie, lui et son camarade Dexter (Jack Black) ont eu un grave accident de voiture, et Callahan a été le plus rudement touché, perdant l’usage de ses jambes et partiellement de ses bras. Le scénario explique aussi et surtout comment Callahan a réussi à se reconstruire, grâce au soutien d’un groupe d’alcooliques anonymes et de son leader, Donnie (Jonah Hill, méconnaissable), mais aussi d’une douce infirmière, Annu (Rooney Mara), qui deviendra sa compagne.
Finalement, Callahan a accepté sa condition et réussi à s’en moquer par le biais de dessins humoristiques férocement drôles et politiquement incorrects, mettant en lumière le handicap et les différences de toutes sortes. Son talent n’a pas tardé à être repéré par des patrons de presse et des éditeurs, lui offrant un confort de vie et une chance inespérée de prendre un nouveau départ.
Cette partie-là du film est la plus intéressante. Ce qui fait de John Callahan cet artiste corrosif et provocateur, c’est assurément cette capacité à rire de son propre malheur et la confrontation avec les autres alcooliques anonymes, qui n’ont jamais hésité à le chambrer ou à le secouer quand il se servait de son handicap comme d’une excuse pour ne pas affronter ses problèmes.
Il est dommage, en revanche, que Gus Van Sant insiste autant sur l’abandon de John par sa mère, alors qu’il était enfant, le trauma supposément à l’origine de son alcoolisme, et sur le long processus d’acceptation et de pardon qui en découle. Cela baigne la fin du film dans la morale bien-pensante et le sentimentalisme sirupeux, bien loin du minimalisme trash et iconoclaste des cartoons de Callahan.
Don’t worry, he won’y get far on foot redevient alors un simple biopic, offrant à Joaquin Phoenix l’occasion de cabotiner, en roue libre (en “roux” libre, même). Pire, il prend le risque d’être considéré comme un long spot publicitaire vantant les mérites des Alcooliques Anonymes, où l’apport d’un auteur comme Gus Van Sant est quasi-nul.
Cette oeuvre nous laisse un sentiment mitigé, mais elle permet au moins d’entrevoir un léger mieux du côté du cinéaste américain, qui s’était complètement raté avec son précédent long-métrage, Nos souvenirs, laminé à Cannes en 2015. Sans être un grand film, Don’t worry, he won’t get far on foot se laisse voir avec un certain plaisir et met en lumière le talent de dessinateur de Callahan, cartooniste assez peu connu dans l’hexagone.