Il y a trois ans, Timur Bekmambetov avait produit Unfriended, un petit film d’horreur malin qui reposait exclusivement sur une narration utilisant la vidéo skype et les réseaux sociaux. Pour Profile, construit sur le même principe, mais avec un sujet plus ancré dans le réel, il a choisi d’en assurer lui-même la réalisation. Bonne initiative, puisqu’il signe là son film le plus abouti et le plus captivant, qui a conquis le public de la Berlinale, où il était présenté dans le cadre du Panorama.
On suit la capture de l’écran d’ordinateur d’Amy, une jeune journaliste londonienne qui, pour épater la directrice de la rédaction et intégrer son équipe de façon permanente, se lance dans un reportage d’investigation sur les méthodes de recrutement des djihadistes de l’Etat Islamique. Depuis le début du conflit syrien, des centaines de jeunes européennes, fraîchement converties à l’Islam, sont parties rejoindre les rangs de l’organisation terroriste, après avoir été embobinées sur les réseaux sociaux.
Amy décide de se faire passer pour une jeune convertie pour tenter de prendre contact avec un recruteur. Elle se crée un profil facebook bidon au nom de “Melody Nelson”, comme la chanson de Gainsbourg, demande pour amie toutes les femmes voilées qu’elle trouve sur le réseau et appose des “like” sur chaque vidéo vantant les mérites de l’Etat Islamique ou les exécutions d’otages occidentaux.
Elle ne tarde pas à être contactée par un djihadiste, Bilel, qui suit à la lettre toutes les procédures permettant de charmer les jeunes femmes avant de les attirer dans les filets de l’organisation, pour les transformer en esclaves sexuels ou en kamikazes : il se montre tout d’abord attentionné, attendrissant la jeune femme avec des photos de chatons et des smileys, teste sa foi et ses croyances, puis insiste pour pouvoir discuter avec elle sur Skype. A partir de là, il prend le temps, jour après jour, de flatter la jeune femme, de la mettre en confiance, avant de lui avouer ses sentiments et lui promettre le mariage. Une fois sa proie ferrée, il n’a plus qu’à lui mettre la pression, la pousser à sauter le pas et le rejoindre en Syrie.
Le film, intelligemment, alterne les discussions entre le recruteur et sa proie avec d’autres éléments du quotidien d’Amy – ses difficultés à trouver un job stable, à boucler les fins de mois, sa relation compliquée avec un boyfriend un peu trop pressant, qui cherche à lui imposer ses choix de vie, son histoire personnelle, qu’elle finit par lâcher, par bribes, à Bilel. A plusieurs moments, on sent la journaliste, pourtant éduquée, intelligente et nullement attirée par l’Etat Islamique et son idéologie meurtrière, prête à perdre pied, à abandonner cette existence compliquée pour s’abandonner au rôle d’épouse dévouée que lui réserve le séduisant djihadiste. Si elle est capable de perdre la tête, alors il n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi autant d’adolescentes en pleine quête identitaire acceptent de tout quitter pour rejoindre l’organisation terroriste.
Mais le vrai tour de force, c’est d’avoir réussi à créer un thriller haletant à partir de ce dispositif. A priori, Amy ne risque pas grand chose tant qu’elle conserve son anonymat et qu’elle reste cloîtrée chez elle. Mais elle peut à tout moment commettre une erreur qui permettrait au djihadiste de l’identifier et de la localiser. Si Bilel est en Syrie, d’autres intégristes, basés à Londres, peuvent très bien lui servir de main armée. Comme Amy doit constamment jongler entre ses profils et reçoit en simultané des appels venant de son employeur, son fiancé ou sa meilleure amie, elle n’est pas à l’abri d’une fausse manipulation qui la trahirait. Et si Amy oubliait de porter son hijab? Et si son petit ami débarquait sans prévenir, entrant dans le champ de la caméra? Et le technicien qui doit l’assister pour assurer l’enregistrement et la sécurité de son ordinateur, est-il vraiment fiable? N’est-il pas syrien, lui aussi?
Par ailleurs, si elle veut aller au bout de l’aventure, Amy va finalement devoir sortir de son abri londonien. La route pour la Syrie passe par Amsterdam, puis Istanbul avant d’arriver à destination. Dans ces villes-là, elle est plus facilement traçable et attaquable. De quoi faire monter la tension d’encore un bon cran…
Profile séduit aussi par ses touches d’humour salutaires, son utilisation astucieuse des musiques de la playlist d’Amy pour accompagner les rebondissements du récit et d’une façon générale, par son double message, qui rappelle que l’anonymat sur internet est une notion toute relative et que l’arme principale des terroristes est la peur.
Une des belles surprises du festival de Berlin 2018.